A. La pré-histoire
1. La méthode de Philon d'Alexandrie
Philon d'Alexandrie (13/20 av. J.-C. - 45/50 ap. J. C.), Juif par sa naissance et son éducation, grec à cause de sa formation philosophique, a laissé parmi ses oeuvres un commentaire sur le Pentateuque. Dans ce commentaire de la Loi juive, il expose ses thèses sur la morale.
Philon a employé la méthode allégorique qui consiste à rechercher un sens second caché sous le sens premier et évident d'un récit ou d'un texte. Mais cette méthode, il l'a utilisée avec beaucoup de liberté. Est-il l'auteur de toutes les études de mots que l'on retrouve dans ses écrits ou bien les a-t-il prises dans un système déjà organisé? A ce sujet, les opinions sont partagées.
La méthode allégorique a particulièrement été développée par les stoïciens. Chrysippe de Soli (280-205 av. J.-C..) l'a utilisée d'une manière magistrale tout d'abord pour éclairer le sens profond des mythes grecs et ensuite pour défendre ces mêmes mythes contre les charges d'immoralité et de blasphème. Voilà pourquoi, à partir de la pensée de cet auteur, on peut parler de deux formes différentes, d'allégorie: 1) l'allégorie positive qui vise à élucider le sens caché d'un texte; 2) l'allégorie négative qui a pour but de défendre la moralité d'un passage jugé inconvenant.
Philon a emprunté la méthode des stoïciens pour éclairer certaines difficultés rencontrées dans le texte de l’Ancien Testament (dorénavant AT). Ainsi, à propos de Gn 2,21-22, il écrit: Ce qui est dit est mythique. Car comment pourrait-on accepter qu'une femme, ou tout être humain, puisse provenir du côté d'un homme? (Legum Allegoriae [Allégories des lois] II,19). Gn 2,21-22 doit donc être interprété d'une manière allégorique.
Cet exemple, et on pourrait en citer plusieurs autres, ne signifie nullement que Philon n'ait attaché aucune importance au sens littéral des textes de l'AT. Au contraire, même s'il s'est servi de l'allégorie pour fournir des interprétations morales, philosophiques et théologiques, il a aussi reconnu et expliqué maintes fois le sens littéral.
L'allégorie de Philon a plusieurs niveaux: celui de l'interprétation par les figures de rhétorique; celui de l'allégorie cosmique de type stoïcien; celui de l'allégorie ontologique ou l'initiation aux mystères de Moïse. Les deux premiers sont clairs, le troisième exige le secours de Dieu pour être pénétré (cf. ROGER ARNALDEZ, "Philon d'Alexandrie", DBS 7 (1966) col. 1329).
L'exégèse de Philon est totalement différente de l'exégèse palestinienne. Elle est plus grecque que juive. Il arrive parfois qu'elle soit douteuse. Mais malgré tout, Philon reste un grand auteur et on doit lui faire une place parmi les interprètes de l'Ecriture. Il faut reconnaître qu'il a eu le souci de rechercher une vérité révélée cachée derrière les textes de la Bible.
Dès avant le christianisme, l'exégèse biblique a existé chez les Juifs. Cette exégèse rapporte les enseignements des grands rabbins. Elle expose et explique les traditions transmises pendant des siècles en tenant compte de l'évolution du milieu et des doctrines. Il est difficile de parler de méthode au sens propre du terme. Les rabbins ont bien sûr fait de la grammaire et de la philologie et ils ont toujours expliqué un passage de l'Ecriture par un autre passage. Leur but a toujours été d'actualiser la Torah et de justifier une coutume par le recours à l'Ecriture.
La tradition rabbinique a attribué à Hillel (mort vers 20 ap. J.-C.) une technique d'interprétation qui comporte sept règles appelées middôt et qui datent du début de notre ère:
1) le raisonnement a fortiori (de la vérité d'une proposition, on conclut à la vérité d'une autre pour laquelle la raison invoquée s'applique encore mieux);
2) l'assimilation (une déduction par analogie dans laquelle deux passages sont rapprochés à cause d'un mot commun ou de mots communs);
3) l'établissement d'un principe d'après une seule écriture;
4) l'établissement d'un principe d'après deux écritures;
5) le général et le singulier (l’argument est tiré d'un cas et appliqué à un groupe ou vice versa);
6) pareillement d'après un autre texte;
7) qui s'éclaire par son contexte.
On trouve des exemples d'application de ces règles dans HERMANN STRACK Introduction to the Talmud and Midrash [Introduction au Talmud et au Midrasb], (Philadelphie, Fortress, 1945, pp. 93-98) et dans Joseph BONSIRVEN, "Interprétation", DBS 4 (1949) cols. 564s.
Soulignons que Paul a fait de nombreux raisonnements a fortiori (à plus forte raison): Rm 5,9; 11,12; 1Co 9,2; 2Co 3,8.11. En 2Co 8,15, il raisonne par assimilation. Mais Paul dépasse les règles d’Hillel.
Pour rendre chaque mot et chaque verset intelligibles, pour rendre la totalité de l'Ecriture cohérente et son message acceptable et signifiant à leurs contemporains, les rabbins ont employé le midrash. Ce mot a plusieurs sens, mais en exégèse il signifie la recherche d'un sens qui dépasse le simple sens littéral d'un texte. C'est le sens profond que l'on peut tirer de ce texte et c'est aussi l'explication que l'on peut en donner. C'est donc une sorte de paraphrase ou de commentaire du texte biblique. Ces commentaires sont devenus populaires et inséparables de ce texte.
Il y a deux espèces de midrash: le midrash halakah qui explique les lois et les règles de conduite; le midrash haggadah qui est destiné à instruire et à réconforter ceux qui cherchent Dieu. Lorsque le texte sacré présentait une difficulté philologique ou que son auteur n'avait pas développé les traits essentiels de sa composition, lorsque le sens littéral était inacceptable et qu'il fallait concilier deux textes ou encore les harmoniser, les rabbins ont interprété, commenté et expliqué le ou les textes. Ils ont alors développé les midrashim de mot midrash au pluriel). L'évangile de Matthieu qui est le plus juif des écrits du Nouveau Testament (dorénavant NT) nous fournit un exemple de ce procédé: le sermon sur la montagne (Mt 5-7) est la halakah, c'est-à-dire la loi du nouveau Sinaï et les miracles rapportés aux chapitres 8 et 9 sont la haggadah, c'est-à-dire l'enseignement de Jésus, le nouveau Moïse.
Rabbi Aqiba (mort vers 135) a commencé, au début du premier siècle, son oeuvre d'interprétation. Ses disciples ont continué son travail et Rabbi Meir (vers 130-160) a fait une première recension des interprétations. Vers l’an 200, le code fondamental des lois du judaïsme rabbinique a été publié sous le nom de Mishnah (répétition). Mais ce n'est qu'au cours du IIe siècle que les rabbins mettront en ordre d'une façon systématique les traditions. Plus tard, le Talmud verra le jour. C'est ainsi que l'ensemble de la Loi orale est devenue Ecriture. Et les rabbins ont continué de commenter la Torah et les commentaires de cette même Torah car le peuple juif est "le peuple de l’exégèse biblique" comme l'a dit ANDRE CHOURAQUI dans son Histoire du judaïsme.
La tâche première des rabbins a donc toujours été d'établir un texte sûr, ce qui explique le travail de révision sans cesse repris. Ils ont procédé par mode d'annotations minutieuses qui comportaient des corrections, des indications pour la lecture, la fixation des mots douteux et la ponctuation de certains passages. Le souci de la lettre a stimulé leurs recherches philologiques et dialectiques, mais en même temps l'interprétation est devenue exagérée. le juridisme et la fabulation ont été à l'honneur. De cet excès plusieurs sortes d'exégèse sont nées: l'exégèse simple, l'exégèse philologique, l'exégèse dialectique et l'exégèse parabolique. Il faut remarquer qu'on ne rencontre jamais chez les rabbins la méthode allégorique employée d'une façon parfaite. Si à travers leur exégèse littérale ils ont tenté une quelconque explication symbolique, c'est une explication parabolique.
On ne peut parler de la littérature rabbinique sans dire un mot des Targums qui constituent une source importante d'information pour l'exégèse chrétienne et qui nous aident à mieux comprendre le NT. Nés à la synagogue, les Targums sont des traductions araméennes de la Bible hébraïque faites par les Palestiniens et par les Babyloniens à l'époque où la langue du peuple n'était plus l'hébreu du texte sacré. Le lecteur de la synagogue devait traduire ce texte en le commentant tout comme les prédicateurs chrétiens le faisaient alors que la langue liturgique de I'Eglise était le latin. Les Targums font partie de la tradition vivante de la Bible chez les Juifs. Ils ont d'abord été transmis oralement, mais devant certaines libertés prises par les lecteurs, on a senti le besoin de les mettre par écrit.
Le Targum a le souci de rendre intelligible au peuple le texte, pour cela on ajoute des notes dans le texte, on modifie la syntaxe, on a recours au style direct, à la seconde personne, on supplée un sujet qui manque, un complément, tout un contexte; on interprète les mots obscurs, archaïques, équivoques, d'orthodoxie douteuse; on introduit des gloses.
ALEJANDRO DIEZ MACHO, "Le Targum", RSR (1973) 174-175).
Nous empruntons à Roger Le Déaut la traduction du Targum de Gn 22, à titre d'exemple:
v.8 Abraham dit: Par devant Yahvé a été préparé pour lui un agneau pour l'holocauste et sinon, c'est toi l'agneau de 1'holocauste. Et ils allaient tous les deux ensemble, d'un coeur intègre... v.10 Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler Isaac son fils. Isaac prit la parole et dit à Abraham son père: Père, attache-moi bien de peur que je ne te résiste et que ton offrande ne soit rendue irrégulière et que nous soyons jetés dans la fausse de perdition dans le monde à venir. Les yeux d'Abraham étaient (fixés) sur les yeux d'Isaac et les yeux d'Isaac étaient tournés vers les anges d'en-haut: Abraham ne les voyait pas. A ce moment descendit des cieux une voix qui disait: Venez voir les deux "uniques" dans mon univers: l'un immole, l'autre est immolé; celui qui immole n'a pas d'hésitation, et celui qu'on immole tend la gorge...v.14 Et Abraham se mit en prière (litt:adora) et invoqua le nom du Memra de Yahvé et dit: je t'en prie par ta miséricorde (litt: par la miséricorde (qui vient) d'auprès de toi), tout est manifeste et connu devant toi (en qu'il n'y a pas eu de restriction dans mon coeur dès la première fois que tu m'as dit d'offrir (en sacrifice) Isaac mon fils, de le réduire en poussiécuté ta décision.
Et maintenant lorsque ses enfants se trouveront dans un temps de détresse, que tu te souviennes de l'Aqéda d'Isaac leur père, et écoute la voix de leur prière; exauce-les et délivre-les de toute détresse...
(ROGER LE DEAUT, La Nuit pascale, Rome, Institut Biblique Pontifical, 1963, pp. 155-156).
Le NT - Paul en particulier - a des exemples de paraphrases de type targumique: la participation des anges au don de la Loi au Sinaï (Ga 3,19); l'idée de la persécution d'Isaac par Israël (Ga 4,29); le rocher qui suivait Moïse au désert (lCo 10,4).
Malgré le littéralisme rabbinique et ses abus, il faut reconnaître que la lecture des commentaires juifs est profitable et éclairante. Soulignons que l'exégèse rabbinique a influencé particulièrement les Pères de l'Eglise syriaque comme Ephrem (306-373) et Aphraate (mort en 367), et aussi Origène d'Alexandrie (183/186-252/254) et Jérôme (347-420).
On se doit de dire un mot de l'interprétation à Qumrân. Avec les découvertes des manuscrits de la mer Morte, nous avons pris connaissance des écrits esséniens. La secte des esséniens était composée de protestataires juifs plus radicaux que les pharisiens. Ils étaient organisés en communauté, isolés du monde, ils menaient une vie sainte et pure, adonnée à la recherche de Dieu et à la méditation de la Loi. La prière tenait une grande place dans leur horaire quotidien. Ils se considéraient comme "Fils de la lumière" et ils étaient convaincus qu'ils constituaient le véritable Israël de la Nouvelle Alliance.
Apparemment les esséniens attendaient deux messies. Ils croyaient que l'humanité était placée sous la mouvance de deux esprits qui s'opposent et que "les hommes de perdition sont anéantis" alors que les "prédestinés", donc les membres de la communauté sont récompensés en Dieu. On a retrouvé cette dernière idée dans deux écrits chrétiens: la Didachè et la Lettre de Barnabé qui ont sans doute subi l'influence essénienne.
L'exégèse essénienne suit un procédé bien précis: le texte est transcrit et commenté verset par verset. Avant chaque explication, on donne une formule d'introduction: "L'explication (pesher) de ce mot est...". C'est ainsi que leurs commentaires se nomment pesharim (au pluriel).
On a trouvé, dans, les grottes de Qumrân, des commentaires d'Habaquq, de Nahum, d'Isaïe, de Michée, d'Osée et des Psaumes. De plus, on possède un florilège de textes messianiques.
Globalement on peut dire qu'il n'existe pas à Qumrân une méthode exégétique qui vise comme telle à comprendre le texte pour lui-même. Toute l'utilisation de l'Ecriture est orientée vers la découverte de l'identité de la communauté. Plusieurs textes de l’AT sont allégorisés; cependant l'allégorie est beaucoup moins subtile que chez Philon. On utilise un procédé qu'on pourrait nommer le procédé promesse-accomplissement, procédé qui est basé sur les principes suivants: 1) toute prophétie biblique possède, en plus du sens littéral, un sens caché faisant allusion aux derniers jours; 2) les derniers jours sont déjà commencés; 3) la communauté de Qumrân représente les élus des derniers jours (I.QpHab 2,8b.15; 8,1ss). On lit l’AT dans la liturgie et cette lecture aide les esséniens à découvrir l'identité de leur communauté. De plus, une interprétation halakhique de l'Ecriture indique aux membres de la communauté des règles précises de conduite.
Maurya P. Horgan, dans son ouvrage sur les pesharim de Qumrân, conclut qu'il existe quatre modes d'interprétation dans ces explications, modes qui ne s'excluent pas mutuellement:
1) le pesher peut suivre l'action, les idées et les mots du lemme de près, développant une description semblable dans un contexte différent; 2) le pesher peut naître d'un ou de plusieurs mots, de racines ou d'idées, développant une interprétation séparée de l'action ou de la description du lemme à partir de ces éléments isolés; 3) le pesher peut consister en des identifications métaphoriques de figures ou de choses nommées dans le lem-me, avec ou sans description ou élaboration de l'action; 4) il y a des cas où le pesher semble être rattaché au lemme d'une manière vague.
(MAURYA P. HORGAN, Pesharim: Qumran Interpretations of Biblical Books, Washington, CBA, 1979, pp. 244-245. La traduction est de nous).
3. L'interprétation de la Bible des origines chrétiennes à Grégoire le Grand (de 40àˆ 604)
a) Les écrivains du NT
Paul a été le premier écrivain chrétien à citer abondamment l’AT clans ses Lettres. Il l'explique et le commente, mais avait-il une méthode précise? La question reste ouverte, car il est très libre et très personnel dans sa façon d'interpréter. D'ailleurs, la lettre n'est pas le genre littéraire le plus adéquat pour faire un commentaire biblique, puisque toute lettre est un écrit de circonstance. Cependant lorsque Paul fait usage de l’AT pour l'appliquer à la foi chrétienne, il a le rare talent d'en tirer une signification religieuse très riche et très dense.
Paul n'est pas, à tout considérer, un véritable allégoriste, et même si en Ga 4,21-31 il emploie la méthode allégorique de v.24 le dit clairement) son exégèse est surtout typologique. Selon Bonsirven, la typologie "découvre dans l’ancienne économie des préformations de la nouvelle" (JOSEPH BONSIRVEN, Exégèse rabbinique et exégèse paulinienne, Paris, Beauchesne, 1938, p. 275).
On peut dire que Paul a suivi la méthode rabbinique, mais en l'adaptant à sa manière innovatrice de voir les choses. Pour lui, tout esclavage est aboli, donc dépassé, même celui de la lettre; aussi a-t-il expliqué les mystères du Christ à travers la lecture de l’AT avec une grande largeur d'esprit.
Les évangélistes, eux, n'ont pas été des commentateurs bibliques. Leurs récits sont des catéchèses élaborées à partir des faits et des gestes de Jésus de Nazareth. Le but de ces auteurs a été de mettre par écrit une tradition orale qui menaçait de se perdre; et surtout de prouver que le Seigneur avait accompli les prophéties de l’AT. Les évangélistes ont suivi les mêmes procédés que les Juifs de leur temps (Mc 12,18-27 en est un exemple), mais à la différence de certains rabbins, ils sont beaucoup plus libres dans leurs citations et leur interprétation: les subtilités juives ne se retrouvent nulle part dans leurs écrits.
Matthieu et Luc se sont adaptés à la mentalité et aux besoins religieux de leur communauté respective: l'une pagano-chrétienne, l'autre judéo-chrétienne. Ils citent les Livres saints d'une façon qui nous surprend parfois. L'auteur du quatrième Evangile, lui, suit une méthode quelque peu différente, il annonce habituellement ses citations. De plus sa démarche littéraire est très personnelle: on pourrait pratiquement dire qu'il a utilisé une méthode des "signes".
En fait, chaque évangéliste est différent et chaque citation que l'on trouve dans les évangiles serait à discuter séparément parce que si leurs auteurs se sont appuyés sur le sens littéral, souvent ils ont donné à ce sens une précision nouvelle ou bien une portée spirituelle qu'il n'avait jamais eu auparavant.
Les écrivains du NT ont hérité des méthodes d'interprétation qui existaient dans leur milieu respectif. A la fois influencés par le monde grec et le monde juif, les écrivains néotestamen-taires utilisent l'allégorie (ex: Ga 4, 21-31), des explications se rapprochant des pesharim de Qumrân (ex: Rm 10,6); le schéma promesse-accomplissement dans lequel les promesses de l’AT sont accomplies par Christ. On retrouve, dans certains passages, l'application d'au moins deux règles de l'exégèse rabbinique: a fortiori (Mc 2,23-28; Hé 9,13s) et l'assimilation (Rm 4).
