Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
La description a été codifiée dès la rhétorique ancienne sous le nom grec d'ekphrasis (qu'on pourrait traduire comme morceau discursif détaché). À l'origine, elle relève surtout du discours d'apparat (genre épidictique) qui appelle la description élogieuse de personnes, de lieux ou de moments privilégiés. Et nous pouvons nous faire une idée de ce qu'elle a été si nous songeons à des pratiques rhétoriques encore vivantes aujourd'hui comme l'éloge funèbre, les discours d'inauguration ou les messages d'amitiés diplomatiquement échangés lors de visites de chefs d'état.
On la trouve également en poésie. Dans les poèmes homériques, elle s'attache à représenter des objets précieux: roues de char sculptées, boucliers ouvragés, ornements d'ivoire. La description a alors pour objet de rivaliser de richesse avec l'objet représenté. Pour le poète, elle est aussi l'occasion de montrer son savoir faire: connaissance des modèles, variété du lexique et maîtrise des figures. La description a alors une ambition moins réaliste qu'ornementale.
La description au sens moderne, c'est-à-dire réaliste, du terme est née en dehors de la littérature. Depuis l'Antiquité, un certain nombre de discours techniques ou scientifiques ont recours à elle: c'est par exemple la géographie, particulièrement dans son usage militaire (décrire des paysages cela peut aussi servir à faire la guerre); c'est aussi l'architecture (la description a pour fonction de commenter des plans), la zoologie ou la botanique (il s'agit cette fois d'observer pour classer); n'oublions pas enfin le discours judiciaire (il est important de décrire les circonstances d'un délit ou de faire un portrait du caractère d'un inculpé). À la Renaissance, on appelle aussi description un ouvrage décrivant des villes à l'usage des touristes, des curieux ou des hommes d'affaires (c'est un peu l'ancêtre de nos Guides verts). L'essor de la description apparaît donc étroitement lié à l'expansion des sciences et des techniques.
Au cours du XVIIIe siècle, des formes de plus en plus réalistes de la description se sont progressivement imposées dans les genres littéraires. Et on peut dire que la description littéraire a connu son âge d'or dans le roman réaliste de Flaubert à Zola. Objet d'un travail littéraire intense, elle est devenue le lieu même de la valeur de l'écriture littéraire.
Edition: Ambroise Barras, 2004