La Théologie de l'Ancien Testament: Définitions
et Problèmes
Par Thomas Römer
Dans le contexte du "renouveau biblique", paraît, en 1955, la
théologie de l'Ancien Testament d'Edmond Jacob. Cette théologie
est structurée en trois parties: Dieu (les aspects caractéristiques
du Dieu de l'AT), son agir ou son action dans l'AT (création, anthropologie),
son triomphe à la fin des temps (péché, rédemption,
eschatologie). A partir du nom de Yhwh, que E. Jacob met en relation avec
la racine "être", le fil rouge de cette théologie est l'insistance
sur le fait que Yhwh est un Dieu vivant, proche de son peuple et de l'humanité.
E. Jacob donne beaucoup de poids à l'étymologie des racines
hébraïques qu'il utilise pour construire des énoncés
théologiques. La tripartition et l'organisation de l'ouvrage montrent
une certaine proximité avec les loci de la dogmatique.
En 1957 paraît le premier tome de la théologie de l'AT
de Gerhard von Rad qui inaugure une nouvelle époque de la
discipline. L'idée directrice de G. von Rad, c'est qu'une théologie
de l'AT ne peut être conçue à partir des concepts de
la dogmatique chrétienne. C'est l'AT lui-même qui doit fournir
au théologien le cadre d'une théologie de l'AT. Donc la tâche
principale d'une théologie de l'AT est la Nacherzählung de
ce qu'Israël dit de Dieu et de sa relation avec lui. Pour von Rad,
une théologie vétérotestamentaire doit être
historique et non systématique ("l'AT est un livre d'histoire").
Il faut rappeler dans ce contexte les études de von Rad sur "les
credos historiques", où il avait essayé de montrer que l'origine
de l'AT se trouvent dans des confessions de foi, comme celle par exemple
du "petit credo historique" de Dt 26,5-9.
A partir de ces options théologiques, il paraît logique
que le premier tome de sa théologie de l'AT commence par une esquisse
de l'histoire de la foi en Yhwh. Ici von Rad présente une vision
de l'évolution des idées religieuses d'Israël des origines
jusqu'à l'époque postexilique. Von Rad décèle
trois moments importants qui ont forgé la foi yahwiste: la conquête,
l'instauration de la monarchie et la restauration deutéronomique.
Ainsi est tracé le cadre pour la présentation des différents
"kérygmes" des traditions historiques.
Pour von Rad, la théologie de l'AT ne doit pas se baser sur
une histoire d'Israël telle que l'historien peut la reconstruire mais
sur la manière dont Israël a rendu compte, via sa Bible, de
cette histoire. C'est néanmoins l'exégèse historico-critique
qui guide la présentation qui va suivre. D'abord von Rad parle des
théologies de l'Hexateuque et non pas du Pentateuque, puis en présentant
les différentes parties de cet ensemble, il distingue les différents
kérygmes selon la théorie documentaire (J, E, D, P). Dans
le paragraphe intitulé les "Oints de David", von Rad présente
les livres historiques de l'AT (HD, Chroniste). Ici, l'accent est mis sur
la figure de David. L'idée est apparemment que l'Hexateuque se construit
autour de l'élection du peuple tandis que les livres historiques
sont organisés à partir de l'élection davidique. Le
dernier paragraphe du premier tome s'intitule "la réponse d'Israël
devant Dieu", paragraphe où von Rad traite notamment des Psaumes
et de la sagesse. Curieusement, la sagesse, qui ne s'intéresse nullement
aux traditions historiques d'Israël, conclut le tome consacré
aux traditions historiques d'Israël.