Ce qui est peut-être le plus caractéristique des écrivains du NT, c'est leur exégèse typologique (Ac 7,43-44; Rm 5,14). Les grands personnages de l’AT deviennent des types du Christ de sorte que l’exégèse typologique peut se définir comme une recherche de liens possibles entre les événements, les personnes ou les choses dans le cadre historique de la révélation. Elle établit des liens historiques entre certains événements, certaines personnes ou certaines choses de l’AT avec des événements, des personnes ou des choses semblables dans le NT. Enfin, l’AT est maintes fois utilisé tout simplement comme autorité (ex: Jc 5,17s; 1 Jn 3,12). Cette façon d'interpréter la Bible dans les communautés chrétiennes de l'âge apostolique a en partie déterminé une méthode qui sera utilisée durant les six premiers siècles de l'Eglise.
b) Les Pères apostoliques et les apologistes
L'exégèse chrétienne se situe dans le prolongement de l'exégèse juive palestinienne, tout en prenant peu à peu sa forme propre. Comme on a très peu d'écrits, on peut difficilement apprécier cette période au plan des méthodes.
Avec Clément de Rome (mort vers 96), l'exégèse est devenue tantôt prophétique, tantôt apocalyptique et parfois typologique. Des rapports ont été établis entre l’AT et le NT. Clément avait une connaissance très étendue des Livres saints. Cependant il n'a pas employé de méthode précise. il a cité simplement des textes dans le but d'édifier ses lecteurs et à cette fin, il a puisé dans l'Ecriture les passages qui pouvaient éclairer ses écrits.
Au début du IIe siècle, l'auteur inconnu de la Lettre de Barnabé laisse voir qu'il est de tendance allégoriste. Son but est de démontrer que l'Eglise est l'unique héritière de la syna-gogue et qu'elle a tous les droits sur l’Ecriture inspirée. Comme il veut prouver cet avancé, il explique un grand nombre de passages de la Loi en les interprétant dans un sens allégorique en suivant la méthode de Philon. Pour lui, les Juifs se sont égarés de la Tradition à cause de leur interprétation trop littérale de l'Ecriture et ainsi ils ont perdu le Testament reçu de Moïse,
Les apologistes du IIe siècle peuvent-ils être qualifiés d'exégètes? Difficilement. Leur interprétation est faite dans l'unique but de fonder le christianisme sur les textes de l'Ecriture, mais leurs citations sont souvent arbitraires et leurs méthodes hésitantes.
Pourtant parmi eux, Justin (100-165), laïc grec converti, retient l’attention par son oeuvre et il apporte un excellent témoignage de sa science de l'Ecriture. Son Dialogue avec Tryphon est exceptionnel. Le personnage principal, Tryphon, connaît l'exégèse rabbinique et tous ses arguments sont solides. Justin, l'auteur, lui oppose ses propres arguments par rapport au caractère temporaire de la Loi juive qui, pour un chrétien, est la préparation à l'Alliance nouvelle et éternelle.
Tryphon pose à Justin la question fondamentale que voici:
Ce qui nous embarrasse surtout, c'est que vous vous dites pieux; que vous estimez différer des autres tout en ne vous en séparant pas; et que dans votre vie, vous n'êtes pas différents des nations, puisque vous n'observez ni les fêtes ni les sabbats, que vous n'avez pas la circoncision; et encore, tandis que vous mettez votre espoir en un homme qui a été crucifié, vous espérez en même temps quelque bien de Dieu, sans observer ses comman-dements (10,3).
Justin répond .
Il n'y aura jamais d'autre Dieu, Tryphon, et il n'y en a pas eu d'autre depuis les siècles que celui qui a fait et ordonné cet univers. Nous ne pensons pas que notre Dieu soit différent du vôtre; il est le même qui a fait sortir vos pères d'Egypte. Mais ce n'est pas par Moïse ou par la Loi que nous espérons, car alors nous ferions comme vous. J'ai lu au contraire, Tryphon, qu'il y aurait une loi suprême et une alliance plus parfaite; c'est celle que doivent maintenant observer tous les hommes qui prétendent à l'héritage de Dieu. Pour nous, le Christ nous a été donné, la loi éternelle et finale, pacte assuré après lequel il n'y a plus de lois, ni de préceptes, ni de commandements (11,1-2).
(cité à partir de l'article de WILLY RORDORF, dans le Monde grec ancien et la Bible, T. 1, Paris, Beauchesne, 1984, p.75).
Le Dialogue avec Tryphon est un document unique pour l'interprétation de la Bible au second siècle. Justin utilise la typologie: l'histoire de Noé en opposition avec le baptème chrétien en est un exemple remarquable (Dialogue,138,2). Il exploite admirablement l'allégorie (Dialogue,1-2; 53,1-6) et ses types allégoriques sont souvent très fantaisistes: par exemple, les cornes du buffle de Dt 33,17 deviennent une préfiguration de la croix de Jésus (Dialogue, 91,184). Cette façon d'interpréter l’AT aura une longue et vigoureuse histoire dans la tradition chrétienne.
Marcion, en 144 (il mourra vers 160), a opposé les enseignements de Jésus et de Paul à l’AT que d'ailleurs il rejette. Le seul Evangile qu'il reconnaît est celui de Luc à cause de ses affinités pauliniennes, mais il l'a modifié. Absolument hostile à toute forme d'allégorisme, il, n'utilise que la méthode littérale. Il a établi une liste des lettres de Paul qu'il considère comme canoniques: Ga, 1 et 2 Co, Rm, 1 et 2 Th, Ep, Col, Pb, Phm et la lettre aux Laodicéens (apocryphe). Il indique le caractère polémique de l'écrit et répond à des questions purement historiques: le lieu de composition et les personnes à qui elles sont adressées. C'est la première fois que quelqu'un pose une question à caractère historique. Marcion a voulu faire accepter sa Bible par Rome, mais il a été exclu de l'Eglise. Dès lors, l'Eglise a été sur un pied d'alerte et ce fut le début du long processus de la formation du canon biblique chrétien. Réaction de défense vigoureuse et abondante où la typologie et l'allégorie sont utilisées.
Irénée de Lyon (vers 135-vers 202) a été un des premiers Pères à réagir contre Marcion par un développement théologique de la typologie du Christ comme second Adam. Il voit surtout l’AT comme le lieu du développement de la révélation et non comme le lieu de l'uniformité. Pour lui, Dieu s'est révélé à l'homme selon une pédagogie qui a correspondu à la capacité de l'homme de recevoir sa révélation. Ce principe fondamental n'a malheureusement pas été retenu par les interprètes des siècles suivants. Au contraire, on s'est efforcé de développer des allégories de plus en plus artificielles.
Voici un exemple qui montre comment Irénée, à la suite de Paul, fait son exégèse de la récapitulation accomplie par le Christ:
... C'est pourquoi Luc présente une généalogie allant de la naissance de Notre Seigneur à Adam et comportant soixante-douze générations; il rattache de la sorte la fin au commencement et donne à entendre que le Seigneur est Celui qui a récapitulé en lui-même toutes les nations dispersées à partir d'Adam, toutes les langues et les générations des hommes, y compris Adam lui-même. C'est aussi pour cela que Paul appelle Adam lui-même la "figure de Celui qui devait venir" : car le Verbe, artisan de l'univers, avait ébauché d'avance en Adam la future "économie" de l'humanité dont se revêtirait le Fils de Dieu, Dieu ayant établi en premier lieu l'homme psychique afin, de toute évidence, qu'il fût sauvé par l'Homme spirituel. En effet, puisqu'existait déjà celui qui sauverait, il fallait que ce qui serait sauvé vînt aussi à l'existence, afin que ce Sauveur ne fût pas sans raison d'être.
(Irénée de Lyon, Contre les hérésies, III,22.3, Sources Chrétiennes no 211, Paris, Cerf, 1974, p. 439).
Méliton de Sarde (mort vers 190) représente bien, lui aussi, cette réaction de l'Eglise. Pour lui, il y a une relation très grande entre les types de l’AT et les antitypes du NT, non seulement parce qu'ils sont analogues, mais parce que le Christ était présent dans tous les événements de l’AT (voir son Homélie sur la passion, 84). Méliton construit des analogies entre la mort-résurrection de Jésus d'une part et les événements conduisant à l'institution de la Pâque et à l'exode d'autre part. Sans cesse sa typologie se transforme en allégorie et il trouve des types du Christ en Abel, Isaac, Joseph, David... en somme dans presque tous les grands personnages de l’AT.
Avec Tertullien (155-220), nous apprenons vraiment que les Saintes Ecritures contiennent des allégories. C'est d'ailleurs lui qui a créé le verbe allegorizare à partir du grec paulinien. Tertullien suit l'interprétation de Paul pour le sens spirituel. C'est lui aussi qui nous renseigne sur l'existence d'une traduction complète de la Bible en latin.
Tertullien n'aime pas l'allégorie et il favorise surtout une interprétation qui tient compte davantage du texte. Il insiste d'ailleurs souvent sur la nécessité de comprendre les passages dans leur contexte (De pudicitia [la Pudicité], 7,3; 8,10-11; 9,2-3). Lorsqu'un texte de l’AT est obscur, il préfère faire référence au Christ plutôt que de l'allégoriser d'une façon moralisante. En définitive, Tertullien s'en tient surtout au sens littéral du texte ce qui ne l'empèche toutefois pas d'utiliser l'allégorie avec beaucoup de modération (De Resurrectione Mortuorurn [La Résurrection des morts], 26,11). Plusieurs auteurs modernes considèrent son ouvrage Contre Marcion comme l'une des plus belles oeuvres d'interprétation scripturaire de l’antiquité chrétienne. Il est à souligner que Tertullien connaissait aussi certains pseudépigraphes, notamment le Hénoch éthiopien.
Tertullien, dans La Prescription contre les hérétiques, 22,8-10 (Sources Chrétiennes, no 85) écrit:
Qu'ont prêché les Apôtres: c'est-à-dire; que leur a révélé le Christ? Cela ne doit pas être prouvé autrement que par ces mêmes Eglises que les Apôtres ont eux-mêmes fondées, qu'eux-mêmes ils ont instruites, tant de vive voix, comme on dit, que plus tard par des lettres.
Le Seigneur avait vraiment dit un jour: J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pourriez les supporter maintenant; en ajoutant toutefois: Quand sera venu l'Esprit de vérité, il vous conduira à toute vérité. Par là-même, il montre qu'ils n'ont rien ignoré, ceux à qui il avait promis la possession de toute vérité par l'Esprit de vérité. Et il accomplit sa promesse puisque les Actes des Apôtres attestent la descente de l'Esprit Saint.
Donc, déjà au IIe siècle, on peut dire que plusieurs auteurs - Justin, Irénée, Méliton et Tertullien - ont fouillé l’AT afin d'y découvrir des textes-témoins du mystère du Christ et qu'ils ont interprété ces passages dans un autre sens que le sens littéral.
c) Les gnostiques
On ne peut pas, en terminant ce résumé de l'histoire des méthodes exégétiques employées au début du christianisme, ne pas dire un mot de l'interprétation gnostique. Les gnostiques occupent une place importante dans cette histoire; ils ont été probablement les premiers à avoir essayé de faire des commentaires suivis de l'Ecriture. Cependant, il est aussi très difficile d'apprécier leur exégèse, car nous n'avons que des fragments du commentaire d'Héracléon (145-vers 180) sur Jean et la lettre de Ptolémée à Flora, oeuvre ingénieuse d'un gnostique du deuxième siècle. Nous connaissons les citations du commentaire par Origène et nous nous trouvons devant une exégèse allégorique. La lettre à Flora semble être "une première tentative pour fonder une exégèse scientifique" (GUSTAVE BARDY, "exégèse patristique", DBS 4 (1949) col. 573).
Voici d'ailleurs un extrait de cette fameuse lettre:
Tout d'abord, il vous faut savoir que cette Loi contenue dans le Pentateuque de Moïse n'a pas été promulguée dans son ensemble par un auteur unique, j'entends: non point par Dieu seulement, mais qu'elle contient aussi quelques commandements d'origine humaine. Les paroles du Sauveur nous enseignent que la Loi se divise en trois parties... (4,1). Comment la vérité de cette conception peut être prouvée par les paroles du Sauveur, c'est ce que vous allez apprendre maintenant... (4,3). Dans la discussion sur le divorce... le Sauveur déclarait à ses adversaires: Et moi je vous dis: quiconque répudie sa femme - sauf en cas d'union illégale - la pousse à l'adultère... Par là, il démontre qu'il y a une Loi de Dieu qui défend de séparer une femme de son mari et une autre de Moïse qui, en raison de l'endurcissement des coeurs, autorise la rupture de l'union conjugale... (4,5).
(Ptolémée, Lettre à Flora, Sources chrétiennes no 24 bis, Paris, Cerf, 1966, pp. 55-57).
d) Les Pères grecs et orientaux
Ë la fin du deuxième siècle, devant la menace sans cesse grandissante des sectes gnostiques, les interprètes chrétiens ont donné la réplique aux hérétiques dans le but de rendre la doctrine orthodoxe. C'est l'heure des premières grandes controverses dans l'Eglise. Les Pères grecs - c'est d'eux dont nous allons parler en premier - ont appliqué au NT la même méthode qu'ils utilisaient pour l’AT, c'est-à-dire l'allégorie. Il fallait se défendre en employant des procédés semblables à ceux des adversaires: les valentiniens qui étaient des spécialistes de la méthode allégorique pour qui l'Evangile de Jean était le texte privilégié; les naasséniens qui avaient allégorisé ce même Evangile et les paroles de Jésus dans les synoptiques. Tertullien nous dit que "les allégories, les paraboles et les énigmes représentaient le mode par excellence d'interprétation du Nouveau Testament par les hérétiques" (Scorpiace [L’Antiscorpion], II,4).
Les Pères grecs établiront donc trois principes de base à leur exégèse: 1) l’AT peut être appliqué en tout point au Christ et à l'Eglise, ce principe fonde l'exégèse typologique; 2) l'Ecriture est une bibliothèque d'oracles dont il faut rechercher le sens caché, cet autre principe fonde l'exégèse allégorique; 3) toute section de la Bible peut être interprétée d'une manière christologique puisque le Christ est le point de référence central de ce livre, cet élément donne naissance à une combinaison de la typologie historique avec l'allégorie et permet de voir des récits du NT comme des préfigurations symboliques du travail du Christ, par l'Esprit, dans l'Eglise. Ces principes indiquent clairement les limites que les Pères grecs ont imposées à leurs travaux exégétiques.
L'Ecole d'Alexandrie
L'école (suite de personnes) qui la première a pratiqué une véritable méthode d'exégèse est celle qu'il est convenu de nommer l'école d'Alexandrie. Elle a donné à l'Eglise ses plus grands exégètes. La caractéristique de cette école a été la recherche du sens allégorique dans l'Ecriture.
Clément d'Alexandrie (vers 150-211/216), prêtre de l'église d'Alexandrie, a utilisé la méthode de Philon - l'allégorie - mais il l'a fait avec réserve. Il a aussi employé les différentes techniques scolaires comme la grammaire, la syntaxe et la rhétorique. Dans son ouvrage Les Stromates, il a expliqué sa méthode et ses principes. Tout est appliqué au donné de la foi. D'après Henri de Lubac, Clément serait le premier inventeur d'une théorie du "quadruple sens" dont nous reparlerons plus loin.
Clément a aussi écrit Le Protreptique et Le Pédagogue dont nous donnons un extrait où il montre qu'Isaac est le type de Jésus:
...Lui-même... Isaac est le type du Seigneur: enfant en tant que fils - puisqu'il était le fils d'Abraham comme le Christ est le fils de Dieu - victime comme le Seigneur. Mais il ne fut pas consumé comme le fut le Seigneur: Isaac se borna à porter le bois du sacrifice, comme le Seigneur celui de la croix. Son rire avait une signification secrète: il prophétisait que le Seigneur nous remplit de joie, nous qui avons été délivrés de la perdition par le sang du Seigneur. Mais Isaac ne souffrait pas. Non seulement donc il réservait, comme c'est naturel, le premier sang de la souffrance au Logos, mais de plus, en n'étant pas immolé, il désigne symboliquement la divinité du Seigneur. Car Jésus, après avoir été mis au tombeau, ressuscita, sans avoir souffert (dans sa divinité) exactement comme Isaac, fut libéré du sacrifice.
(CLEMENT D'ALEXANDRIE, Le Pédagogue, Livre 1, V,23, Sources Chrétiennes no 70, Paris, Cerf, 1960, pp. 151-152).
La manière dont l`exégèse allégorique s'est développée est illustrée aussi par Hippolyte (170-235). L’identité d'Hippolyte est toujours controversée; était-il romain, égyptien ou oriental? Les opinions sont divergentes, mais il reste que ses ouvrages sont inscrits par ordre chronologique sur sa statue retrouvée près de la via Tiburtina. Dans son commentaire sur Daniel, l'histoire de Suzanne est interprétée d'une façon complètement allégorique et le sens littéral du texte est ignoré. Suzanne, c'est l'Eglise. Les vieux représentent les persécuteurs juifs et gentils. Le bain est une image détaillée du baptème chrétien et le savon est l'onction post-baptismale.
Parfois, Hippolyte utilise l'allégorie à la manière de Philon, c'est-à-dire qu'elle n'est plus en lien avec le Christ ou l'Eglise, mais avec des concepts philosophiques ou autres. Son commentaire sur le Cantique des Cantiques témoigne de cette façon d'interpréter. Hippolyte utilise aussi la typologie. Il nous a laissé une oeuvre exégétique considérable. En plus des ouvrages déjà mentionnés, il a écrit les Bénédictions d’Isaac et de Jacob, les Bénédictions de Moïse, David et Goliath et des Homélies sur les Psaumes 1 et 2.
Avec Origène (183/186-252/254), nous sommes en présence du génie qui a le plus marqué l'école alexandrine. Il a été le fondateur du Didascalée, sorte d'université où toutes les sciences humaines ont été mises au service d'une plus grande intelligence de la Parole de Dieu. Il y a enseigné de 212 à 231. L'oeuvre d'Origène est considérable et elle est en grande partie exégétique.
