Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Une autre façon d'aborder la complexité de la lecture, ce pourrait être de confronter les formes de la lecture spontanée, appelons-la privée, et celles de la lecture savante, que l'on pourrait aussi caractériser comme une lecture critique. L'opposition apparemment la plus évidente, c'est que la lecture privée est purement guidée par le plaisir, tandis que la lecture critique est dominée par la distance, le choix et le jugement.
La lecture privée est en effet caractérisée comme dilettante (du latin delectare, s'adonner à un plaisir). Elle se borne en général à une première lecture parce qu'elle est soucieuse de préserver les agréments de la surprise. Son allure est flâneuse, non seulement dans le choix des lectures, largement livré au hasard, mais aussi dans le rythme de la découverte (elle s'autorise à être lacunaire, sautant des passages, oubliant le début, confondant des personnages). Elle n'est guidée par aucun principe productif ou utilitaire. Elle n'a pas nécessairement à interpréter ce qu'elle lit. Elle ne vise ni un savoir ni la production d'un autre texte.
De son côté la lecture critique implique nécessairement un regard second sur le texte, c'est-à-dire une relecture. Elle se veut méthodique et exhaustive parce qu'elle conçoit le texte comme un ensemble organisé où tout est cohérent et tout fait sens. Elle est (souvent) productive d'une interprétation, qui éclaire non seulement le texte lu, mais d'autres textes et le phénomène littéraire dans son ensemble. Elle est (parfois) productive d'un autre texte, commentaire ou critique.
Cependant, cette opposition des lectures, si elle était aussi radicale, ne serait pas seulement attristante, elle serait aussi fausse. Effectivement nous allons voir que ces deux formes de lectures sont en fait solidaires et qu'heureusement aucune n'est exempte de plaisir, mais il faut distinguer différentes sortes de plaisirs.
Edition: Ambroise Barras, 2004