Ce premier tome a eu plus d'impact que le deuxième, paru en
1960 et traitant surtout des traditions prophétiques. Pour von Rad,
les prophètes sont avant tout les interprètes des anciennes
traditions historiques d'Israël (contrairement à la vision
"libérale" qui considérait les prophètes avant tout
comme des réformateurs éthiques). Après un paragraphe
sur le prophétisme en général, dans lequel il définit
le prophétisme d'Israël comme une "eschatologisation de la
pensée historique", von Rad présente les kérygmes
des différents prophètes selon un ordre chronologique et
non pas canonique. Il commence par Amos et Osée pour terminer par
Daniel et l'apocalyptique. Sa théologie aurait pu se terminer sur
ce point. Mais on trouve un dernier paragraphe intitulé "l'actualisation
de l'AT dans le NT". Comme il y a déjà un processus d'actualisation
à l'úuvre à l'intérieur de l'AT, le NT s'inscrit dans
ce même processus. Von Rad s'oppose donc à une conception
simpliste de promesse et d'accomplissement. C'est seulement dans cette
dernière partie qu'il traite de la Loi. La Loi apparaît avant
tout pour lui comme un élément réinterprété
d'abord de façon "charismatique" par les prophètes, ce qui
prépare le dépassement de la loi par Jésus Christ.
Il y a donc à la fois une différence mais aussi une continuité
entre les deux Testaments: le véritable point d'accrochage entre
l'AT et le NT est l'auto-révélation de Dieu dans l'histoire.
Cette théologie de l'AT est sans doute une des plus illustres
du XXe siècle. Elle fait partie des grands classiques de la discipline
vétérotestamentaire et à ce titre il faut continuer
à la lire et à l'étudier.
Ceci dit, il faut également être conscient des présupposés
exégético-dogmatiques de von Rad et de certaines apories
de son approche.
Mentionnons d'abord son insistance sur l'histoire du salut qui est
un concept peu clair en fin de compte. D'abord elle pose la question de
la relation entre l'histoire réelle et l'histoire confessée
(p. ex. dans les credos historiques). S'agit-il de deux histoires parallèles
ou y a-t-il interaction entre les deux? Et à ce propos, peut-on
vraiment lire l'AT sous l'aspect d'une histoire linéaire? La structure
de la Bible hébraïque ne va guère dans ce sens (surtout
à partir des prophètes postérieurs). Enfin, von Rad
ne tient absolument pas compte de la place centrale qu'occupe la loi dans
le Pentateuque (Torah).
Peut-on se contenter de re-raconter ce que Israël a raconté
de Dieu? Est-ce qu'une telle approche n'est pas plutôt caractéristique
d'une introduction "théologisée" à l'AT?
En effet, comme nous l'avons vu, G. von Rad, peu systématicien,
a remplacé la traditionnelle théologie de l'AT (cf. encore
E. Jacob) par une suite de tableaux historiques. Cette approche le rapproche
notamment de la théologie kérygmatique de Bultmann et de
Barth. Avec Bultmann, von Rad partage l'insistance sur les "credos" qui
sont à l'origine de tout [***]; avec Barth, il insiste sur l'AT
comme porteur de kérygmes, c'est donc une approche homilétique
de l'AT. En effet, chaque époque a son kérygme: celui du
Yahwiste salomonien, de l'Elohiste, de la restauration deutéronomique
et de HD, de l'école sacerdotale et des différents prophètes.
C'est ainsi qu'il parvient à reconstruire une histoire du salut
légitimée par l'exégèse historico-critique:
celle de la succession des kérygmes (cf. de Pury-Knauf [mettre un
lien ***]). Or, cette reconstruction repose sur des présupposés
exégétiques qui ne sont plus défendables aujourd'hui.