Selon Jérôme, cette oeuvre se divise en trois parties: 1) des scholies qui sont des remarques brèves sur des passages difficiles de l'Ecriture; 2) des homélies qui s'adressent au chrétien en général et dans lesquelles l'auteur explique les livres bibliques; 3) des commentaires complets et détaillés des livres saints destinés aux gens cultivés: son commentaire sur Jean, entre autres, est un véritable chef-d'oeuvre.
Origène a fondé la critique biblique en écrivant ses Hexaples (Les Sextuples). Le but de cet ouvrage a été de présenter avec le plus de précision possible le texte de la Bible qui servait de base à la foi dans les discussions théologiques; et en même temps de faire voir avec exactitude les relations entre l'hébreu et le grec. Origène a donc mis en parallèle, sur six colonnes, les textes et les traductions récentes de l'Ecriture. En voici la liste:
1) le texte hébreu en caractères hébreux;
2) le texte hébreu en caractères grecs;
3) la version d’Aquila;
4) la version de Symmaque;
5) la Septante;
6) la version de Théodotion.
Origène a même eu soin de marquer le texte de la Septante (dorénavant LXX) de signes diacritiques et de petits traits noirs en forme de broches afin de signaler un passage interprété sur des manuscrits anciens. Le manuscrit des Hexaples a été conservé à Césarée et Jérôme l'a consulté au IVe siècle. Il semble qu'il n'existait plus au VIIe siècle.
L'exégèse d'Origène a soulevé certains problèmes. Cependant il a développé de façon admirable des passages empruntés à la typologie antérieure. Il a montré la progression de l'histoire du salut de l’AT jusqu'au NT en exagérant parfois. Tout en ne niant pas le sens historique, il conçoit la Bible comme une allégorie aux mots mystérieux. A-t-il vraiment été compris? Henri de Lubac et Jean Daniélou ont tous deux fait une étude exhaustive de l'exégèse d'Origène pour en arriver à des positions assez différentes. Henri de Lubac en particulier critique l'allégorisme d'Origène de cette façon:
Quand on parle d'excès de symbolisme, d'allégorisine outré que met-on au juste sous ces expressions? S'agit-il d'une trop riche profusion de symboles en sorte que l'erreur serait plutôt dans l'application que dans la substance des choses? S'agit-il au contraire de quelque principe corrosif, qu'une saine exégèse se doit de repousser?
On ne retrouve pas une pensée comme on reconstitue un fait ... Il faut tenir compte de la distance à mesurer entre cet alexandrin du 3e s. et son univers intellectuel et nous, en critiquant son oeuvre...
(HENRI DE LUBAC, Histoire et Esprit, Paris, Aubier, 1950, p. 8).
Origène a de plus, en s'appuyant sur l'oeuvre de Platon (428-348 av. J.-C.), découvert trois sens à l'Ecriture: 1) le sens corporel ou littéral; 2) le sens moral; 3) le sens spirituel. De prime abord, on croit facilement comprendre ces termes, mais au cours des siècles le sens des mots a évolué et lorsque Origène parle du sens littéral, c'est dans un sens beaucoup plus étroit que nous. De plus son sens spirituel comprend notre sens figuré et notre sens typique ou allégorique, Pour ce qui est de son sens moral, il ne l'a jamais expliqué. D'ailleurs, dans la pratique, ce sens se confond avec le sens allégorique.
Origène a compris qu'il était absolument nécessaire d'avoir une bonne méthode pour lire la Bible afin de la mieux comprendre. Cette méthode, il l'a trouvée dans l'Ecriture elle-même:
Dans les Proverbes de Salomon, nous trouvons cette directive concernant les doctrines des divines Ecritures: Et toi, inscris trois fois ces choses dans ta réflexion et dans ta connaissance, afin de répondre avec des paroles de vérité aux questions qui te sont posées. Il faut donc inscrire trois fois dans sa propre âme les pensées des saintes Ecritures afin que le plus simple soit édifié par ce qui est comme la chair de l'Ecriture - nous appelons ainsi l'acception immédiate -; que celui qui est un peu monté le soit par ce qui est comme son âme; mais que le parfait, semblable à ceux dont l'apôtre dit: "Nous parlons de la sagesse parmi les parfaits, non pas de celle de ce siècle ni des princes de ce siècle qui sont détruits, mais nous parlons de la sagesse de Dieu cachée dans le mystère que Dieu a prédestiné avant tous les siècles à notre gloire"... De même que l'homme est composé de corps, d'âme et d'esprit, de même l'Ecriture que Dieu a donnée dans sa providence pour le salut des hommes...
(ORIGENE, Traité des Principes, Tome IV, IV,2,4, Sources Chrétiennes no 268, Paris, Cerf, 1980, pp-311-313).
Il est difficile d'affirmer qu'Origène a suivi ces principes d'une manière cohérente, car s'il reconnaît trois sens à l'Ecriture, il n'en a utilisé que deux. Il a une forte tendance à dissoudre le sens littéral des textes et on a souvent l'impression qu'il rejette l'historicité de certains récits, par exemple les vendeurs chassés du temple. Il nie explicitement la valeur du principe sur lequel se fondait la typologie historique; pour lui, les événements historiques ne doivent pas être considérés comme des types de réalités spirituelles. Il y a de fait dans ses ouvrages tellement d'affirmations contradictoires qu'on ne sait plus très bien quelle valeur il donne au sens littéral par exemple.
Ce qui est certain, c'est qu'Origène est un des grands interprètes de la méthode allégorique. Voici comment il allégorise la parabole du bon samaritain (Homélies en Luc, 34): l'homme blessé, c'est Adam. Jérusalem, le paradis. Jéricho, le monde. Les bandits, les forces hostiles. Le samaritain, le Christ. Les blessures, la désobéissance. L’âne, le corps du Christ. L'hôtel, l'Eglise. La promesse du samaritain de revenir, la parousie.
Origène a été le premier à questionner l'exactitude de la Tradition au sujet des auteurs des divers écrits du NT. Pour parvenir à une réponse, il a utilisé la critique du style. Voici ce qu'il dit à propos de la lettre aux Hébreux:
Quant à moi, si je devais donner mon opinion, je dirais que les idées sont celles de l'apôtre, mais que le style et la composition appartiennent à quelqu'un qui rappelle l'enseignement de l'apôtre et, tel que cela est, paraphrase ce que son maître a dit ... Mais qui a écrit l'épître, en vérité Dieu seul le sait.
Parmi les autres représentants de l'école d'Alexandrie, nous retrouvons Denys d’Alexandrie (mort en 264), élève d'Origène. Denys a commenté l'Ecclésiaste. Les principes de son exégèse sont inclus dans son ouvrage Sur les promesses; c'est une réponse à un évèque égyptien qui avait écrit contre l'allégorisme.
Denys croit qu'à l'aide de la critique historique, on peut porter un jugement final sur les auteurs des écrits du NT. Il étudie particulièrement l'Apocalypse en rapport avec les autres écrits attribués à Jean. Et il conclut, en indiquant les différences linguistiques et stylistiques, que l’Apocalypse n'a pu être écrite par l'auteur de l’Evangile et des lettres.
Enfin Didyme l'Aveugle (313-398), un autre disciple d'Origène a laissé des commentaires dont les fragments révèlent sa méthode d'interprétation: l'Ecriture a deux sens, le sens spirituel et le sens littéral. Le premier est supérieur au second et c'est pour cette raison que les Juifs font de la mauvaise interprétation. Didyme a expliqué les Evangiles et les lettres en se servant plutôt du sens littéral et sa prudence en employant l'allégorie s'explique par le fait qu'il a vécu les controverses ariennes.
L'école d'Antioche
L'école d'Antioche a commencé ses activités avant la disparition de l'école d'Alexandrie. Sa caractéristique a été la recherche du sens littéral de l'Ecriture (le sens littéral englobant la typologie). Elle semble à l'opposé de l'école d'Alexandrie. Elle a d'ailleurs été fondée devant les dangers que présentait l'allégorisme. Elle a compris l'activité de l'écrivain sacré comme étant tout à la fois historique et contemplatif (theôria). Pour les Antiochiens, le sens littéral ou historique de l'Ecriture inclut le sens typique ou messianique alors que pour les Alexandrins il faut ajouter le sens allégorique au sens littéral et originel.
A Antioche, vers les années 260/270 une ancienne méthode historico-grammaticale venue de Rome a fait son apparition. Employée par un certain Théodote (fin du IIe siècle) et ses disciples, elle a servi à corriger les exemplaires du texte sacré. La méthode était très rigoureuse puisqu'elle était utilisée par les géomètres et les autres savants des sciences exactes.
Lucien d'Antioche (mort en 312) a enseigné la révélation divine à l'aide de la grammaire et de l'histoire; il a été un des pionniers de l'école antiochienne, mais le véritable fondateur a été Diodore de Tarse (mort en 390). Diodore a posé comme principe qu'il faut autant que possible préférer le sens historique à l'allégorique.
Pour les exégètes de l'école, chaque passage de l'Ecriture a un sens littéral propre ou figuré. Afin de trouver ce sens, ils ont adopté les postulats suivants: a) considérer attentivement le génie de la langue hébraïque et le génie de la langue grecque; b) comparer les passages similaires des auteurs sacrés; c) expliquer le texte grammaticalement et historiquement.
Tout exégète consciencieux doit donc en premier lieu trouver le sens littéral et jamais ce sens ne doit être qualifié de contradictoire ou d'inutile. Si cela se produisait, la cause serait soit dans l'incompréhension du texte soit dans le manque de sérieux au moment de l'examen du texte. Il y aurait eu une faille dans l'utilisation de la grammaire ou de l'histoire.
Le grand génie de l'école d'Antioche a été Théodore de Mopsueste (350-428). Exégète d'une exactitude scientifique peu commune, il a été le promoteur de l'exégèse historique. Il a laissé de nombreux commentaires bibliques et assez curieusement, il est le seul à avoir interprété le Cantique des Cantiques comme un poème d'amour humain. Son commentaire sur les Psaumes dits messianiques; a été à l'origine de sa condamnation au 5e concile de Constantinople en 563. Cet anathème prononcé par l'Eglise cent vingt-cinq ans après sa mort a terni sa mémoire. Mais sans les exagérations de son disciple Nestorius (vers 380-451), Théodore et ses oeuvres auraient-ils subi le même sort? L'histoire semble vouloir lui rendre justice même si les opinions sont encore partagées à son sujet.
Le rationalisme qu'on lui a justement reproché est cependant bien loin du rationalisme exégétique de notre temps. Pour Théodore de Mopsueste, la vision prophétique ou theôria se situe dans le contexte de la théorie des deux "catastases" qui est à la base de tout son système théologique. La première catastase, c’est le monde qui passe, la vie présente et son cadre; la seconde, c'est l'état futur, notre conformité avec le Christ... Autrement dit, types et prophéties, histoire et theôria sont ordonnées à la seconde catastase, au siècle futur inauguré en ce monde. Rien de plus traditionnel qu'une pareille perspective, dans le contexte de laquelle on se demande spontanément quelle relation pourrait exister entre la theôria antiochienne et les vues de certains exégètes et théologiens de notre temps sur le sens plénier des Ecritures.
(BERTRAND DE MARGERIE, Introduction à l'histoire de l'éxégèse, 1, Les Pères grecs et orientaux, Paris, Cerf, 1980, pp. 208-210).
Théodore a mis beaucoup d'emphase dans l'interprétation littérale et historique. Il reconnaît qu'il y a des contradictions dans la Bible et il refuse d'harmoniser les textes. Il soutient que Marc et Luc n'étaient pas des disciples de Jésus et il s'objecte contre toute interprétation qui nie la réalité historique rapportée dans un texte. Toutefois, sa conception de l'histoire l'a poussé à ne pas trouver de place pour la littérature sapientielle dans sa théologie.
Il a été le premier à appliquer une forme rudimentaire de critique littéraire à certains livres de l’AT. Ainsi, il attribue la composition de certains psaumes à des Juifs de la période maccabéenne; il soutient que les livres des Psaumes ont été ajoutés à l'époque d'Ezéchias et de Zorobabel; il affirme que l'auteur du livre de Job n'était pas un Juif; il soutient une interprétation littérale du Cantique des Cantiques et considère ce livre comme une composition érotique. C'est donc avec Théodore de Mopsueste qu'apparaît une certaine méthode exégétique qui étudie le texte biblique pour lui-même.
Jean Chrysostome (347-407) n'a pas été un exégète, mais dans ses homélies on retrouve des traces d'une interprétation plus ou moins typologique. Il a eu le souci de toujours tirer des leçons morales de l'Ecriture. On a un bon exemple de la façon de procéder de Jean Chrysostome dans son Homélie sur les Actes des Apôtres, 3,1.2 (traduction française dans La Liturgie des Heures, II, Paris, Cerf, pp. 1337-1338):
En ces jours-là, Pierre se leva au milieu des disciples et parla. Parce qu'il est fervent, lui à qui le troupeau avait été confié par le Christ, et parce qu'il est le premier du groupe, il est toujours le premier à prendre la parole.
Frères, il faut choisir parmi nous. Il remet la décision à la foule, il rend les candidats dignes de respect, et il écarte toute animosité envers les autres. Car les décisions importantes engendrent toujours de pareils inconvénients.
Quoi donc? Est-ce que Pierre ne permettait pas au groupe de choisir? Certes, mais pour qu'il ne paraisse pas avoir des préférences, il s'abstient. Autrement le Saint-Esprit aurait été laissé à l'écart. On en présenta deux, disent les Actes, Joseph Barsabbas, surnommé Justus, et Matthias. Ce n'est pas Pierre qui les a présentés, mais tous les assistants. Quant à lui, il a fait une proposition en montrant qu'elle ne venait pas de lui, mais qu'elle remontait à une prophétie. Il s est conduit comme un interprète, non comme un maître.
Même s'il a commenté un bon nombre de livres saints, Jean Chrysostome n'a jamais défini ses règles d'interprétation. Il reste toujours important à consulter en raison de son excellente connaissance du grec, et cela pour des raisons philologiques, mais aussi pour la richesse de certains de ses commentaires notamment de Paul et de Jean.
Théodoret de Cyr, (393-466), disciple de Théodore, a été le dernier maître assez représentatif de la méthode d’Antioche. Il a commenté la Bible presque dans sa totalité. Ses écrits sont présentés sous forme de questions et de réponses, et certains sont des commentaires suivis. Une grande modération et une grande loyauté caractérisent son oeuvre. Les siècles qui l'ont suivi nous ont transmis ses explications dans les "chaînes". très souvent les explications des Pères sont regroupées autour des commentaires de Théodoret.
Pour conclure ce survol rapide de l'histoire des deux écoles d'Alexandrie et d'Antioche, il faudrait reconnaître que la première n'a pas rejeté tout sens littéral et que la seconde a accepté un certain sens symbolique. Ce qui importe le plus, c'est qu'elles nous ont laissé un même héritage de foi en l'inspiration de l'Ecriture.
Entre les Pères des deux grandes écoles prennent place les Pères palestiniens, syriaques et cappadociens. Ces divers écrivains se sont attachés à préciser la signification des termes et des mots d'après le lexique ou la langue ordinaire des Ecritures. Ils ont tenu compte du contexte pour expliquer les passages difficiles ou controversés et, tout en se servant de l'interprétation allégorique, ils ont fait faire un grand pas à l'exégèse littérale et historique.
En tant que représentant des Pères palestiniens, nous retrouvons Eusèbe de Césarée (265-340). On peut le rapprocher de l'école d'Alexandrie puisqu'il a composé une apologie sur Origène.
Connu surtout parce qu'il est l'auteur de L'Histoire ecclésiastique, Eusèbe de Césarée a été un disciple d'Origène au plan biblique. Au niveau de la critique textuelle, il a été un des premiers, lorsqu'il se réfère aux traductions de l’AT faites par Aquila (IIe siècle), Symmaque (mort à la fin du IIe siècle) ou Théodotion (mort à la fin du IIe siècle), à préférer parfois leurs leçons à celles de la LXX qui jouissaient déjà d'une grande vénération.
Du côté des Pères syriaques, Ephrem (306-373) occupe une place à part et l'exégèse récente montre de l'intérêt pour ses écrits. Il a toujours et avant tout pratiqué une exégèse littérale en expliquant le texte biblique verset par verset. Son oeuvre majeure est son commentaire des premiers chapitres de la Genèse qu'il a étudiés avec soin sous la lumière du NT.
Ephrem incarne une exégèse non grecque, proche du terroir sémitique de l’AT, tout comme d'une approche plus judéo-chrétienne et plus orientale des Ecritures que celle de beaucoup d'autres Pères; de plus, il n'est pas exclu qu'il se trouve, du moins en partie, à l’origine même de l'école d'Antioche et de sa theôria comme de sa manière propre de lire L’AT.
(BERTRAND DE MARGERIE, Introduction à l’histoire de l'exégèse, I. Les Pères grecs et orientaux, Paris, Cerf, 1980, p. 165)
Parmi les Pères cappadociens, il faut signaler Grégoire de Nysse (332-394). Il a été le véritable Cappadocien. C'est lui qui a subi le plus l'influence d'Origène. Il a suivi les méthodes alexandrines, mais en respectant l'explication littérale des textes sacrés. Il nous a laissé son opinion sur l'exégèse:
La divine Ecriture n'emploie pas les récits historiques seulement pour nous communiquer la connaissance des faits qui nous apprennent les actions et les sentiments des Anciens, mais afin de nous suggérer un enseignement en vue de la vie selon la vertu. L'histoire doit recourir à une intention plus élevée.
(GUSTAVE BARDY, "Interprétation", DBS 4 (1949) col. 578).
e) 1es Pères latins
Hilaire de Poitiers (315-367) a laissé un ouvrage important: Le Traité des mystères qui inaugure la série des grands exégètes latins. Il démontre que l’AT est, dans son entier, la préfiguration du Nouveau. Ses commentaires sur Matthieu, sur Job et sur les Psaumes de même que sur certains passages des lettres de Paul et de l'Evangile de Jean mettent en relief le sens spirituel: Çtout ce qui est dit dans les psaumes doit être compris selon le message évangélique et tout se rapporte à la connaissance de l'événement du Christ".
Avec Hilaire de Poitiers, l'exégèse grecque, surtout celle de l'école d'Alexandrie a fait son entrée en terrain latin. Ce Père a utilisé de façon remarquable la méthode allégorique et typologique. Il a été le premier des latins à assimiler et à exploiter l'héritage d'Origène en exégèse.
