Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Contrairement aux ambitions parfois affichées par un réalisme naïf, la description ne saurait ni être exhaustive, ni être objective. Décrire n'est pas copier le réel (ce qui serait une tâche infinie pour le plus microscopique ou le plus simple des objets). Décrire, c'est interpréter le réel, en y sélectionnant des traits caractéristiques. Ainsi les naturalistes du XVIIIe siècle, comme Buffon ou Linné, ont cherché à limiter leur description des plantes à quatre catégories de traits descriptifs: la quantité des éléments, leur forme, leur distribution dans l'espace, leur grandeur relative. Donc, si on étudie les organes sexuels d'une plante, il suffira de dénombrer étamines et pistil, de définir leur forme, de dire comment ils sont répartis dans la fleur (en cercle, en hexagone ou en triangle par exemple) et quelle est leur taille par rapport aux autres organes (racines, tiges, feuilles, fleurs, fruits). Ce principe de sélection est déjà une organisation du réel. Car il va conduire à faire des rapprochements entre les êtres naturels sur la base de ces critères, il va induire des regroupements et des classifications. Si on retenait d'autres caractères des plantes (par exemple leur couleur ou leur parfum) il est évident qu'on les classifierait tout autrement et qu'on ferait une autre botanique. Décrire, c'est classer. Classer, c'est connaître selon un certain point de vue, toujours particulier.
Retenons-en que toute description est nécessairement sélective, limitative, mais c'est par cette limitation qu'elle est significative. Décrire, c'est orienter le regard sur des aspects du réel que l'on considère comme pertinents pour comprendre ce réel. On peut donc dire que toute description a une valeur heuristique (une valeur de découverte). Cela paraît évident dans le cas de la description scientifique, mais cela ne l'est pas moins dans celui de la description littéraire.
Edition: Ambroise Barras, 2004