Von Rad s'était opposé à l'idée d'un "centre"
(Mitte) de l'AT (sur ce point, on peut légitimement se demander
si la révélation de Dieu dans l'histoire ne constitue pas
une sorte de "centre" dans l'ouvrage de von Rad). W. Zimmerli, dans sa
brève théologie de l'Ancien Testament publiée en 1972,
s'oppose à l'idée d'après laquelle la seule cohérence
du discours vétéro-testamentaire sur Dieu "consiste uniquement
dans la continuité historique, c'est-à-dire dans le déroulement
de l'histoire" (p.13). A l'encontre de von Rad, Zimmerli postule qu'il
y a un centre de l'AT et que celui-ci se trouve dans l'auto-révélation
de Dieu dans son propre nom: "'Ani Yhwh" ("Je suis Yhwh!"). Cette insistance
sur la révélation qui n'a pas besoin de l'homme rapproche
Zimmerli de Barth. A partir de là, Zimmerli énumère
les différentes "identités" de Yhwh: l'ordre se veut à
la fois chronologique (en suivant l'âge des traditions) et théologique.
1) tout d'abord Yhwh est le Dieu libérateur qui sauve son peuple
de l'esclavage égyptien. Ce Yhwh aura été identifié
au Dieu des patriarches devenant ainsi le Dieu de la promesse. L'idée
du Yhwh-créateur est chronologiquement secondaire par rapport à
celle du Dieu libérateur de la sortie d'Égypte. Comme pour
l'image royale de Dieu, il s'agit d'une intégration dans la foi
yahwiste des fonctions attribuées au Dieu cananéen El.
Le discours de l'élection s'explique à partir de la tension
d'un Yhwh créateur (universel) et d'un Yhwh libérateur (particulier),
et c'est Yhwh en tant que Dieu du Sinaï qui ratifie cette élection
en donnant à Israël la loi et l'alliance;
2) la deuxième partie est intitulée "les dons de Yhwh"
et couvre surtout le Pt et les livres historiques. Cette partie commence
curieusement par la guerre comme don de Yhwh, suivi de celui du pays, et
enfin de la présence de Yhwh au milieu de son peuple. Ensuite son
traités les différents chefs et guides du peuple et à
travers eux les institutions qu'ils représentent. Le Dieu qui donne
est également le Dieu qui exige et qui demande;
3) d'où la troisième partie: "le commandement de Yhwh",
qui est une réflexion sur la loi à partir des premier et
deuxième commandements du Décalogue. Partie 2 et partie 3
ne sont pas à comprendre comme une suite chronologique, mais comme
les deux côtés d'une même réalité (le
don contient en effet l'exigence, et vice-versa).
4) la quatrième partie: "la vie devant Dieu", traite de la réaction
de l'homme face à la révélation (les accents sont
mis sur le culte et la sagesse).
5) la dernière partie porte le titre "crise et espérance".
Ici Zimmerli traite du cycle des origines, de l'historiographie deutéronomiste,
des prophètes, et finalement de l'apocalyptique. Ces différents
ensembles ont ceci en commun qu'ils placent tous l'homme entre le jugement
et le salut. Puisque l'AT contient de nombreux énoncés d'espérance
(ainsi que de crainte) non réalisées à la clôture
du canon, il reste un livre ouvert sur l'avenir. C'est dans cette ouverture
que Zimmerli semble apercevoir un pont vers le NT.
Zimmerli organise donc sa théologie, et ceci à l'opposé
de von Rad, selon une structure systématique qui découlerait
du message central de l'auto-révélation du nom de Dieu. Se
pose néanmoins la question si tout l'AT peut être mis en rapport
avec ce centre. Quel est p. ex. le lien du Yhwh tel qu'il apparaît
dans les récits de la conquête et celui du livre des Proverbes?
Ne faut-il pas essayer de faire ressortir les différences, voire
les tensions du discours vétérotestamentaire sur Dieu?