Ambroise de Milan (340-397) a été, lui aussi, un allégoriste; il s'est inspiré de Philon et d'Origène. Cependant, il a su se garder des excès de la méthode parce que, avant de rédiger ses commentaires, il les a d'abord prêchés. Il n'a pas de principes absolus, mais il distingue souvent entre la lettre et l'esprit. Parfois, comme Origène, il trouve trois sens à l'Ecriture: le sens naturel, le sens moral et le sens mystique. Pourtant il ne préconise aucune règle qui aiderait à découvrir ces sens. En fait, il a été plus orateur qu'exégète.
Augustin d'Hippone (354-430) a toujours été considéré comme un des grands exégètes de l'Eglise. Son activité a été efficace au plan exégétique. Il a avancé l'hypothèse de 1'interdépendance des deux Testaments: "Dieu inspirateur et auteur des livres de l'un et l'autre Testaments... les a en effet sagement disposés de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l’Ancien et que, dans le Nouveau, l’Ancien soit dévoilé" (Questions sur l’Heptateuque, 2,73).
Son ouvrage De Doctrina Cbristiana [De la doctrine chrétienne] a eu une influence très grande sur tous les écrivains du Moyen åge parce qu'il contient une méthode d'interprétation de l'Ecriture.
Un des principes fondamentaux d’Augustin, c'est de faire la différence entre le sens littéral et le sens figuratif. Ainsi, tout ce qui ne conduit pas à une bonne morale et à la vraie foi est figuratif; de plus, si quelque chose de mauvais est appliqué à Dieu ou à un juste, on doit le prendre au sens figuratif. Augustin note avec beaucoup d'à propos que les coutumes changent et qu'il faut tenir compte de ce fait dans l'explication d'un texte.
Il a commenté quatre fois, peut-être cinq, les premiers chapitres de la Genèse: le premier et le quatrième commentaires sont allégoriques alors que le deuxième et le troisième sont littéraux, mais tous sont restés inachevés. il a aussi publié des Questions sur l’Heptateuque, un début de commentaire sur Romains, un commentaire sur Galates, des homélies sur l'Evangile et la première lettre de Jean.
Augustin a employé l'allégorie et le symbolisme dans ses interprétations de l’Ecriture. Mais ce qui était pour lui essentiel, c'était l'amour.
Le point capital de tout ce que nous avons dit... est de comprendre que la plénitude et la fin de la loi comme de toutes les divines Ecritures, c'est l'amour (Rm 13,10; 1 Tm 1,5), l'amour de l'ætre dont nous devons jouir et de l'être qui peut en jouir avec nous... Quiconque s'imagine avoir compris les Ecritures ou du moins une partie quelconque d'entre elles sans édifier, par leur intelligence, ce double amour de Dieu et du prochain, ne les a pas encore comprises. Mais quiconque, d'autre part, tire de son étude une idée utile à l'édification de la charité, sans rendre pourtant la pensée authentique de l'auteur, dans le passage qu'il interprète, ne fait pas d'erreur pernicieuse... En tout cas, quiconque, dans les Ecritures, pense autrement que l'écrivain se trompe, vu qu'elles ne mentent pas. Pourtant... s'il se trompe tout en donnant une interprétation qui édifie la charité, fin de précepte, il se trompe à la façon d'une personne qui, par erreur, abandonnerait la route et poursuivrait sa marche à travers champs, vers le point où, d'ailleurs, cette route conduit. Il ne faut pas moins corriger son erreur et lui montrer combien il est plus utile de ne pas abandonner la route de crainte qu'en prenant l'habitude de dévier il ne soit forcé d'aller jusqu'à des voies transversales et perverses. En affirmant à la légère une pensée que n'a pas eue celui qu'il lit,... en aimant cette pensée, il fait offense à l'Ecriture plus qu'à lui-même.
(BERTRAND DE MARGERIE, Introduction à l’histoire de l'éxégèse, 3. Saint Augustin, Paris, Cerf, 1983, p. 34).
Cependant on doit dire que l'oeuvre d'Augustin est limitée si on la compare avec celles d'Origène ou de Jérôme. De plus ses connaissances plutôt pauvres de l'hébreu et du grec ne lui ont pas aidé. même s'il a utilisé parfois les textes hébreux ou grecs, il travaillait à partir du texte latin. Il n'a pas réalisé le programme qu'il avait tracé à l'exégète dans De la doctrine chrétienne (II, 11, 16) en soulignant que le grand remède à l'ignorance était la connaissance des langues. Et souvent ses prédications où, en somme, on retrouve son exégèse n'échappent pas aux abus de l'allégorisme. A la fin de sa vie d'ailleurs, Augustin a été conscient de ses limites. C'est pour cela qu'il a publié ses Retractationes [Révisions] en 426-427.
Il faut aussi signaler un auteur dont nous ignorons le nom mais que l'on désigne comme l'Ambrosiaster (IVe siècle). exégète consciencieux, il a mis en relief le sens historique et le sens littéral. Son commentaire des épîtres de Paul est peut-être le plus important parmi les commentaires latins. Son ouvrage est écrit avec beaucoup de clarté.
En Occident, c'est Jérôme (347-420), prêtre de Dalmatie et moine à Bethléem, qui a été le plus grand exégète latin. Nul avant lui, ni en Orient, ni en Occident n'a montré autant de respect pour la vérité du texte hébreu. Spécialiste de la philologie et des études bibliques, Jérôme était un excellent linguiste, il savait le grec et l'hébreu parfaitement.
Jérôme a suivi des cours d'Apollinaire de Laodicée (vers 310-vers 390) de l'école d'Antioche, du Cappadocien Grégoire de Naziance (vers 329-vers 389) et de Didyme de l'école d'Alexandrie.
Au début de son oeuvre, il suit les principes d'Origène et il trouve trois sens dans l'Ecriture. Mais il laisse souvent tomber le sens moral pour ne conserver que le sens spirituel et le sens littéral. Les commentaires qu'il a écrits à la fin de sa vie trahissent en particulier un grand intérêt pour le sens littéral.
Admirateur d'Origène, il a fait son éloge et il s'est inspiré de ses idées. De plus, il a traduit un bon nombre de ses oeuvres homilétiques et souvent il l'a copié. Après les controverses qui ont terni la mémoire et l'oeuvre du maître, Jérôme a quand même gardé pour lui un grand respect. Cependant il est très prudent dans ses citations. Alors qu'Origène s'était servi de la LXX pour ses commentaires, Jérôme a affirmé la nécessité de revenir au texte hébreu pour expliquer la Bible: attitude qui lui a valu bien des critiques.
En 382, le pape Damase I (mort en 384) lui a demandé de faire une révision des Evangiles, travail qu'il a exécuté, mais on ne sait pas s'il a aussi traduit les Epîtres, les Actes et l’Apocalypse. Pour ce qui est de l’AT, il l'a traduit à partir du texte hébreu tout en se servant des traductions grecques de la LXX, d'Aquila, de Symmaque et de Théodotion. A partir du XVIe siècle, cette traduction de la Bible a été connue sous le nom de Vulgate et elle a influencé des générations de chrétiens.
Jérôme a de plus laissé un ouvrage ayant comme titre Liber de Nominibus Hebraïcis [Livre sur les noms hébreux] qui contient tous les noms propres de l’AT et du NT avec leur signification traditionnelle (l'étymologie n'est pas encore née) et une traduction d'un livre d'Eusèbe de Césarée Liber de Situ et Nominibus Locorum Hebraïcorum, [Livre sur la contrée et sur les noms de lieux hébreux] qui donne les noms de villes, montagnes, rivières... de la Bible.
Soucieux de poursuivre son oeuvre et de préserver la liberté de ses recherches, il ne s'est jamais rattaché à une église particulière et il a refusé tous les honneurs ecclésiastiques. Ses traductions, ses commentaires et ses polémiques lui ont fait une place à part au service de l'Eglise universelle. il a vraiment excellé dans la critique des textes.
Avec son Liber regularum [Livre des règles], Tyconius le Donatiste (vers 330-vers 390) a écrit une sorte de manuel d’exégèse: son but est d'éviter un littéralisme trop brutal d'une part et un allégorisme poussé à l'extrême d'autre part. Il a donc dégagé certaines règles qui serviront de guide au voyageur dans l'immense forêt de la prophétie. Voici quelques-unes de ces règles:1) ce qui est dit du Christ peut aussi s'appliquer à l'Eglise; 2) dans un même passage, l'allusion peut être faite au Christ seulement, mais parfois à l'Eglise et parfois aux deux; 3) le corps du Christ est composé de deux parties, l'une bonne et l'autre mauvaise, qui correspondent au côté droit et au côté gauche; 4) il faut distinguer entre le genre (la prophétie qui contient un principe général sur la façon dont Dieu s'adresse aux hommes) et l'espèce (un exemple particulier de prophétie). Il n'est toutefois pas assuré que de telles règles aient vraiment contribué à faire avancer l'exégèse.
On a assisté à un début intéressant de critique textuelle dans un livre de Cassiodore (mort en 562) intitulé De Institutione Divinarum Scriptuarum [De l'enseignement des Ecritures divines]. L'auteur y indique une méthode pour étudier les textes bibliques, mais on n'y trouve rien de vraiment nouveau. Souvent Cassiodore reprend ce que d'autres auteurs ont dit avant lui.
Après la mort de Jérôme et avec la fin du IVe siècle, l'exégèse alexandrine a dominé en Occident. De son côté l'exégèse d'Antioche a exercé un peu d'influence mais à la suite de l’anathème prononcé contre Théodore de Mopsueste au concile de Constantinople en 563, l'héritage antiochien a été considéré comme inquiétant, sinon dangereux.
L'exégèse patristique a été une étape importante dans l'histoire de l'interprétation de l'Ecriture malgré les oppositions entre les différentes écoles. Les exégètes de cette époque ont eu à coeur d'expliquer les livres saints dans le but d'instruire les chrétiens et de raffermir leur foi.
4. L'interprétation de la Bible au Moyen Age
Au Moyen åge les écoles d'Alexandrie et d'Antioche n'existent plus, mais on doit différencier l'exégèse orientale de l'exégèse occidentale. La première ne retiendra que très peu notre attention; nous essaierons plutôt de développer la seconde qui nous concerne davantage.
L'exégèse orientale, la byzantine plus particulièrement, nous a transmis: a) des commentaires plus ou moins suivis; b) des "chaînes" qui souvent ne fournissent pas les sources d'où elles proviennent et qui presque toujours sont anonymes; c) des recueils de questions et de réponses sur des passages scripturaires dans lesquels on découvre une certaine originalité.
Ë travers les "chaînes" on ne peut pas cependant distinguer les tendances des deux grandes écoles patristiques. Mais les exégètes byzantins sont toujours restés plus ou moins fidèles à la recherche littérale. Et il faut reconnaître qu'ils nous ont conservé des fragments très précieux de l'exégèse des Pères.
Parmi eux, on retrouve: a) les exégètes nestoriens fidèles aux principes de Théodore de Mopsueste; b) les exégètes monophysites qui sont répartis en trois groupes: ceux de l’Eglise copte-égyptienne, ceux de l'Eglise syrienne, ceux de l’Eglise arménienne. Jacob d’Edesse (640-708) a déjà été présenté comme le Jérôme des monophysites syriens. Il connaissait le grec et l'hébreu et il a entrepris une révision du texte vétérotestamentaire de la Peshitta à partir des Hexaples.
En Occident, l'histoire de l'exégèse du Moyen åge s'étend sur un millénaire (604-1500) que l'on divise en deux périodes: 1) le Haut Moyen åge, de Grégoire le Grand (VIIe siècle) à Bernard de Clairvaux (XIe siècle), période qui a peu de valeur au plan strictement intellectuel bien qu'il y ait des exceptions; 2) le Bas Moyen åge, de Bernard de Clairvaux à la Réforme (XVIe siècle), période qui renferme des richesses souvent méconnues surtout aux XIIe et XIIIe siècles.
C'est au cours de cette époque que, tout en continuant la Tradition, l'exégèse s'est organisée et stabilisée dans la théorie des "Quatre Sens" que nous croyons utile d'expliquer avant d'aborder l'histoire de ce millénaire biblique.
Cette théorie a été conservée à travers les oeuvres de certains auteurs et il semble que ce soit Augustin de Dacie (XIIIe siècle) qui l'a fixée dans des vers pour en faciliter la mémorisation:
Littera gesta docet; [le sens littéral enseigne ce qui est arrivé)
quid credas allegoria; [l'allégorie, ce qu'on doit faire]
moralis quid agas; [le sens moral, comment on doit se comporter]
quo tendas anagogia. [le sens anagogique, où l'on va].
Le premier sens est le sens littéral qui consiste à donner la réalité des faits, l'histoire, telle qu'elle est écrite. Le sens littéral d'un texte est le fondement de toute compréhension historique. A ce niveau d'exégèse, on accepte les mots sans critique.
Le deuxième, le sens spirituel se subdivise en sens allégorique, en sens tropologique et en sens anagogique.
Le sens allégorique ou typologique permet de lire l’AT à la lumière de la résurrection du Christ. Le rôle de l'allégorie est de pénétrer le mystère de Jésus et de construire la compréhension de ce mystère en édifiant la foi en plus d'orienter vers le mystère de l'Eglise qui est le Christ prolongé dans son peuple.
Le sens tropologique ou moral est la compréhension de l'Ecriture appliquée à la vie chrétienne. C'est par cette interprétation que l’AT en passant par le vécu du Christ et de son Eglise devient accessible à tous les chrétiens.
Le sens anagogique fonde l'espérance chrétienne. En effet le mystère du Christ et de l'Eglise se résume en somme par la marche du peuple de Dieu vers l'en avant de l'histoire. Si la venue du Christ dans la chair est expliquée par les prophéties d'une façon allégorique, sa venue dans l'eschatologie ou la vie future est expliquée par anagogie.
a) De Grégoire le Grand à Bernard de Clairvaux (604-1153)
La caractéristique de cette première partie du Moyen åge a été de faire de l'exégèse allégorique. Les travaux ont consisté en travaux d'abréviation et de vulgarisation. La recherche reste plutôt dans le statu quo. Avec le monachisme croissant on assiste à l'apparition des traités de spiritualité. Malgré l'absence de travaux scientifiques au sens strict du terme, les commentaires pieux ont assuré une tradition sans laquelle nous n’aurions pas conservé les précieux écrits patristiques. Durant ces cinq cents ans, l'Eglise a cheminé selon le rythme de l'époque.
Et on ne peut pas reprocher aux écrivains de ne pas avoir fait une recherche plus poussée du texte biblique puisqu'ils ne bénéficiaient d'aucune de nos techniques modernes. D'ailleurs les controverses et les hérésies ont provoqué cette situation. On explique donc les textes sacrés à partir des commentaires patristiques. Les interprètes craignent l'erreur et ils n'osent pas présenter une oeuvre personnelle. Mais grâce à cette attitude, ils nous ont transmis les anciens commentaires à travers les "chaînes".
De fait, durant toute cette période, les exégètes dépendront d'une façon ou d'une autre des travaux de Grégoire le Grand (540-604) ou encore se contenteront de reprendre les différentes interprétations des Pères. Grégoire a montré qu'il y avait des différences entre l’AT et le NT, mais aussi une continuité et un progrès. Dans ses commentaires bibliques, il insiste avec force sur l'importance du sens littéral et sur le respect de l'histoire. même s'il utilise l'allégorie, il met en garde contre un emploi excessif. Sa méthode a trois niveaux: 1) il faut d'abord chercher le sens historique d'un texte; 2) il faut ensuite construire le sens typique à partir du sens historique; 3) enfin, il faut déduire le sens moral du sens historique. En encourageant le monachisme, il a en quelque sorte été l'initiateur d'une interprétation de l'Ecriture à tendance surtout spirituelle. On a un bon exemple de son type d'exégèse dans son Commentaire sur le Livre de Job, 10,7-8 (traduction française dans La Liturgie des Heures, III, Paris, Cerf, 1980, pp, 100-101):
L'amour prend patience, parce qu'il supporte avec calme le mal qu'on lui fait. Il est serviable, parce qu'il distribue généreusement le bien, en échange du mal. Il ne jalouse pas, parce que, ne désirant rien dans le monde présent, il ignore la jalousie à l'égard des réussites terrestres. Il ne se gonfle pas d'orgueil, parce que, désirant ardemment la récompense intérieure, il ne s'enorgueillit pas des biens extérieurs. Il ne fait rien de malhonnète, parce que, du fait qu'il s'épanouit seulement dans l'amour de Dieu et du prochain, il ignore tout ce qui s'écarte de la rectitude.
Isidore de Séville (560-636) n'a écrit aucun commentaire complet, mais il a fait de nombreuses introductions à différents livres bibliques. Il a élaboré des instrumenta studiorurn [documents pour les études] qui seront en vogue pendant tout le Moyen åge. A partir des travaux de Jérôme, il a composé des Etymologiae [Etymologies] (explications des noms propres, dates, nombres et événements retracés (dans la Bible).
Bède le Vénérable (673-735) a composé des ouvrages sur la méthode exégétique. Cependant, on n'y décèle rien de nouveau sauf peut-être l’attention spéciale qu'il porte aux figures de rhétorique et la retenue qu'il manifeste dans l'utilisation de l'allégorie. Il résume en quelques mots l'exégèse médiévale dans une lettre qu'il écrit à l'évêque Acca où il dit que les Pères sont lus assidément, que ces derniers fournissent l'intelligence des Ecritures et qu'on emprunte jusqu'à leurs expressions, à tel point que les auteurs ne font souvent que transcrire les textes patristiques, qu'ils amalgament ces mosaïques par des formules de liaison, sans exprimer pour autant leur opinion personnelle.
La façon ou la méthode d'interpréter de Bède le Vénérable se caractérise par le sens de la Tradition et par une fidélité étroite, rigoureuse et souvent servile à l'exégèse patristique, à ses principes et à ses méthodes de même qu'à ses conclusions.
