Méthodes et problèmes

L'autobiographie mythique

Dominique Kunz Westerhoff, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

I.2. Mythe et Logos

Le mythe raconte une histoire: c'est sa propriété principale, c'est aussi son principal défaut. C'est en effet ce qui l'a disqualifié historiquement, au profit d'un autre régime discursif, celui du logos, c'est-à-dire du raisonnement logique. C'est Platon qui a distingué le plus nettement ces deux types de discours, d'abord analogues dans la Grèce antique, et qui a instauré la suprématie du logos vis-à-vis du muthos.

Certes, Platon reconnaît au mythe une valeur pédagogique dans le discours philosophique. Il recourt au mythe dans Protagoras (320 c), c'est-à-dire à la fiction philosophique plutôt qu'à la démonstration théorique, parce que c'est plus agréable: on raconte une histoire. Dans la République (X, 621 c), Platon montre également que le mythe en appelle moins à la raison qu'à la foi. Il suscite une adhésion, une créance chez le lecteur: il se substitue à un discours rationnel et peut appréhender des vérités qui dépassent l'entendement, rendre compte de l'inexplicable, de ce qui défie la raison.

Cependant, dans ce même ouvrage de la République, Platon se livre à une violente attaque des fictions créées par les poètes, qui reposent sur l'illusion, l'incroyable, le mensonger: les mythes trompent et doivent être rejetés de la république (livres II et III). Ainsi s'établit une supériorité du logos, ouvrant l'ère du concept et de l'abstraction, sur le muthos, désormais associé au passé et à la tradition. Cette supériorité va être entérinée par le développement de la pensée logique et de la science, lesquelles vont infirmer les mythes d'origine et imposer des explications objectives, empiriquement prouvées, en lieu et place des histoires fabuleuses et sacrées. Tel est le cas de la Genèse, mythe d'origine qui sera évincé dans sa réalité scientifique par la découverte de l'évolution des espèces au XIXe s.

Au XIXe siècle, le philosophe Nietzsche cherchera à renverser cette hégémonie du Logos qu'a instaurée la métaphysique platonicienne. Il concevra la tragédie comme une forme qui a permis historiquement de maintenir le mythe, aujourd'hui disparu: Le logos l'a emporté sur le mythe, Apollon sur Dionysos. Aujourd'hui, l'homme est dépourvu de mythes (Naissance de la tragédie). Il s'agit donc pour lui de faire revivre le mythe, de préparer sa renaissance, en inventant une philosophie qui raconte la sagesse, plutôt qu'elle ne l'explique dans un discours logique (Ainsi parlait Zarathoustra).

Si l'explication objective l'a emporté sur le discours mythique, celui-ci reste cependant à même de représenter des aspects qui échappent à l'analyse rationnelle. La littérature a peut-être eu pour fonction d'accueillir le mythe supplanté par le langage logique, comme l'avance Nietzsche. Mais elle peut aussi y trouver un moyen de figurer des expériences qui ne relèvent pas de l'explication conceptuelle, d'en éclairer le sens par d'autres biais que l'analyse objective.

Edition: Ambroise Barras, 2005