Claus Westermann publie sa théologie de l'AT en 1978. Contrairement
à Zimmerli, mais dans la ligne de von Rad, il affirme: "La question
d'un centre est sans objet" (p. 5). La seule manière objective de
rendre compte du discours vétérotestamentaire sur Dieu consiste
dans la prise au sérieux de la tripartition du canon de l'AT. Ces
trois parties correspondent selon Westermann à l'histoire racontée
(la Torah), à la parole de Dieu (les Prophètes) et à
la réponse de l'homme à Dieu (les Ecrits), ce qui va grosso
modo conditionner la structure de l'ouvrage. La grande diversité
des discours sur Dieu se trouve pourtant relativisée par l'idée
de l'unicité de Dieu dans tout l'AT, même si cette idée
de l'unité s'est élaborée au cours du temps. Westermann
distingue trois phases:
a. "C'est moi Yhwh, ton Dieu, qui t'ai fait sortir d'Egypte. Tu n'auras
pas d'autres dieux à côté de moi" (Ex20,2//Dt 5,6).
Ce discours ne manifeste aucune polémique contre les autres dieux,
il dit seulement qu'ils ne doivent pas être pris en considération
par Israël.
b. " Yhwh notre Dieu est le Seul Yhwh" (Dt 6,4; Trad. Westermann):
la tradition dtr met en garde contre les autres dieux qui sont perçus
comme une réalité menaçante.
c. "Avant moi aucun dieu ne fut formé, et il n'y en aura pas
après moi. C'est moi Yhwh, il n'y a pas d'autre sauveur que moi"
(Es 43,10). Ce texte du Deutéro-Esaïe qui conteste l'existence
même des autre dieux exprime une sorte de monothéisme. Westermann
précise aussitôt que le monothéisme en tant que concept
théorique n'est pas important pour l'AT. En revanche, les trois
phases font apparaître un lien entre la conception d'un Yhwh Sauveur
d'Israël et d'un Yhwh Créateur du monde.
Après cette introduction, Westermann traite des traditions de
la Torah: comme Zimmerli, il commence par la sortie d'Égypte qui
est l'événement fondateur de l'AT. Élection et alliance
sont considérés comme secondaires par rapport à cette
libération.
Ensuite, Westermann se tourne vers le Dieu créateur et le Dieu
de la bénédiction. A l'encontre de Zimmerli et de von Rad,
Westermann valorise le discours vétéro-testamentaire sur
la création: en parlant du Dieu créateur, Israël participe
à la quête de l'humanité tout entière de saisir
le destin de l'homme et de l'univers. Westermann distingue entre la création
du monde et la création de l'homme. Au Dieu créateur est
associée la bénédiction qui est "l'action constante
de Dieu outre son action événementielle" (p. 127). la quatrième
partie est consacrée au jugement de Dieu et à sa compassion.
Cette partie correspond aux prophètes postérieurs, elle commence
par des réflexions sur la notion de péché et passe
ensuite à la prophétie du jugement. Ce paragraphe est pondéré
par un chapitre traitant de la compassion de Dieu (la prophétie
de salut). La partie s'achève par l'apocalyptique où Dieu
est présenté à la fois comme juge [pour les nations???]
et comme compatissant pour les siens.
La cinquième partie parle de la réponse de l'homme à
l'agir et au parler de Dieu: ici, il est question de la louange et des
plaintes (Psaumes) ainsi que du culte. La loi apparaît pour la première
fois dans cette section (elle n'est donc pas directement liée à
l'événement libérateur). Les úuvres historiques de
l'AT (Yahwiste, HD et P) ne sont traitées qu'en quelques pages dans
cette section. Ce choix peut paraître curieux vu l'étendue
et l'importance de ces ensembles (le Chroniste est d'ailleurs passé
sous silence).
La dernière partie s'intitule: "L'AT et Jésus-Christ".
Westermann relève d'abord les parallèles fondamentaux entre
les deux Testaments, notamment celui existant entre le Dieu sauveur et
le Dieu créateur. Pourtant, la venue du Christ modifie la conception
du peuple de Dieu et celle de la situation dans laquelle se trouve le croyant.
Le souci de Westermann est de penser ensemble Dieu sauveur et Dieu
créateur. Pourtant, le Dieu sauveur se limite presque à la
confession de la libération hors d'Égypte. Toutes les autres
traditions historiques de l'AT sont reléguées à la
fin de l'ouvrage et traitées de manière extrêmement
succincte. La même remarque est valable pour le traitement des traditions
législatives.