Dans la seconde moitié du VIIIe siècle, on assiste à un regain des travaux exégétiques. Maurdramme, abbé de Corbie de 772 à 781, a publié une Bible en douze volumes dont cinq sont conservés. Il semble être un précurseur de la révision du texte biblique. Son ouvrage montre clairement qu'il a un grand souci de l'orthographe. Alcuin (735-804) a entrepris, lui aussi, une révision de la Vulgate en se basant sur des manuscrits anciens.
Raban Maur (780-856), savant bénédictin, avait pour méthode d'expliquer le texte par de courtes gloses grammaticales, historiques et théologiques. En réalité, il se contentait le plus souvent d'emprunter aux travaux des exégètes du passé. Après avoir réuni quelques éclaircissements autour d'un texte donné, il organisait des développements ultérieurs et complémentaires d'une façon plus systématique de la doctrine révélée. Tout était codifié dans un manuel de questions et de réponses... manuel vulgarisé. La seule règle absolue qu'il a fixée est celle de la non-contradiction avec les passages de l'Ecriture.
Raban Maur a laissé plusieurs commentaires qui ne sont souvent que des abrégés d'Origène. Il explique sa méthode dans Allegoriae in Scripturam Sacram [Allégories dans l’Ecriture Sainte]; c'est la méthode des "quatre sens".
Au IXe siècle, la Bible en un volume s'est généralisée. Au Xe siècle, on a composé surtout des ouvrages qui avaient pour but de faire connaître la Bible ou qui s'en inspiraient. Voici quelques auteurs qui ont participé à ces ouvrages: Odon de Cluny (mort en 942), Bruno de WŸrzburg (mort en 1045) et Berno de Reichenau (mort en 1048).
Au XIe siècle, toute l'étude de la Bible a été orientée vers la vie spirituelle dans les monastères, ce qui a eu pour conséquence de ne rien apporter d'original aux méthodes exégétiques. On peut toutefois souligner les noms des auteurs suivants: Pierre Damien (vers 1007-1072), Otloh de Saint-Emmeran (mort en 1073), Jean de Fécamp (mort en 1078) et Lanfranc (1005-1089) qui a enseigné la Bible et écrit des commentaires des Psaumes et des épîtres pauliniennes.
b) de Bernard de Clairvaux à la Réforme (1153-1500)
Durant la deuxième partie du Moyen åge, nous assistons à un renouveau. La grande caractéristique de cette période a été la tendance à distinguer l'exégèse de la théologie. Au XIIe siècle, les exégètes savent, malgré leur engouement pour l'allégorie, qu'il y a des règles à suivre lorsqu'ils commentent l'Ecriture. Ils connaissent les règles de Tyconius qu’Augustin avait autorisées. Ils connaissent aussi la théorie des "quatre sens" que nous avons déjà expliquée.
Les maîtres collectionnent des "Sentences". Ces dernières sont tout simplement des florilèges, des anthologies des écrits patristiques. A l'aide de ces "Sentences", ils illustrent leur doctrine. Peu à peu, les "Sentences", deviendront les "Sommes", et lentement la théologie se détache de l'exégèse.
Vers le XIIe siècle les gloses de la Bible font leur apparition. C'est une mise en page du texte biblique qui comporte trois éléments placés en colonnes: 1) au centre de la page, le texte d'un livre est écrit en gros caractères; 2) de chaque côté de ce texte, on a transcrit des gloses appelées marginales qui expliquent un passage obscur et qui sont identifiées par des signes; 3) dans les intervalles des lignes du texte central, on a copié des gloses interlinéaires qui, placées sous un mot, éclairent le sens de ce mot.
même si les gloses existaient déjà de manière sporadique, c’est Anselme de Laon (1050-1117) qui a mis sur pied un véritable centre d'exégèse où la glose a été travaillée dans le but d'édifier les gens et de réformer la société. Anselme est entouré d'une équipe de personnes compétentes telles que Guillaume de Champeaux (1070-1121), Albéric de Reims (mort en 1141) et Raoul, son frère (mort en 1131/1133). Après avoir glosé les Psaumes, les épîtres de Paul, le Cantique des Cantiques et l'Apocalypse, il forme le projet d'une glose complète de la Bible. Dans son école, la Bible occupe la première place, elle dépasse l'enseignement des arts libéraux qui étaient à l'honneur à l'époque. Anselme a aussi étudié la généalogie du Christ et s'est intéressé à la géographie de la Palestine.
Ë la fin du XIIe siècle, en France du Nord, on essaie de concurrencer les gloses de Laon, cependant c'est à Paris semble-t-il, avec Pierre Lombard (1100/1110-1160), que la glose se perfectionne de plus en plus. Lombard a réussi à imposer sa propre glose qu'il cite dans ses Sentences et qui sera le manuel-clé de tout l'enseignement théologique jusqu'au XVIe siècle.
Il ne faut pas négliger de mentionner l'oeuvre de Bruno le Chartreux (1035-1101) qui aurait écrit un commentaire des Psaumes et un autre des épîtres de Paul. Le commentaire des Psaumes est particulièrement intéressant parce que l'auteur introduit la Questio - la question -: si un texte prêtait à discussion à cause des anciens commentaires, on discutait sur les différentes opinions.
Le commentaire des épîtres - qui est plutôt d'un disciple de Bruno semble-t-il - est remarquable par sa méthode: 1) la recherche de la raison pour laquelle Paul a écrit l'épître (causa); 2) le sujet qui y est traité (materia); 3) l'intention de l'apôtre (intentio) en rédigeant le texte.
Bernard de Clairvaux (1090-1153), lui, a été un grand prédicateur et un grand théologien, mais il n'a jamais été un exégète. Toutefois son influence extraordinaire sur toute l'Eglise a duré trente ans, et aujourd'hui encore ses oeuvres, sont lues. Il n'a rien apporté de neuf au niveau de la méthode pour lire la Bible et la commenter.
Rupert de Deutz (vers 1070-1129) a été le premier à dissocier l'autorité des écrivains sacrés inspirés de celle des docteurs de l'Eglise. Pour suivre ces derniers, il faut qu'ils appuient leurs assertions sur l'autorité apostolique ou sur des raisons très solides. Il est intéressant de remarquer que Rupert n'a jamais accepté une autorité doctrinale détachée de celle des. Apôtres.
Enfin, la Bible redevient l'objet d'une étude scientifique. C'est ainsi que des écoles seront fondées: celle du cloître de Notre-Dame de Paris, celle de Sainte-Geneviève et surtout celle de Saint-Victor.
Ë l'école Sainte-Geneviève, c'est Abélard (1079-1142) qui est à la tête du renouveau. Il ne faut plus simplement lire la Bible et quelques commentaires patristiques. On doit grouper les textes sacrés en tenant compte de leur doctrine et ce travail se fait selon un ordre bien défini par la logique. Abélard a révolutionné les méthodes et les idées. Il a été accusé de "fabriquer des dogmes" et de "lancer une théologie nouvelle". Néanmoins il faut admettre qu'il avait une intelligence supérieure. On voit un peu sa manière de fonctionner dans l'extrait suivant:
David, le plus grand des prophètes et des rois qui, mettant son intelligence au-dessus de celle de tous les autres, dit: J'ai compris plus que tous ceux qui m'ont enseigné, j'ai compris plus que les vieillards (Ps 118, 99-100) - David donc fait clairement connaître les distinctions trinitaires quand il dit: Par le Verbe du Seigneur ont été affermis les cieux, et par l'Esprit de sa bouche toute leur force (Ps 32,6). Ailleurs il fait connaître l'unité tout autant que la trinité quand il dit: Que Dieu nous bénisse, notre Dieu, que Dieu nous bénisse, et que le craignent toutes les extrémités de la terre (Ps 66,7-8). En effet la triple proclamation du nom de Dieu exprime la trinité des Personnes, Père, Fils, Esprit Saint. Il désigne bien le Fils en ajoutant notre, comme pour montrer qu'il nous a été donné par le Père quand la Sagesse divine nous a éclairés par l'incarnation du Verbe. (Abélard, Du bien suprême, Livre 1, III, Montréal, Bellarmin, 1978, p. 25).
L'exégète du temps ne se contente plus de saisir le sens de l'Ecriture, il a comme souci principal d'en rendre compte. Peu à peu, une nouvelle manière de commenter s'instaure; on pose le problème et on développe ensuite la réponse. Si les Pères diffèrent d'opinion, il est du devoir de l'exégète de prendre parti. On doit faire un choix et en fournir les raisons. Ainsi on parvient à pénétrer le vrai sens de l'Ecriture.
Toujours à Paris, on fonde une autre école vers 1110, celle de Saint-Victor. C'est une école de chanoines réguliers ouverte aux étudiants séculiers. Le fondateur en est Guillaume de Champeaux (1070-1121), disciple d'Anselme de Laon. La caractéristique de l'école est la "teinte toute biblique donnée à la théologie". Plusieurs chanoines la rendront célèbre, mais les principaux ont été Hugues (mort en 1140) qui a critiqué la. tradition de Grégoire le Grand et celle de Bède le Vénérable. Hugues a vraiment marqué l'école. Il a structuré les programmes d'études. Et les études bibliques ont été distinctes des études profanes. Hugues a défini d'une façon exacte l’attitude que l'exégète doit adopter devant l'Ecriture. Sa méthode comporte deux temps: 1) la lecture historique; 2) la lecture allégorique. Ces deux temps vont donner naissance à l'exégèse analytique et à l'exégèse théologique. L’ancienne interprétation tropologique deviendra la littérature spirituelle. C'est l'amorce d'un processus de séparation entre les diverses disciplines. Un passage d'un de ses traités illustre bien cette méthode:
Par ailleurs, la méditation à partir de la lecture se fait d'un triple point de vue; celui de l'histoire, celui de l'allégorie, celui de la tropologie. - Elle se fait du point de vue de l'histoire, lorsque nous cherchons la raison des événements, ou que nous en admirons la réalisation adaptée aux temps, aux lieux, aux circonstances. La considération des jugements divins y exerce celui qui médite: en aucun temps ils n'ont manqué d'être droits et justes, et par eux fut accompli ce qui devait être et rendu à chacun ce qui était juste. - Du point de vue de l'allégorie, la méditation s'applique à l'enchaînement des événements passés et s'attache à y percevoir la signification des événements futurs, merveilleusement adaptée par l'ordre providentiel à édifier l'intelligence et l'exemplaire de la foi. - Dans la tropologie, la méditation s'applique à déterminer quel fruit apportent les divines paroles et à discerner ce qu'elles invitent à faire et ce qu'elles apprennent à éviter, ce que propose la lecture de l'Ecriture qui soit matière à instruction, à exhortation, à consolation, à crainte, ce qu'elle offre d'illumination pour l'intelligence de la vertu, d'aliment pour nourrir les affections, d'enseignements de l'idéal de vie pour aller sur la route de la vertu. (HUGUES DE SAINT-VICTOR, La Méditation, II,3, Sources Chrétiennes no 155, Paris, Cerf, 1969, p. 49).
Le moine Richard de Saint-Victor (mort en 1173) a reconnu que les Pères avaient traité le sens littéral avec négligence, mais qu'il était permis de le compléter. Quant à André de Saint-Victor (mort en 1175), un des plus grands représentants de l'exégèse biblique au XIIe siècle, il a fait revivre le goét de l'hébreu. Il a exercé une grande influence, malgré les critiques dont il a été l'objet.
La méthode d'interprétation mise de l'avant à Saint-Victor présuppose l'acceptation de deux principes: la révélation est contenue dans l'Ecriture; la science théologique est contenue dans l'explication de l'Ecriture. Cette thèse fera l'unanimité jusqu'à la Réforme. Hugues a fait observer que la Bible présentait des difficultés historiques. Si l'exégète veut être vrai, il lui faut accepter de faire appel à l'histoire profane et si le passage biblique reste obscur, Hugues demande d'employer le procédé analogique de la foi, ainsi que l'indiquait Augustin. Hugues aimait bien Jérôme à cause de ses traductions, mais il a suivi Grégoire le Grand pour la morale.
Au XIIIe et au XIVe siècles, la science biblique semble vouloir faire des progrès à cause des travaux universitaires. En effet, en Europe, les grandes universités s'intéressent à l'exégèse: Toulouse, Paris, Bologne, Oxford et d'autres.
En 1311-1312, le concile de Vienne a décrété que des chaires de grec et de langues orientales devraient être ouvertes dans les diverses universités. Ceci aurait pu éventuellement mener à une étude plus scientifique de la Bible. Malheureusement, ce décret n'a jamais été réellement appliqué. Après la mort de l'hébraïste Nicolas de Lyre en 1340, l'étude scientifique de la Bible a périclité dangereusement.
La théologie devient de plus en plus "la science" et l'interprétation de l'Ecriture perd du terrain. Le bibliste est un scientifique de second ordre, il sert en quelque sorte le théologien, puisque son rôle est d'établir le texte le plus vrai.
Mais c'est aussi durant cette période qu'on a créé les concordances. Thomas Gallus (mort en 1246), un victorin, avait, semble-t-il, élaboré des concordances de thèmes ou de sujets au début du XIIIe siècle, mais au XIVe, les Dominicains de Saint-Jacques de Paris produisent des concordances verbales, c'est-à-dire de mots (verba). Ils se sont servis de la concordance latine comme modèle; ils ont fait l'index alphabétique des mots contenus dans la Bible en indiquant les passages où ils se trouvaient. Et ils ont établi un nouveau système de divisions du texte en chapitres. Divisions qu'on attribue à Etienne Langton dont nous parlerons bientôt. Il n'est pas encore question cependant de division en versets, celle-ci ne se fera qu'au XVIe siècle.
On s'est aussi essayé à faire de la critique textuelle en utilisant la Vulgate; on a comparé les citations, mais on ne les discute pas. Et jamais aucun principe n'a été établi pour permettre de choisir la bonne leçon. On reconnaît que Jérôme avait raison en préférant le texte hébreu au texte grec.
Etienne Langton (mort en 1228) a comparé les différentes versions latines et il a ensuite jugé de leur conformité au contexte et aux règles de la syntaxe. Tantôt il se réfère au texte hébreu, tantôt aux versions grecques: LXX, Aquila, Symmaque, Théodotion. Ainsi il a essayé de retrouver le texte original. Il a surtout attribué les erreurs aux maladresses des copistes. Etienne a regroupé en ordre, en combinant les canons grec et hébreu, les livres de l’AT. Son travail a permis de voir clair dans les nombreuses références.
Albert le Grand (1193-1280) a probablement commenté toute la Bible, mais les seuls livres que nous possédions sont ceux de Job, des Prophètes, des Evangiles, des Epîtres et de l'Apocalypse. Pour lui le sens littéral est primordial et s'il ne rejette pas systématiquement le sens allégorique, il le voit comme une explication du sens littéral. Toutefois son interprétation n'est pas exempte d'un usage particulier de symboles et de figures comme on le voit dans l'exemple suivant:
Et je lui donnerai un caillou blanc (11,17)
C'est la contemplation éternelle. A celui qui vaincra, je donnerai la manne cachée, c’est-à-dire la gloire de l'âme, qui se nomme la manne; car de même que goétait la manne qui voulait, de même la gloire éternelle offre ses délices à qui veut. Et je lui donnerai un caillou blanc, c'est-à-dire la gloire corporelle, qui est désignée par un diminutif: un caillou, en considération de la gloire de l'âme. Toutefois cette gloire est réputée peu de chose par l'esprit mondain. Un caillou blanc signifie très justement la gloire corporelle: sa blancheur en symbolise l'éclat; sa dureté, l'impassibilité; sa petitesse, la sublimité; sa rondeur, l'agilité. Et sur ce caillou est écrit un nom nouveau, c'est-à-dire que le corps connaît une nouvelle obédience de la chair à l'esprit, qui auparavant n'existait pas: car la chair soumise à la concupiscence est l'adversaire de l'esprit (Epître aux Galates, V). Ou bien, sur ce caillou, c'est-à-dire le corps, est écrit un nom nouveau, le nom de fils et non plus de serviteur, qui était le nom ancien. Je ne vous appelle plus serviteurs, mais je vous ai appelés amis (S. Jean, XV). Ou bien, le lui donnerai un caillou, c'est-à-dire le Christ, qui est désigné par ce caillou, car c'est une pierre précieuse nommée escarboucle, d'après le charbon, à quoi elle ressemble. Elle brille, placée dans les ténèbres. (ALBERT LE GRAND, Commentaire de l'Apocalypse. Traduction française dans ALBERT GARREAU, Saint Albert le Grand, Paris, Aubier, 1942, pp. 109-110).
Bonaventure (1221-1274) pour sa part a souligné une règle importante: il faut tenir compte des lieux parallèles afin d'expliquer un passage en ayant recours à d'autres passages.
Albert et Bonaventure semblent parfois avoir pressenti la théorie des genres littéraires.
Robert Grosseteste (1170-1253), franciscain formé à Paris est devenu maître des études à Oxford. On peut dire qu'il a dépassé ses maîtres français qui étaient surtout intéressés par la dialectique. Pour lui, la grammaire était importante. Helléniste convaincu, ouvert aux problèmes de la philologie, il a manifesté un intérêt renouvelé pour les versions grecques de la Bible de même que pour les versions hébraïques. Sa concordance a retenu l’attention de même que son commentaire des Psaumes.
Roger Bacon (1214-1294), élève de Grosseteste, a hérité de son maître la passion pour la philologie et la critique textuelle. Dans son 0pus Tertium [Troisième Œuvre], il a insisté sur l'importance des langues pour une compréhension adéquate du texte de la Bible. Il a lui-même composé une grammaire grecque et on possède quelques fragments de sa grammaire hébraïque. Il a dénoncé les lacunes de l'enseignement théologique de son temps et les faiblesses de l'étude des langues:
Les oeuvres d’Aristote sont devenues méconnaissables, et c'est sur un pareil fondement qu'on veut faire reposer tout l'édifice de nos sciences. Que celui qui désire se glorifier de connaître Aristote, l'étudie dans sa langue natale; les traductions ne sont bonnes qu'à détruire ou à altérer le texte [ ... 1. Que les Latins sachent bien qu'ils ne possèdent rien des trésors de la sagesse; qu'ils apprennent donc les langues; qu'ils se mettent à traduire les anciens auteurs et à chercher ceux qui leur manquent; qu'ils étudient la grammaire, et avec le latin, l'hébreu, le chaldéen, l'arabe et le grec. (ROGER BACON, Opus Tertium, X. Traduction française dans EMILE CHARLES , Roger Bacon, Paris Hachette, 1861, pp. 120 et 122).
