Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Il y a un second aspect qui rapproche la lecture du puzzle. La lecture est une activité de liaison, d'intégration progressive de fragments, destinée à former finalement une représentation aussi totale que possible. Et cette activité, bien différente de l'identification, est cependant, elle aussi, productrice de plaisir. La psychanalyse nous enseigne que, si les petits enfants sont passionnés par les puzzles et jubilent lorsqu'ils sont parvenus à refaire un tout avec des morceaux, c'est parce qu'ils rejouent la conquête de leur propre unité – unité assez tardivement constituée dans le cas du petit humain, qui naît psychologiquement très prématuré et quelque peu dissocié.
Bien sûr la construction d'une totalité de représentation est un peu plus complexe dans le cas de la lecture que dans celui du puzzle. Tout d'abord le lecteur doit rassembler et synthétiser des informations explicites qui lui sont données successivement. Les textes, en effet, ont de la mémoire, ou plutôt une virtualité de mémoire. C'est-à-dire qu'au fil du discours ils font implicitement référence à des information qu'ils ont antérieurement délivrées. Mais il revient au lecteur d'être, si l'on peut dire, la mémoire vive du texte, c'est-à-dire de convoquer ces informations au bon moment et de faire au fur et à mesure qu'il en rencontre de nouvelles une synthèse cohérente.
Edition: Ambroise Barras, 2004