Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Pour mieux le comprendre, nous pouvons suivre les réflexions du critique Michel Picard, dans son livre intitulé La lecture comme jeu, livre fondamental pour notre propos et qui nous inspirera beaucoup. Picard y décrit la lecture non pas comme un mais comme deux sortes de jeux, tous deux nécessaires à son accomplissement. On peut les appeler respectivement jeu de rôles et jeu de règles (en anglais, il y a deux mots bien distincts pour les désigner: playing – mot qu'on emploie au sens de jouer la comédie –, et game – qui caractérise tous les jeux où il s'agit d'appliquer des règles). Par certains aspects la lecture est playing, elle consiste à entrer dans les rôles que nous propose la fiction, un peu comme un acteur le fait au théâtre, mais avec cette nuance que la scène de la représentation est purement mentale. Par d'autres aspects, la lecture est game, jeu de règles (encore s'agit-il souvent non seulement d'appliquer des règles mais aussi de les découvrir…).
Si l'on adopte le point de vue de Picard, on saisit mieux quels sont les deux types d'investissements nécessaires à la lecture: impossible de lire sans entrer dans un jeu de rôles (ou alors le livre nous tombe des mains), mais impossible de lire en ignorant tout à fait le jeu des règles littéraires (ou alors le livre devient arbitraire, voire incompréhensible). Si l'on admet que la lecture privée est dominée par le plaisir du jeu de rôles et que la lecture critique est dominée par le plaisir du jeu de règles, on comprend mieux leur complémentarité. Essayons de préciser les caractères de chacune d'entre elles.
Edition: Ambroise Barras, 2004