Enfin Thomas d’Aquin (1227-1274), élève d'Albert le Grand, tout en continuant de pratiquer une exégèse fondée sur la théorie des quatre sens, met davantage l'accent sur le sens littéral ou historique qui demeure primordial. Le sens spirituel avec toutes ses modalités possibles est fondé sur le sens littéral et il le suppose. Il a donc utilisé le sens allégorique, moral et anagogique avec réserve et après avoir donné une définition de chacun, il a réussi à prouver que dans toute interprétation spirituelle, l'exégète présume et conjecture. Avec Thomas d'Aquin, nous sommes devant une première entreprise de critique rationnelle. L'allégorie s'efface de plus en plus.
Lorsque je dis Que la lumière soit en désignant à la lettre la lumière physique, il s'agit du sens littéral. Si par Que la lumière soit, on entend la vie future du Christ dans l'Eglise, il s'agit du sens allégorique. Si l'on dit Que la lumière soit pour signifier que le Christ nous introduira dans la gloire, il s'agit du sens anagogique. Si enfin on dit Que la lumière soit pour dire que notre intelligence est éclairée et notre coeur embrasé par le Christ, il s'agit du sens moral. (THOMAS D'AQUIN, Commentaire sur l'Epître aux Galates, IV, 1.7. La traduction française se trouve dans Le Moyen åge et la Bible, Paris, Beauchesne, 1984, p. 207).
On a un bon exemple de l'exégèse de Thomas d'Aquin dans le court passage suivant:
Le chemin, c'est le Christ lui-même, et c'est pourquoi il dit: Moi, je suis le chemin. Cela se comprend bien, puisque par lui nous avons accès auprès du Père.
Mais parce que ce chemin n'est pas éloigné du terme, parce qu'il y est joint, au contraire, Jésus ajoute: La vérité et la vie; et c'est ainsi que lui-même est à la fois le chemin et le terme. Le chemin en tant qu'homme: Moi je suis le chemin; en tant que Dieu, il ajoute: la vérité et la vie. Ces deux derniers mots désignent parfaitement le terme du chemin.
Car le terme de ce chemin, c'est la fin que recherche le désir humain. Or, l'homme désire principalement deux choses: d'abord la connaissance de la vérité, ce qui lui est propre; ensuite la continuation de son existence, ce qui est commun à tous les êtres. Or, le Christ est le chemin pour parvenir à la connaissance de la vérité, alors pourtant qu'il est lui-même la vérité: Conduis-moi, Seigneur, dans ta vérité, et j'entrerai sur ton chemin. Et le Christ est le chemin pour parvenir à la vie, alors pourtant qu'il est lui-même la vie: Tu m'as fait connaître les chemins de la vie.
(THOMAS D'AQUIN, Commentaire de l’Evangile de Jean, 14,2, traduction française dans La Liturgie des Heures, III, Paris, Cerf, 1980, p. 132).
Le XIIIe siècle dans son ensemble marque de louables efforts pour une étude grammaticale de plus en plus poussée, mais il ne faut pas se leurrer sur les carences philologiques surtout à Paris. L'exégèse est limitée et les explications que les auteurs fournissent au plan linguistique sont souvent anachroniques. De plus, elle est marquée par la pensée dialectique. Nous l'avons dit plus haut, le processus de rupture entre l'exégèse et la théologie commencé au XIIe siècle a atteint un sommet au XIIIe siècle. Alors que l'on connaît de mieux en mieux le texte biblique, on sait de moins en moins faire de ce texte la source de la vie chrétienne. La philosophie s'infiltre partout à un point tel que les sentences de Pierre Lombard ont remplacé le texte biblique lui-même.
Un autre effort doit être considéré comme un apport intéressant, c'est la tentative de replacer les textes dans leur milieu historique. Des hommes comme Nicolas Trévet (vers 1258-vers 1334) et Nicolas de Lyre (1270-1340) ont travaillé dans ce sens. Ils ont reconnu que les Psaumes n'étaient pas tous messianiques et ils ont donné des règles pour déterminer ceux qui l'étaient.
Le dossier que l'on possède des XIVe et XVe siècles est pour sa part assez mince: c'est la décadence. Sans doute faudrait-il souligner les commentaires bibliques de Maître Eckhart (1200-vers 1327) qui vont dans le même sens que ceux de Thomas d'Aquin. Et puis, c'est le grand silence. L'exégèse semble morte. Il faudra attendre Lorenzo Valla (1407-1457), philologue italien très érudit qui a publié en 1453 sa Collatio Novi Testamenti [Contribution au Nouveau Testament] et Didier Erasme (1469-1536), humaniste hollandais formé à Paris et à Londres, lecteur critique assidu de Valla dont il a développé la méthode afin de revenir au christianisme de l'Eglise primitive en essayant de réconcilier l'étude des Anciens et l'enseignement de l'Evangile. Il donne les conseils suivants à ceux qui veulent interpréter l'Ecriture:
Si le langage utilisé a, dans sa simplicité, un sens pieux et naturel, conforme aux autres passages scripturaires, il n'y a pas lieu d'appeler un trope à la rescousse, sauf si ce dernier sert le sens naturel du texte (1019B).[ ... ] L'allégorie qui va contre le sens propre est mauvaise (1027D).[... ] Par contre en traduisant une chose pour une autre à partir d'une compréhension erronée des mots de l'Ecriture, précisément on enlève non pas les mots mais, chose plus grave, la pensée même de l'Ecriture, et on ajoute ce que l'Ecriture ne connaît pas (1027E).[ ... ] En expliquant les allégories, il faut faire preuve de la même sinceritas. En la matière, quelques Pères se sont laissés aller plus qu'il ne convient surtout Origène qui semble à beaucoup s'être trop volontiers écarté de la lettre, alors qu'elle est la base et le fondement de l'allégorie. Fréquemment Ambroise et Hilaire et parfois même Jérôme imitent Origène sur ce point (1028D). (ERASME, L’Ecclésiaste, Livre III. Traduction française dans ANDRE GODIN, Erasme. Lecteur d'Origène, Genève, Doz, 1982, pp. 318-320).
5. L'exégèse rabbinique au Moyen åge
Alors que l'exégèse rabbinique classique trouve toujours de nombreux adeptes, l'interprétation juive de l'Ecriture a continué de progresser au Moyen Age, surtout en Orient, en Espagne et en France. On y décèle toutefois trois nouvelles tendances:
a) La tendance philologique se manifeste au contact des Arabes. Vers 760, c'est l'hérésie des Qaraïtes, Juifs d'origine babylonienne. Leur but est de protester contre les méthodes rabbiniques et de revenir à la lettre de l'Ecriture. Les docteurs de cette secte ont fait des travaux très intéressants au plan grammatical et lexicographique. Afin de mieux les combattre, les rabbins ont été forcés de suivre la même voie.
Fondée par Anan (mort au VIIIe siècle) vers le milieu du VIIIe siècle, la secte des Qaraïtes accepte uniquement le sens littéral des textes bibliques et rejette toutes les interprétations rabbiniques (la Tradition) fondées sur le midrash. Ces Juifs hérétiques ont surtout fourni des explications philologiques, grammaticales et lexicales.
Ainsi l'exégèse de Saadia ben Joseph (892-942), Saadia Gaon, est croyante, rationnelle et exacte. Il utilise la méthode littérale. Il est d'ailleurs le fondateur de l'exégèse rationnelle. Il a traduit la Bible en arabe et a laissé un ouvrage célèbre: Des croyances et des opinions.
L'exégèse de Saadia a reçu le nom de rationnelle parce qu'elle est fondée sur le principe suivant: toute explication doit être fondée sur la raison et tout texte doit être expliqué par la raison. On dit de Saadia qu'il est le créateur de la philologie hébraïque. Il a eu de nombreux disciples dont le plus célèbre est Samuel ben Hephni qui est mort en 1034.
L'exégèse rationnelle n'est pas morte avec Gaon. Elle avait encore des disciples au XIIIe et XIVe siècles dont le plus connu est Isaïe de Trani (XIIIe-XIVe siècles). Il a fait des commentaires sur les livres de Josué, des Juges, de Samuel et sur le livre de Job. Son exégèse est typiquement rationnelle.
b) Toujours sous l'influence arabe, la tendance philosophique se manifeste. Elle essaie de concilier la révélation avec le rationalisme d’Aristote. Moïse ben Maïmon (1135-1204), Maïmonide, en est le représentant le plus illustre. même s'il n'a pas écrit de commentaire biblique proprement dit, dans son ouvrage Le Guide des égarés, il indique sa manière d'interpréter les Ecritures. Selon lui, il faut "distinguer les genres littéraires, faire la différence entre les métaphores et le sens littéral, découvrir les secrets ésotériques de la Loi, expliquer allégoriquement ou rationnellement les anthropomorphismes ou les miracles".
La troisième tendance est mystico-allégorique ou kabbaliste. Elle s'est développée en Espagne et en Allemagne en réaction contre le rabbinisme et contre la philosophie rationaliste. L'oeuvre qui la caractérise est le Zohar [Livre de la Splendeur] rédigé au XIIe siècle. C'est un commentaire suivi du Pentateuque. C'est là que nous trouvons le grand principe que les Ecritures doivent être interprétées selon la méthode PaRDeS (paradis: allusion aux rabbins mystiques du IIe siècle dont on disait qu'ils avaient pénétré au paradis). Les quatre consonnes sont les initiales de quatre mots hébreux: 1) Pesher, explication littérale, simple et directe; 2) Remez, simple allusion ou mode philosophique d'expliquer, tout ce qui se trouve dans l'Ecriture fait allusion à quelque chose de l'âme; 3) Derash, recherche, investigation, tout ce qui peut édifier; 4) Sôd, sens secret ou mystique. Cette méthode juive a été influencée par la méthode chrétienne des "quatre sens". Avec ces procédés, complétés par la valeur numérique des lettres (notarikon et gematria), on a fondé toute une théosophie sur les Ecritures, la Torah et surtout sur le Cantique des Cantiques.
Comme nous l'avons souligné plus haut, certains rabbins sont restés fidèles aux méthodes rabbiniques traditionnelles. On doit mentionner quelques-uns d'entre eux.
On se souviendra de Dunash ibn Tamim (Xe siècle) surtout parce qu'il a été un des premiers rabbins à faire une étude comparative de l'hébreu et de l'arabe et à regarder cette étude comme une des sources de l'exégèse biblique.
Abulwalid ibn Jenah (vers 990-vers 1050) a étudié les expressions à partir de la métaphore et des tropes. Il a utilisé une certaine forme de critique textuelle. En maints passages, il s'est fait le spécialiste du changement ou de la transposition des lettres à l'intérieur des mots.
Moïse Shelomon ben Isaac de Troyes (1092-1105), sur nommé Rashi, a été et reste toujours l'interprète classique des Juifs pieux, le plus célèbre du Moyen åge. Il a suivi le sens littéral haggadique, mais il a des vues très personnelles... et très judicieuses. Dans son exégèse, il a su combiner le sens littéral et le sens édifiant homilétique.
Ibn Gana, mort à Saragosse au milieu du XIe siècle, a fixé les discussions avec les chrétiens, les musulmans et les docteurs juifs dans un ouvrage capital: Le Livre des recherches minutieuses. Ce livre contient des études grammaticales, lexicographiques, critiques et herméneutiques.
Abraham Ibn Ezra (1089/1092-1164/1167) a habité tout d'abord l'Espagne pour ensuite vagabonder en Italie et en France. Grammairien et exégète reconnu, il a commenté tous les livres de la Bible sauf ceux des Chroniques. Il s'est attaché au sens littéral fondé sur la grammaire et la philologie. On percevait sous sa manière d'écrire un certain nationalisme. Il a aussi employé la méthode philosophique.
Ibn Ezra nous a laissé un document précieux pour l'histoire des méthodes. Dans l'introduction de son livre Sefer hayashar [Livre du juste], il expose et explique les cinq méthodes exégétiques en usage à son époque, récuse les quatre premières et accepte la cinquième.
La première méthode a surtout été utilisée par des rabbins de Babylone du IXe au XIe siècle. Au lieu de parvenir à la vérité et au fait, ces interprètes tournent autour de la vérité en introduisant toutes sortes de matériaux intéressants, mais inutiles. Ainsi, en commentant le rêve de Jacob, ils font un examen détaillé de ce que sont les rêves et s'ils commentent un passage qui parle des astres, ils donnent un cours d'astronomie. Il y a aussi la deuxième méthode, celle des Qaraïtes; la troisième méthode, celle des allégoristes; la quatrième méthode, la méthode rabbinique du midrash; la cinquième méthode, celle de l'interprétation littérale.
C’est avec l'oeuvre de Moïse ben Maïmon dit Maïmonide (l135-1204) que l’exégèse rabbinique a atteint un sommet dans l'interprétation philosophique.
Le groupe des Kimhi dont les trois plus fameux ont vécu au XIIe siècle: Joseph (1105-1170) et ses deux fils, David et Moïse (mort vers 1190), ont aussi laissé une oeuvre de valeur. Le plus connu, David Kimhi, est né en Provence en 1160 et est mort en 1235. Il a composé une grammaire et rédigé un dictionnaire. Ses commentaires contiennent plusieurs signes d'une exégèse littérale où il n'y a pas de place pour l'allégorie. On peut voir en lui le fondateur des études hébraïques modernes.
Si Samuel ben Meir, surnommé Rashbam (1085-1174) s'est surtout attaché au sens littéral, Moïse ben Nahman (1194-1270) fut un interprète mystique pour qui chaque mot recouvrait des mystères.
Jacob ben Asher (mort vers 1340), mystique, a multiplié les explications numériques et les considérations massorétiques.
Ben Asher a utilisé à profusion la méthode dite de la gematria (d'après un mot grec qui signifie mesurer). On sait que chaque consonne hébraïque a une valeur numérique. Il arrive donc qu'un mot hébreu a la même valeur numérique (i.e. le total de l'addition des valeurs numériques des consonnes est le même) qu'un autre mot. Par la gematria, on démontre ainsi qu'un mot fait référence à une idée exprimée par un mot différent dont la valeur numérique est égale. Voici un exemple de cette technique: le mot bere’shît en Gn 1,1 a une valeur numérique de 913 (beth=2, resh=200, alef=1, sh=300, yod= 10, taw=400).
Or l'expression be -tôrah qui signifie "il forma à cause de la Torah", a elle aussi une valeur numérique de 913. Ainsi, on petit expliquer Gn 1,1 de la façon suivante: A cause de la Torah, qui est appelée commencement, Dieu a créé le monde.
La méthode de ben Asher contient quatre principes: 1) le chemin du sens littéral; 2) le midrash; 3) le chemin de la raison (exégèse philosophique); 4) le chemin de la Kabbale (exégèse mystique). Asher nous fournit ces explications dans l'introduction de son commentaire sur le Pentateuque.
Aux XIIIe, XIVe et XVe siècles, certains rabbins se rendront célèbres par leurs travaux. Il faut tout d'abord souligner les travaux de deux philologues et exégètes du XIIIe siècle qui ont contribué à la naissance de la critique textuelle de l’AT: il s'agit de Menahem ben Saruq (XIIIe siècle) et du chercheur palestinien Tanhum Yerushahlmi (XIIIe siècle). Il y a aussi à cette époque Levi ben Gershon (1288-1344) et Isaac Abravanel (1195-1270) qui ont favorisé l'utilisation du sens littéral.
Daat Zekenim (fin du XIIIe siècle), Hezekiah ben Manoah (XIIIe siècle) et Isaac ben Moïse Arama (1420-1494) ont favorisé la méthode traditionnelle, soit celle du midrasb.
Il est intéressant de noter, en guise de conclusion à cette section, que le processus de développement de l'exégèse juive semble avoir suivi les mêmes courants de pensée que l'exégèse chrétienne.
6. L'interprétation de la Bible à l'époque de la Réforme et de la Contre-Réforme
Aborder l'histoire des méthodes exégétiques au temps de la Réforme n'est pas tâche facile. Aussi sentons-nous le besoin de situer cette crise de l'Eglise dans le temps où elle a été vécue. Tout d'abord, le XVe siècle l'a préparée à cause des grandes transformations dans les structures économiques.
L'Eglise a perdu une partie de ses biens et de ses revenus; les moines des abbayes ont été obligés d'entretenir leurs immenses domaines et par le fait même ont négligé leur formation théologique. Du côté des laïcs, la spiritualité est devenue de plus en plus personnelle et subjective; la fréquentation des sacrements est délaissée. Du côté de l'élite intellectuelle, c'est l'heure de l'humanisme: le christianisme devient une philosophie et une doctrine.
L'humanisme a été présenté par le néerlandais Didier Erasme (1469-1536) dont nous avons déjà parlé. L’oeuvre d'Erasme est très étendue: un NT grec avec des notes et une traduction latine; la publication des oeuvres patristiques en particulier celles de Jérôme.
Jacques Lefèvre d’Etaples (1450-1537), contemporain d'Erasme a préparé les voies au calvinisme par sa méthode philologique.
Jacques Lefèvre d'Etaples a adopté une méthode tout à fait personnelle dans ses commentaires. Il expose le texte d'une manière paraphrasée et il ajoute de brèves notes sur le sens du texte grec. Il recherche le sens littéral. Puis, ensuite, il explique le sens spirituel.
Erasme aura sensiblement la même méthode, mais à cause de ses connaissances plus profondes, il aura un très grand succès. Il indique tout d'abord, d'une façon concise, le sens du texte grec et cela quasiment verset par verset; puis, il propose une application spirituelle d'un passage qui est en relation étroite avec le sens grammatical. Il avait déjà auparavant clairement écrit, dans un ouvrage de Lorenzo Valla qu'il avait édité et annoté, qu'il fallait absolument s'en tenir au sens grammatical d'un texte.
