Laurent Jenny, © 2004
Dpt de Français moderne – Université de Genève
Après avoir étudié les formes de cette pratique de la lecture, nous pouvons essayer de répondre à la question de sa fonction. À quoi sert ce double jeu de la lecture que nous avons décrit? Est-il purement gratuit? Dans quels rapports entre-t-il avec le monde réel?
À cette question, nous pouvons fournir une réponse assez proche de celles qu'on propose à propos du jeu en général. Les anthropologues, en effet, nous apprennent que le jeu a des fonctions sérieuses. Il existe dans toutes les sociétés humaines et dans bon nombre de sociétés animales et il a une fonction d'apprentissage. Jouer, cela sert à anticiper et à répondre à des situations inédites et non encore maîtrisées.
Or c'est exactement ce que fait la littérature à travers les différents genres. Elle anticipe des situations psychologiques, sociales et affectives nouvelles. Elle leur trouve des solutions sur un plan hypothétique. Elle propose des réponses personnelles à des états du monde encore inexistants.
Prenons l'exemple de Baudelaire. Dans ses Petits poèmes en prose, il s'est donné pour tâche de saisir les nouveaux rapports sensibles qui découlent de l'existence dans la grande ville. Effectivement, à partir du milieu du XIXe siècle, les habitants des grandes villes sont confrontés à de nouvelles expériences fondées sur la surprise, la solitude, le brassage des classes sociales, l'éphémère des rencontres, le choc des rencontres des spectacles et des modes. Baudelaire a cherché, dans une forme nouvelle mêlant le prosaïque et le poétique, à créer une esthétique et à esquisser imaginairement un style de vie propre à accueillir ces aspects de la vie moderne.
Edition: Ambroise Barras, 2004