Si Westermann insiste sur le fait que les auteurs de l'AT partagent
les préoccupations idéologiques de leurs voisins (discours
sur la création...), il est alors étonnant de voir que la
sagesse n'a aucune place dans la théologie de Westermann.
Une autre contradiction est à souligner: Westermann insiste
sur le fait qu'il n'y a pas d'autre systématique de l'AT que les
trois parties du canon; or, l'organisation de sa théologie n'est
pas vraiment construite selon ce principe.
B.S. Childs insiste fortement sur le canon comme structure théologique:
en 1985 paraît "Old Testament Theology", suivi en 1993 de cet autre
livre, "Biblical Theology of the Old and the New Testaments". Dans le livre
de 1985, Childs traite d'abord de thèmes traditionnels: de la révélation
de Dieu, de la loi, des médiateurs, etc. L'autorité définitive
de la Bible est attribuée aux éditeurs qui ont créé
le canon et c'est sur leur perspective que l'Église doit se baser.
Pour Childs, une théologie de l'AT ne peut être qu'une entreprise
chrétienne. Du même coup, le canon dont il est question est
le canon chrétien. Mais alors de quel de canon chrétien s'agit-il?
du canon catholique ou du canon protestant? Childs insiste sur le fait
que l'Église chrétienne a repris entièrement à
son compte la Bible juive dans une version élargie (la Septante),
elle ne l'a pas abrégée ni mélangée avec les
livres néo-testamentaires, ce qui signifie que l'AT, en régime
chrétien, garde une certaine autonomie, tout en étant compris
comme contenant des témoignages discrets sur Jésus-Christ.
La lecture "canonique" de Childs pose plusieurs problèmes: une théologie
de l'AT ne peut-elle être que chrétienne? Une telle vue est
par exemple contestée par Isaac Kalimi. Une théologie (chrétienne)
de l'AT ne peut-elle être faite que dans le contexte de l'Église?
Childs semble mélanger le descriptif et le normatif, et faire en
quelque sorte l'économie de l'herméneutique. Ensuite, le
canon, ou plutôt les trois parties du canon de la Bible hébraïque,
contiennent des énoncés contradictoires, tandis que Childs
offre une analyse qui paraît harmonisante. Néanmoins, Childs
a raison d'insister sur la forme finale de l'AT comme point de départ
d'une théologie vétérotestamentaire, voire biblique.
Doit-on encore écrire des "Théologies de l'Ancien Testament"
?
Dans le champ de la théologie vétérotestamentaire,
la dernière décennie de notre siècle se caractérise
par un paradoxe. Ces dernières années, de nombreuses "théologies
de l'AT" ont vu le jour. On peut interpréter ce phénomème
comme la nécessité de disposer d'une vue synthétique
face aux grands bouleversements qu'a connu la science vétérotestamentaire
depuis un quart de siècle (mise en question de la théorie
documentaire, contestation de l'existence d'une Historiographie deutéronomiste,
nouvelles approches des livres prophétiques, bouleversements dans
la reconstruction de l'histoire religieuse de Juda et Israël, etc.).
Mais en même temps a surgi une contestation forte de la possibilité
d'élaborer une théologie de l'AT. Le porte-parole de cette
contestation est Rainer Albertz qui veut remplacer la théologie
de l'AT par l'histoire de la religion d'Israël, qui selon lui est
la seule discipline synthétique possible en ce qui concerne l'AT
.