Là où Erasme a le plus innové, ce fut dans sa méthode de traduction des textes sacrés. Voici quelques-uns de ses principes: on doit tenir compte des nuances, des différences et de l'art exprimés dans un texte; on doit chercher tous les manuscrits, établir les lectures différentes et reconstruire le texte primitif; on doit respecter la clarté, le charme du texte primitif; les conditions de vie, les moeurs, les institutions et le culte dont parle le texte et qui doivent être un objet de recherche pour le traducteur; la théologie doit s'appliquer à respecter la grammaire et la stylistique; on doit. prendre en considération les personnes dont parle le texte (auteur ou autres) parce qu'elles sont en lien avec la période de l'écriture du texte et parce qu'elles peuvent jeter de la lumière sur la volonté de l'écrivain sacré.
Pendant ce temps, en Espagne, Ximenez (1436-1517) a fondé non seulement une chaire de théologie thomiste à Alcala, mais aussi une chaire de théologie scottiste et de théologie nominaliste, ainsi que des chaires d'hébreu et de grec. Il a fait venir des savants pour publier un texte scientifique et authentique de l'Ecriture sainte. même Erasme dont nous avons parlé plus haut a travaillé à cette oeuvre. La première édition imprimée du NT parut en 1520, suivie de près par celle de l’AT.
Si on se place uniquement au niveau exégétique, la Réforme n'a pas été l'occasion de prises de positions nouvelles de la part des exégètes.
Les réformateurs sont importants non pas tellement à cause des méthodes exégétiques qu'ils ont utilisées, mais surtout à cause de l'insistance continuelle qu'ils ont mise sur la primauté du sens grammatical des textes bibliques. Cette insistance n'est pas neuve, mais elle prendra une ampleur encore jamais vue et elle provoquera des travaux qui feront réellement progresser les études bibliques. Ainsi, on deviendra conscient des problèmes de critique textuelle, même si aucun effort valable n'est fait pour les résoudre. La traduction des textes sacrés deviendra exégèse et on attendra du traducteur qu'il soit philologue, historien et théologien. il devra trouver les meilleures expressions pour rendre l'original et déterminer le sens des mots du texte. On tentera de répondre à la question suivante: qu'est-ce que l'Eglise primitive voulait réellement dire par des mots comme ekklèsia, agapè... Ainsi, on essaiera de se dissocier de son époque pour se projeter dans la période du NT. On retournera aux langues originales soit l'hébreu, soit le grec ou le latin. On produira des grammaires et des livres de syntaxe.
Au début du XVIe siècle, un exégète-théologien se révèle: c'est Martin Luther (1483-1546). Promu docteur en 1512, il a reçu la chaire d'Ecriture sainte à Wittenberg. Il la conservera d'ailleurs jusqu'à sa mort. Professeur émérite, il a donné des cours sur les Psaumes et sur l'épître aux Romains. Il a ensuite commenté l'épître aux Hébreux et aux Galates. Il a toujours utilisé les manuscrits grecs.
Luther a refusé d'être un exégète systématicien lié par les règles d'Erasme. Son principe fondamental d'interprétation est théologique: la justification par la foi. Son exégèse est littérale avant tout et lorsqu'il utilise l'allégorie ce n'est que pour illustrer sa pensée. La typologie a aussi sa place dans l'exégèse de Luther; elle lui permet de faire le lien entre l’Ancien et le Nouveau Testament.
Les trois ouvrages principaux de Luther au plan biblique et théologique sont: Le Manifeste à la noblesse allemande (aoét 1520), Préface de la Bible et de I’épître aux Romains (septembre 1522) et le De servo arbitrio [Le jugement assujetti] (fin décembre 1525).
Dans ces ouvrages, Luther a nié la Tradition et il a refusé à l'Eglise le pouvoir exclusif d'interprétation de l'Ecriture. Pour lui, la clé de l'Ecriture est "l'influx de l'Esprit qui donne la foi aux prédestinés et avec la foi, la certitude du salut. Celui qui a la foi peut apprécier la valeur relative des Livres sacrés".
Pour Luther l'Evangile de Jean est le plus important; il passe avant les autres. Les épîtres aux Romains, aux Galates, aux Ephésiens et la première lettre de Pierre passent avant Matthieu, Marc et Luc: "Voilà les livres qui t'apprennent à connaître le Christ et t'enseignent ce qu'il t'est nécessaire de savoir pour être saint...".
Le thème de la justice de Dieu dans Romains lui a posé des problèmes. Il a interprété le mot justice au sens philosophique de justice formelle ou active. Cette justice le révoltait et il a creusé sans cesse ce texte dans le but de découvrir ce que Paul voulait dire. Un jour, pour lui, la lumière se fit par un texte de l'Ecriture elle-même: "le juste vit de la foi". Aussi l'intelligence nouvelle de Rm 1,17 deviendra la clé de toute sa théologie. L'idée d'un Dieu miséricordieux avait pourtant été exposée par tous les exégètes du Moyen åge. Mais c'était une nouveauté pour Luther. Cette idée devint le thème central de la Réforme parce que Luther l'a placée dans un contexte différent.
Le principe fondamental de l'interprétation de l'Ecriture mis de l'avant par Luther apparaît clairement dans les courts passages suivants:
Voici: à moins qu'on ne me convainque par des attestations de l'Ecriture ou par d’évidentes raisons - car je n'ajoute foi ni au Pape ni aux conciles seuls, puisqu'il est clair qu'ils se sont souvent trompés et qu'ils se sont contredits eux-mêmes -, je suis lié par les textes scripturaires que j'ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu (MARTIN LUTHER, Oeuvres, T. II, Genève, Labor et Fides, 1966, p. 316).
Personne ne petit bien comprendre Dieu et la Parole de Dieu si cela ne lui est donné sans intermédiaire par le Saint-Esprit (MARTIN LUTHER, Oeuvres, T. III, Genève, Labor et Fides, 1963, p. 17).
Ton premier devoir est donc de prier et de demander au Seigneur [...] l'intelligence de sa Parole. Car le seul maître capable d'enseigner la Parole de Dieu, c'est l'auteur même de cette Parole [...] Tu ne dois donc absolument pas compter sur ton propre zèle et ta propre intelligence, mais fonder uniquement ta confiance sur l'action de l'Esprit (MARTIN LUTHER, Oeuvres, T. VIII, Genève, Labor et Fides, 1959, p. 23).
Toujours du côté protestant, il faut mentionner une autre figure: Zwingli (1484-1531). Humaniste radical, au contraire de Luther, il n'était pas un mystique, mais bien un homme d'action. Il avait réussi à apprendre le grec par lui-même. Il était enthousiasmé par les travaux d'Erasme. La Bible expliquait tout et elle était tellement claire que l'interprétation ecclésiastique était inutile. Il prôna l'usage de la langue allemande pour la liturgie.
Mélanchthon (1497-1560), principal disciple de Luther, aimait utiliser l'allégorie dans l'interprétation de la Bible. Il tenta d'unir la méthode exégétique d'Erasme à la vision de Luther, ce qui provoqua une controverse célèbre entre 1550 et 1560.
Calvin (1509-1564) a marqué l'exégèse par "un juridisme rigoureux et intransigeant". Il était mystique. A la suite de Luther, il a repris les thèses de la justification par la foi.
La méthode exégétique de Calvin est fondée sur les principes suivants: a) il faut toujours présenter le sens sensible et évident d'un passage; b) il faut dire ce que les mots bibliques signifient dans leur contexte; c) l’AT doit être interprété à partir des circonstances dans lesquelles il a été écrit; d) on doit toujours rechercher le sens premier, vrai, simple, littéral ou grammatical d'un texte; e) on peut faire appel à l’analogie de la foi. Les connaissances de Calvin ont fait de lui un exégète supérieur à tous ses contemporains.
Charles Boyer résume ainsi la façon dont Calvin conçoit l'interprétation de la Bible:
Jésus-Christ est sans doute l'objet de la Bible entière et l'on ne comprend les livres inspirés que par le secours de l'Esprit-Saint. Mais les paroles de l'Ecriture ne peuvent être par elles-mêmes que des instruments. Rien ne permet non plus de dire que Calvin renonce à la critique du texte sacré, telle qu'elle se présentait de son temps. Il sait discuter les questions d'authenticité des auteurs et du canon. Il reconnaît que les évangélistes ne sont pas toujours d'accord sur l'ordre ou sur les détails des faits, qu'ils ne cherchent pas en cela l'exactitude, qu'ils s'attachent à la doctrine et non aux mots. Il s'efforce de découvrir le vrai sens des textes et à la fin de sa vie il s'est rendu le témoignage de n'avoir pas cherché à le détourner. Il sait que les interprètes peuvent en toute bonne foi être en désaccord et il l'explique par l'inégalité du secours divin (CHARLES BOYER, Calvin et Luther, Roma, Universita Gregoriana, 1973, p. 44).
Le concile de Trente a voulu répondre aux positions des protestants. Bien qu'il ait duré 18 ans, soit de 1545 à 1563, il n'a pas pu réaliser ses objectifs de réunification des Eglises. Parmi ceux qui ont essayé de rétablir l'équilibre, il faut nommer le cardinal Cajetan (1469-1534). Mais Cajetan n'a pas su apporter à Luther les preuves que ce dernier exigeait pour fonder le dogme des indulgences et l'efficacité des sacrements. La cause: Cajetan n'était pas un diplomate et Luther était un convaincu.
Alors, en réaction, la Contre-Réforme s'est efforcée de remédier aux désordres engendrés par le départ d'un grand nombre de théologiens et d'exégètes. Afin d'assurer une formation solide à ses propres théologiens, elle a créé des écoles comme l'Université grégorienne à Rome. Dans le but de préserver l'intégrité du texte sacré, une première tentative de révision a été amorcée. Mais une relecture attentive et minutieuse de la Vulgate aurait pris beaucoup de temps, et l'impatience du pape a voué l'édition à l'échec. Après la mort de ce dernier, Bellarmin (1542-1621) a obtenu la création d'une commission pour reprendre le travail. La nouvelle édition parut en 1592. On l'appela Clémentine en l'honneur du pape Clément VIII (1536-1605); elle est restée le texte officiel latin jusqu'à la nouvelle révision commencée sous Paul VI (1897-1978).
Pour poursuivre d'une manière honnête, au plan historique, notre résumé relatif à l'évolution des méthodes exégétiques, nous sommes forcés d'entremêler catholiques et protestants, puisque la science exégétique a eu ses érudits dans les deux confessions.
En 1567, Matthaeus Flacius Illyricus (1520-1575) a publié la Clé pour l’Ecriture en opposition à l'enseignement du concile de Trente. Il a utilisé la même méthode exégétique que les réformateurs. Mais il faut reconnaître que cet ouvrage a marqué le début de la méthode herméneutique.
Illyricus part des travaux de Luther et cela ne le conduit pas à une approche réellement historique de la Bible. il soutient qu'on doit surtout s'en tenir au sens grammatical. Il admet qu'on peut interpréter un texte d'une manière symbolique, mais uniquement lorsque le sens littéral n'a pas de signification.
Joachim Camerarius (1500-1574), humaniste classique allemand, a publié en 1573 un commentaire sur des passages choisis du NT. Il s'est intéressé à la littérature des classiques grecs. Camerarius a contribué à l'évolution des méthodes bibliques en rappelant sans cesse que les écrivains du NT doivent être expliqués en tenant compte de la période où ils ont écrit.
L’année où le livre le plus important de Camerarius paraît, Andreas Masius (1514-1573) meurt, mais non sans avoir laissé son Josuae Imperatoris Historia [Histoire du commandant en chef Josué]. Dans ce livre Masius est le premier à considérer les livres de l’AT comme des documents historiques et à utiliser les mots "compilation" et "processus de rédaction" pour expliquer la composition de l’AT. Il s'adonne à la critique des sources et il soutient qu'Esdras et ses collaborateurs ou disciples ont ajouté certaines sections du Pentateuque.
Hugo Grotius (1583-1645), un Hollandais, est allé plus loin que Camerarius et, dans ses Notes sur le Nouveau Testament, il donne de nombreuses citations non seulement des auteurs classiques mais il aborde la littérature hellénistique, la littérature juive et celle des Pères. L'exégèse qu'il pratique devient de plus en plus rigoureuse et elle prépare à une véritable interprétation historique du NT.
Grotius recherche le sens premier d'un texte. Ainsi, il affirme que le Serviteur de Yahvé en Isaïe n'est pas le Christ, mais le prophète lui-même. Il essaie donc de replacer les textes bibliques dans leur milieu de vie et dans l'histoire de leur époque. Il interprète l'Ecriture en appliquant uniquement des règles grammaticales sans se référer à des présupposés dogmatiques. Il pose carrément les questions d'auteur, de date, etc.
Entre 1560 et 1630, les exégètes espagnols ont fait un travail de recherche intéressant. Il faut mentionner entre autre Alfonso Salmeron (1515-1585), Juan Maldonada (1534-1583), Francis Toletus (1532-1596) et Francis Ribera (1537-1591). Leur contribution à l'avancement des méthodes est toutefois relativement pauvre.
Thomas Hobbes (1588-1679), philosophe anglais, a publié en 1651 Leviathan III. Il est un des premiers chercheurs à utiliser les évidences internes comme critère pour déterminer l'auteur et la date de rédaction d'un livre de l’AT. Il soutient par exemple que Moïse précède de beaucoup la rédaction du Pentateuque, que les événements rapportés dans les livres de Josué et des Juges ont été compilés longtemps après la période dans laquelle ils se sont produits, que 1 et 2 S, 1 et 2 R, 1 et 2 Chr, Esd et Né sont des livres post-exiliques.
Isaac de la Peyrère (mort en 1676) a tout d'abord publié un livre sur Rm 13-14. Toutefois, son travail le plus important est celui qu'il a accompli en formulant des questions visant directement la critique littéraire du Pentateuque dans Sistema Theologicum [Système théologique].
John Leusden (1624-1699) est un autre auteur de cette époque à traiter d'une façon quelque peu systématique le texte de l’AT. Il a publié en 1657 Philologus Hebraeus [Le Philologue hébreu] dans lequel il expose ses conceptions.
Enfin, un prêtre anglais, John Lightfoot (1602-1675) a proposé de nouvelles hypothèses sur la langue du NT. Les livres de la Bible ont été écrits pour les Juifs; on peut difficilement les comprendre si l'on ignore la langue hébraïque toute remplie d'images et de symboles. Il a consacré 30 ans de sa vie à étudier la littérature rabbinique et c'est à la suite de cette étude qu'il a publié ses notes sur les Evangiles.
Avec Blaise Pascal (1622-1662) et le jansénisme, on vit apparaître de nouveau l'exégèse spirituelle. Cornelius a Lapide (1567-1637) nous a laissé des commentaires, types parfaits de l'interprétation spirituelle: le plus intéressant chez lui est son canon de l'interprétation et non, à proprement parler, sa méthode exégétique. Pour un texte, il admet toutes les interprétations qu'il peut défendre d'une façon raisonnable et il s'adresse ainsi à tous les genres de lecteurs.
En terminant l'histoire de ce siècle de crise au sein de l'Eglise, alors que l'exégèse semble délaissée par les catholiques, un savant, un avant-gardiste s'est levé: Richard Simon (1638-1712), oratorien français. Il était spécialiste des langues sémitiques. Il a été le fondateur de la critique biblique. Le but de son oeuvre a été d'affaiblir la position des réformés en invoquant constamment l'Ecriture. Il a démontré qu'il n'existe aucun manuscrit original de la Bible et que personne ne connaît le sens exact de l’ancienne langue hébraïque. Simon a été rejeté par ses contemporains et même par sa communauté, mais il resta quand même prêtre.
Deux ouvrages de Simon ont ouvert le chemin aux chercheurs: Histoire critique du vieux Testament, publié en 1678, qui a remis en question l'histoire d'Isra‘l et l’attribution de certains livres à l'auteur qu'on avait reconnu; Histoire critique du texte du Nouveau Testament, publié en 1689, qui a marqué l'exégèse.
Simon a abandonné le genre de critique textuelle adopté par les premiers écrivains médiévaux et est ainsi devenu le premier à faire de la critique textuelle moderne. Il est de plus le premier à faire une critique des sources des livres sacrés d'une façon systématique. La plupart de ses travaux furent mis à l'index et il est à l'origine de nombreuses controverses en Europe. On peut dire de sa méthode qu'elle est empirico-critique.
La critique du Pentateuque, en particulier, a été remise en question par Isaac de la Peyrère et par Spinoza dont nous reparlerons. Simon et Peyrère ont posé la question de l'unité du Pentateuque et de son attribution à Moïse, Spinoza a posé en plus le problème des rapports du Pentateuque et des autres livres de la Bible.
Baruch Spinoza (1632-1677), dans son Tractatus Theologico-Politicus [Traité théo1ogico-po1itique] publié en 1670, présente la première contribution significative à la discipline moderne de la critique biblique. De plus, il a exposé la problématique des recherches historiques et littéraires de l’AT. Au chapitre VII de son Traité, il indique qu'il faut prendre en considération la vie, le caractère et le but de chaque auteur biblique si on veut déterminer le but, l'occasion et la date de composition de son livre. Ses recherches l'ont amené à soutenir de nombreuses thèses dont voici quelques exemples: Moïse n'est pas l'auteur du Pentateuque; on doit attribuer à Esdras tous les livres bibliques de Gn à 2R; les livres de Dn, Esd, Né, Est et Ch sont de la période maccabéenne.
Campegius Vitringa (1659-1722) poursuit le travail de Simon et de Spinoza et fait, dans ses Observationes Sacrae [Observations sacrées] publiées en 1689, une tentative vraiment intéressante au niveau de la critique des sources. Il observe que Moïse a eu accès à des sources anciennes datant de la période patriarcale et que, combinées à d'autres sources, elles sont à la base du Pentateuque.
Les questions se font de plus en plus nombreuses et deux siècles vont passer avant que la méthode historique se précise vraiment. C'est le mouvement déiste anglais qui a rendu possible l'élaboration de la méthode historique et d'une étude critique de la religion. Ce mouvement date de la fin du XVIIe siècle en Angleterre; il a gagné la France et l'Allemagne au début du XVIIIe siècle. Ce n'est pas tant par leur méthode que les déistes ont contribué à l'exégèse historique, mais par leur critique du christianisme traditionnel et par la liberté avec laquelle ils ont traité le texte biblique. Les principaux représentants du mouvement anglais sont John Locke (1632-1704) qui soutient que la raison et la révélation ne sont pas opposées; John Toland (1670-1722), auteur du Christianisme sans mystère qui pose les fondations de la critique rationaliste des Ecritures; William Whiston (1667-1752) qui soutient que l’AT a été transformé à une époque postérieure au NT par des Juifs ennemis du christianisme; Thomas Woolston (1670-1733) qui fait une étude sur les miracles de Jésus pour conclure qu'ils ne sont que des allégories de l'union mystique entre le Christ et le croyant; enfin Matthew Tindal (1657-1733), Thomas Chubb (1679-1747) et Thomas Morgan (1680?-1743).
