Laurent Jenny, © 2003
Dpt de Français moderne – Université de Genève
vers libre
Dans le cas du vers libre
, l'ambiguïté de structure
du vers se situe entre la forme linguistique et la ligne typographique
(la liberté
du vers libre
n'est pas une liberté
de nombre, puisque l'on ne compte pas les syllabes dans le vers libre
,
c'est la liberté qu'a la ligne de s'interrompre quand bon lui semble).
Angelus! n'en pouvoir plus
De débâcles nuptiales! de débâcles nuptiales!...Jules Laforgue
Paradoxalement, au cours de son histoire, le vers libre
a fait
très peu usage de sa liberté (que ce soit chez les inventeurs
comme Gustave Khan ou Jules Laforgue, chez des modernistes comme Cendrars
ou chez les surréalistes). Il a plutôt joué de la coïncidence
entre ensembles discursifs (phrases ou syntagmes) et ensembles typographiques
(lignes) - au point qu'un critique comme Jacques Roubaud (1978, 115) a pu
parler d'un classicisme du vers libre
. Mais cette coïncidence
ne produit pas les effets de parallélisme qu'on observe dans le vers
métrique classique.
J'ai passé une triste journée à penser à mes amis
Et à lire le journal
Christ
Vie crucifiée dans le journal grand ouvert que je tiens les bras
tendus
Envergures
Fusées
Ebullition
Cris.
On dirait un aéroplane qui tombe.
C'est moi.Cendrars
Il n'en reste pas moins qu'il a également su, au cours de son histoire
jouer de la discordance. On retrouve donc dans les vers libres
les mêmes figures de discordance que dans le vers métrique
(rejets, contrerejets, enjambements) mais ces figures ne peuvent se produire
qu'aux limites de vers (fins de vers et débuts de vers) puisque
les vers libres
ne sont pas césurés.
semblables étaient les vaches au temps
de ronsard et pareille la brume et
semblables entre les draps à nu mises
les chairs pour le plaisir des bouchesJude Stefan
de ronsardetles chairsen rejet,eten contrerejet
Le vers libre
a cependant inventé de nouvelles formes
de discordance en manifestant que la ligne typographique pouvait
couper non seulement des phrases ou des syntagmes mais même des mots.
La poésie est inadmissible. D'ailleurs elle n'
existe pas, sans pantoufle, Sapho - sans pan-
toufle de vair - Cendrillon: petit tas de cendresDenis Roche
Edition: Ambroise Barras, 2003-2004