Dans un petit livre intitulé Au sujet des méthodes d'interprétation de la Sainte Ecriture, petit livre basé sur ses cours et publié par ses disciples, Jean Alphonse Turretini (1671-1737) émet trois principes d'interprétation: a) les Saintes Ecritures doivent être interprétées de la même façon que tous les autres livres; b) à partir du sens des mots et des phrases, l'exégète recherche le but poursuivi par l'écrivain et tient compte du caractère spécial de chaque livre de la Bible; c) toute interprétation doit être fondée sur la raison. Ces principes qui seront repris plus tard ont eu peu d'influence à l'époque.
Notre façon d'aborder l'histoire de la naissance et de l'évolution des méthodes sera brève. Elle ne s'attardera qu'aux pionniers et aux événements importants. Nous avons pris cette option pour éviter les répétitions inutiles, car chacune des méthodes, dans le reste du volume, est elle-même introduite par une section qui porte sur l'histoire de cette méthode. C'est là que le lecteur trouvera un développement plus précis et plus complet.
Au XVIIIe siècle les exégètes commencent un travail de bénédictin: ils se penchent sur les vieux parchemins et les papyrus; ils examinent attentivement les vieilles monnaies et les ostracas (morceaux de poterie portant une inscription). En 1711, Henning Bernhard Witter (1683-1715) et Jean Astruc ont étudié les mots du texte du Pentateuque. Le premier remarque déjà la différence des noms divins, les différences de style et les répétitions en comparant le récit de la création avec celui du Paradis. Astruc poursuit cette recherche dans toute la Genèse et dans une partie de l'Exode.
Jean Astruc (1684-1766) fut un fervent disciple de Richard Simon. Son principal ouvrage, publié en 1753 portait comme titre Conjectures sur les mémoires originaux dont il paroit que Moyse s'est servi pour composer le livre de la Genèse. Avec des Remarques qui appuient ou qui éclaircissent ces conjectures. Il a vraiment marqué les débuts de la critique des sources du Pentateuque.
Peu de temps après, Johann August Ernesti (1707-1781) fait paraître, en 1761, Instruction pour l’interprète du Nouveau Testament. Il est le premier à soutenir qu'il y a une différence historique entre l’Ancien et le Nouveau Testament et, en conséquence, qu'ils doivent être examinés séparément. Pour lui, seule l'explication grammaticale rend réellement justice aux textes bibliques.
Deux hommes méritent le titre de "pionnier" de l'étude historico-critique des textes bibliques. Il s'agit de Johann David Michaelis (1717-1791) et Johann Salomo Semler (1725-1791). Le premier est un orientaliste, initiateur de la philologie hébraïque moderne. Ses nombreux travaux en géographie et en archéologie ont ouvert la voie à des études scientifiques et rigoureuses dans ces domaines. Le second, à qui on pourrait aussi donner le titre de fondateur de l'étude historique du NT, a insisté sur la structure grammaticale des textes; il a montré qu'on devait toujours replacer un texte dans son contexte et l'expliquer comme un témoin de son temps adressé aux hommes de son temps. Il a utilisé cette hypothèse pour solutionner certains textes difficiles.
Un autre pionnier de l'approche critique et scientifique de la Bible fut Herman Samuel Reimarus (1694-1768). Professeur de langues orientales, ses travaux ont surtout porté sur Jésus. Il a utilisé abondamment les idées du déisme anglais. Il est le premier à reconstruire une histoire du christianisme primitif et à replacer ainsi le NT dans son contexte. Après sa mort, G.E. Lessing publiera en 1774-1778 ses fameux WolfenbŸttel Fragments [Les Fragments de WolfenbŸttel].
En Allemagne, le XVIIIe siècle est le siècle des lumières, l'Aufklärung. même si son influence sur les méthodes a été indirecte, il a permis à certains chercheurs d'abandonner les positions dogmatiques traditionnelles dans l'étude de la Bible. Ainsi les exégètes ont pu s'attaquer à des problèmes qui souvent jusque-là avaient été considérés comme des tabous. G. E. Lessing et J. G. Herder sont des figures de proue.
Gotthold Ephraïm Lessing (1729-1781) est un pionnier de l'approche scientifique de la Bible. Il a proposé une nouvelle théorie sur l'origine des Evangiles et il a soutenu que le rapport entre les synoptiques était un problème purement littéraire.
Johann Gottfried Herder (17/14-1803) est lui aussi un pionnier de l'approche critique scientifique. il a développé les idées de Lessing et il est le premier à reconnaître certains problèmes qu'une méthode appelée plus tard "la critique des formes" retiendra.
En 1774-1781 paraît une édition critique du NT grec. Elle est l'oeuvre de Johann Jacob Griesbach (1745-1812) qui est reconnu à juste titre comme le "père" de la critique textuelle du NT. Après une étude poussée des rapports littéraires entre les différents Evangiles, Griesbach conclut que l'harmonisation est impossible. Il est de plus le premier à avoir produit une Synopse des Evangiles en 1776.
C'est à Johann Philipp Gabler (1753-1826) que revient l’honneur d'avoir établi avec clarté la distinction entre la théologie biblique et la théologie dogmatique.
Avant de clore l'histoire du XVIIIe siècle, il faudrait souligner le nom de Johann Gottfried Eichhorn (1752-1827) qui a travaillé sur l’AT tout comme sur le NT. On reconnaît en lui le plus grand encyclopédiste des recherches vérérotestamentaires. Et il fut un des premiers à travailler sur les sources littéraires des Evangiles.
Eichhorn a publié une introduction à l’AT dans laquelle il utilise pour la première fois le mot Gattung à propos de la poésie hébraïque. Il suppose de plus une tradition orale pour l’AT, s'adonne à la critique littéraire et introduit la notion de mythe pour expliquer les premiers chapitres de la Genèse.
Au XIXe siècle, on a reconnu que l'homme était à la fois sujet et objet des lois physiques et des procédés qui gouvernent l'univers et que "des méthodes scientifiques d'observation, d'induction, de déduction et d'expérience sont applicables, non seulement au sujet original de la science pure, mais à peu près à tous les champs nombreux et variés de la pensée et de l'activité humaine". C'est alors que les mathématiques, la physique, la géologie et la biologie entrent en conflit avec la Bible et mettent en cause la vision scientifique reçue. On se rend compte, par exemple, que le récit de la création n'est pas historique.
On développe donc une méthode exégétique qui se sert de tous les outils scientifiques à sa disposition. On tente de retrouver le sens original des textes, c'est-à-dire le sens qu'avait le texte pour ceux à qui il était d'abord destiné et qui les premiers l’ont reçu. La signification d'un texte est continuellement mise en relation avec la place qu'il occupe dans le développement de la révélation biblique qui est perçue comme un tout. On commence à faire de l'herméneutique.
Face à la critique biblique, plusieurs attitudes naissent durant ce siècle; l’attitude conservatrice des fondamentalistes, l’attitude libérale de ceux qui avancent des thèses très radicales, l’attitude défensive des catholiques romains.
Georg Lorenz Bauer (1755-1806) dans sa Théologie biblique du Nouveau Testament publiée en 1800-1802 élabore la méthode de la théologie biblique. Karl August Keil (1754-1818) pose les fondements de l'herméneutique biblique moderne. Il sera suivi par Friedrich StŠudlin (1761-1826), Friedrich Schleiermacher (1768-1834) et par Christian Friedrich LŸcke (1791-1854).
En 1831, l'école de TŸbingen entreprend ses travaux. Ses deux principaux représentants seront David Friedrich Strauss (1808-1874) et Ferdinand Christian Baur (1792-1860). On assiste à une critique radicale du NT, à l'utilisation massive du concept de mythe et à un recours à l'histoire des religions pour solutionner certains problèmes.
Durant la deuxième partie du XIXe siècle, les progrès sont de plus en plus rapides. Ce fut la période de la théorie documentaire. Karl Heinrich Graf (1815-1869) et Julius Wellhausen (1844-1918) parviennent à établir la théorie des "sources littéraires". En 1865, Graf publia un ouvrage sur les livres historiques de l’AT. En 1869, Abraham Kuenen (1828-1891) a présenté la première histoire d'Isra‘l et de sa religion. Enfin, Wellhausen a interprété l'histoire en utilisant les idées hégéliennes. Le système wellhausénien a réussi à faire la conquête du milieu intellectuel, et encore aujourd'hui il est à la base de plusieurs introductions à l’AT.
L'école de Cambridge se signale avec les travaux de Brooke Foss Westcott (1825-1901), John Anthony Hort (1828-1892) et Joseph Barber Lightfoot (1828-1889) en critique textuelle.
Otto Pfleiderer (1839-1908) a fondé la méthode de l'histoire des religions. Le but de cet Allemand était de replacer le christianisme dans l'histoire en se servant des diverses religions déjà connues.
Emil SchŸrer (1844-1910) a publié son Histoire de l’Epoque du Nouveau Testament en 1874. Avec ce livre, la méthode historique fait son entrée dans l'étude du NT.
Les travaux de l'école allemande ont pénétré en France par Ernest Renan (1823-1892). La popularité de son oeuvre, surtout de sa Vie de Jésus ont exercé une grande influence. La critique littéraire a progressé même si, pour plusieurs, elle apparaît comme une menace pour la foi et la tradition.
Marie-Joseph Lagrange (1855-1938) a fondé l'Ecole biblique de Jérusalem en 1890 et la Revue Biblique en 1892. En 1903, il publia La Méthode historique surtout à propos de l’AT et Etudes sur les religions sémitiques; en 1909, Le Messianisme chez les Juifs. Lors d'un congrès à Fribourg en 1897, il a insisté sur les procédés de compositions dans l’antiquité orientale et il a soutenu que ni le témoignage de la Bible, ni la Tradition, ni la valeur historique du Pentateuque ne dépendaient de l'authenticité mosaïque du Pentateuque. Il a complété sa pensée dans une série de conférences. Contesté par certains mais suivi par la majorité, Lagrange est devenu un chef de file de l'exégèse dans le monde catholique.
Pourtant même si les recherches vont bon train du côté catholique depuis l'encyclique de Léon XIII (1810-1903) Providentissimus (parue en 1893), et dans laquelle le pape encourageait la critique biblique, la crise moderniste atteindra son paroxysme avec la parution des oeuvres d'Alfred Loisy (1857-1940). En 1902, L’Evangile et l’Eglise paraît le jour même où Lagrange donnait sa conférence sur la méthode historique. En 1903, c'est la publication du commentaire sur Le Quatrième Evangile et, en 1907-1908, de celui sur Les Evangiles synoptiques. Dans ces ouvrages, Loisy dissocie le Christ de la foi du Jésus de l'histoire.
Les projets des exégètes catholiques s'évanouissent devant les controverses et les décrets émanant de l'Eglise de Rome. Après les réactions des Vigouroux, des Janssens et de d'autres, Rome répond par le décret de Pie X (1835-1914) Lamentabili (1907) et enfin par l'encyclique Pascendi (1907). C'est la fin de la crise moderniste.
Moment de tension très pénible pour les chercheurs: les intégristes sont défiants, les avant-gardistes se dispersent et font silence. Quelques-uns continuent leurs recherches pour eux-mêmes et d'autres utilisent la méthode historique, mais seulement sur des questions très séres. On étudie la faune et la flore bibliques ainsi que les Apocryphes.
Avec Hermann Gunkel (1862-1932), on assiste à une nouvelle époque dans l'histoire de la critique historique. On a reconnu en lui le père de la Formgeschichte [Histoire des formes].
En 1913, Gunkel publie Ziele und Methoden der ErklŠrung des Alten Testaments [Visées et méthodes de l’interprétation de l’Ancien Testament]. Il explique sa méthode exégétique qui comprend six étapes: a) l'explication philologique du texte et la pénétration logique du contexte; b) la critique textuelle; c) les observations sur l'histoire politique et le recours à l'archéologie; d) la critique littéraire qui vise l'origine du texte; e) à partir de la critique littéraire, il s'intéresse à la présentation esthétique, à la critique de la forme pour trouver le Sitz im Leben et à l'histoire de cette forme dans la littérature; f) enfin, la théologie contenue dans le texte.
Ce sera Karl Ludwig Schmidt (1891-1956) qui commencera à appliquer cette nouvelle méthode au NT. Il sera suivi par Martin Dibelius (1883-1947) et Rudolf Bultmann (1884-1976).
En 1938, Gerhard von Rad (1901-1971) publie Das Formgeschichtliche Problem des Hexateuchs [Le Problème d'histoire de la forme de l’Hexateuque] dans lequel on voit apparaître les premiers développements de ce qu'on appellera plus tard la Traditionsgeschichte [L'Histoire des traditions]. La nouvelle méthode sera développée par Martin Noth (1902-1968) et d'une façon toute différente par un groupe de chercheurs scandinaves.
Pie XII (1876-1958) dissipe les malentendus et fait renaître l'espoir chez les catholiques. En 1943, dans son encyclique Divino Afflante Spiritu, le pape reconnaît "les apports de la critique moderne comme précieux pour l'enseignement traditionnel". On peut dire que c'est lui qui a ouvert toutes grandes les portes à la science exégétique dans le milieu catholique. L'archéologie, la critique textuelle pouvaient aider à mieux comprendre l'Ecriture; la critique des sources et les genres littéraires sortaient en quelque sorte d'un long cauchemar. L'exégèse catholique était sauvée.
Après la guerre de 1939-1945, une nouvelle méthode est en plein essor; il s'agit de la Redaktionsgeschichte [Histoire de la rédaction]. Certains considèrent Robert Henry Lightfoot (1883-1953) comme un précurseur. Mais ce sont GŸnther Bornkamm (1905-) en 1948, Hans Conzelmann (1915-) en 1954 et Willi Marxsen (1919-) en 1956 qui lancent vraiment la méthode dans le NT. On l'appliquera par la suite à l’AT.
Enfin l'Eglise catholique consacrera à Vatican II, dans sa constitution Dei Verbum de 1965, l'utilisation des méthodes historico-critiques.
Les méthodes historico-critiques dont nous venons de faire une brève histoire des origines ne sont pas les seules méthodes utilisées actuellement par les exégètes. Et même si notre ouvrage porte uniquement sur celles-ci, nous voulons en profiter, en guise de conclusion, pour énumérer très brièvement quelques-unes des plus importantes méthodes qui sont actuellement pratiquées.
A la suite des travaux de linguistique de Ferdinand de Saussure (1857-1913) est née la méthode structurale. Elle a influencé de nombreux chercheurs comme le Danois Louis Hjelmslev (1899-1965) et les Français Emile Benveniste (1902-1976) et Roland Barthes (1915-1980). Mais les recherches linguistiques ne se limitent pas à de Saussure. Il faut aussi souligner le structuralisme de l'école de Prague dont les Russes Roman Jakobson (1896-1982) et Nicolas Troubetzkoy (1890-1938) sont les meilleurs représentants, les travaux de l'Américain Noam Chomsky (1928-); ceux du Russe Vladimir Propp (1895-1970) sur les théories actentielles qu'ont repris les Français Algirdas Julien Greimas (1917-) et Claude Brémond et enfin ceux de Tzvetan Todorov (1939-). Plusieurs exégètes tentent depuis une quinzaine d'années d'appliquer aux textes bibliques ces diverses découvertes linguistiques. Ils font la plupart du temps soit de l’analyse structurale, soit de la sémiotique ou encore des analyses sémantiques de divers genres.
Les analyses psychanalytique et psychologique de la Bible existent depuis les débuts de ces deux sciences. Sigmund Freud (1856-1939) lui-même dans son Moïse et le monothéïsme paru en 1939 fait des rapprochements entre le texte biblique et ses découvertes psychanalytiques. Mais c'est surtout depuis 1970 que paraissent de nombreuses études dans ces domaines, études souvent elles-mêmes influencées par le structuralisme ou la sémiotique.
Le Français Paul Ricoeur (1913-) et l'Allemand Hans-Georg Gadamer (1900-), tous deux philosophes et herméneutes, ont contribué à poser les questions du sens et de la signification, des rapports entre le texte, son auteur et les lecteurs, de l'histoire et de l'historicité. Ces recherches herméneutiques ont poussé certains exégètes à travailler dans la foulée de ces chercheurs.
L'approche matérialiste a vu le jour avec la parution d'un livre de Fernando Belo (1933-) en 1974. Depuis, c'est l'approche sociocritique qui a pris la relève, approche surtout développée dans la revue Masses Ouvrières.
Une nouvelle approche s'est aussi développée aux Etats-Unis dans les années 1960-1970. Il s'agit de la Rhetorical Criticism [Critique de la rhétorique]. C'est James Muilenberg (1896-1974) qui l'a proposée et il a même envisagé que cette nouvelle méthode pourrait remplacer la critique des formes.
Avec les multiples approches structurelles de diverses tendances qui ont vu le jour depuis 1960 surtout, la critique biblique s'enrichit mais se complique en même temps.
Diverses approches de type spirituel continuent à voir le jour selon les besoins et les personnes qui leur donnent naissance.
La sociologie fait aussi son entrée en exégèse biblique avec les années 1960. Plusieurs travaux de type sociologique sont parus depuis ce temps en exégèse biblique.
Enfin, il faut souligner que l'approche fondamentaliste est toujours bien vivante en Angleterre, en France, en Suisse et aux Etats-Unis pour ne nommer que les pays les plus importants où elle est pratiquée.
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Bibliographie choisie
1. Bibliographie générale
Ouvrages d'ensemble
BEAUDE, P.-M., Tendances nouvelles de l'exégèse, Paris, Centurion, 1979.
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CAZEAUX, J., Philon d’Alexandrie, Paris, Cerf, 1983.
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A. 2) L'exégèse rabbinique classique
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A. 3) L'interprétation de la Bible des origines chrétiennes à Grégoire le Grand (de 40 ap. J.-C. à 604 ap. J.-C.)
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