Pour étayer sa thèse, Albertz avance les arguments suivants:
si l'on regarde les innombrables théologies de l'AT, on constate
qu'il n'y aucun consensus ni en ce qui concerne la structure ni par rapport
à la méthode. Il n'est toujours pas clair ce que signifie
"Théologie de l'AT". Déjà le systématicien
E. Brunner (Offenbarung und Vernunft, Darmstadt 1961, p. 287) avait dit:
"Il n'y a pas de "théologie de l'Ancien Testament"". Il n'y a qu'une
multitude de théologies à l'intérieur de l'AT. Le
singulier exprime une volonté normative qui est en contradiction
avec le travail de l'exégèse historico-critique. Et même
si l'on veut résoudre le problème comme Childs en partant
du canon on ne fait que déplacer la difficulté. Albertz
fait remarquer qu'il n'y a jamais eu, ni dans le judaïsme, ni dans
le christianisme, un groupe qui aurait pris toutes les parties du canon,
sans différenciation aucune, comme fondement idéologique.
On peut en effet rappeler la hiérarchie du canon juive, ou le canon
dans le canon de Luther.
Le plus souvent, c'est la dogmatique privée de l'auteur qui
sert de principe organisateur à sa théologie de l'AT. Ceci
montre clairement que l'AT s'oppose à tout concept systématique.
Les théologies de l'AT courent en plus le danger de négliger
les apports de l'exégèse historico-critique. Se produit alors
une sorte de schizophrénie dans la mesure ou presque tous les auteurs
d'une telle théologie sont également des exégètes
formés à l'école historico-critique. Souvent les théologies
de l'AT harmonisent en effet les différences idéologiques
qui existent entre les différents auteurs de l'AT et oublient le
principe fondamental de l'exégèse à savoir que le
contexte historique et les milieux de production amènent souvent
une meilleure compréhension du texte.
Albertz mentionne finalement le problème d'une théologie
de l'AT qui lit l'AT à partir du NT. Surgit alors le danger d'une
récupération chrétienne de la Bible hébraïque
qui crée des blocages dans le dialogue judéo-chrétienne.
Face à ces nombreuses apories, Albertz propose donc de se consacrer
dorénavant à la présentation de l 'histoire de la
religion d'Israël, comme il vient d'ailleurs de le faire . Il reconnaît
que la reconstruction de l'histoire de la religion israélite est
également une entreprise subjective, mais elle permet de mieux intégrer
les religions proche-orientales et de mieux faire ressortir les tensions
entre les différents courants idéologiques qui vont constituer
l'Ancien Testament. Il faut abandonner la méfiance barthienne envers
la religion. Barth avait en effet dit: "la religion est le contraire de
la foi ... elle est l'affaire de l'homme athée". Aujourd'hui le
terme de religion n'est plus à utiliser à la manière
barthienne. Ni le judaïsme ni le christianisme ne doivent être
soustraits à l'analyse de l'historien des religions. Ainsi peuvent
s'ouvrir de vrais dialogues et l'histoire de la religion d'Israël
peut devenir, selon Albertz, plus théologique qu'une théologie
de l'AT.
De nombreux points de la critique d'Albertz sont entièrement
pertinents, mais ils nécessitent nullement qu'on refuse de construire
des théologies de l'AT; ils nécessitent pourtant une réorganisation
de la démarche. En effet, une histoire de la religion d'Israël
ne peut à elle seule rendre compte de l'organisation de l'ensemble
que nous appelons l'AT. Par contre pour rendre compte de cet ensemble on
ne peut faire abstraction ni des données historiques ni des apports
de l'histoire des religions proche-orientales. Nous y reviendrons.
Mais tournons nous d'abord vers les dernières tentatives de
synthèse de la théologie vétérotestamentaire.
L'ouvrage qui se rapproche peut-être, au moins formellement,
des revendications de R. Albertz est celui de A.H.J. Gunneweg, publié
après sa mort par sa femme et son élève M. Oeming.
Dans l'introduction, Gunneweg souligne fortement la tension qui existe
entre la normativité théologique et la relativité
scientifique. Il s'ensuit que l'on ne peut concevoir la "théologie
de l'AT" autrement que comme discipline historique, ce qui signifie pour
lui, comme histoire de la religion d'Israël dans une perspective biblique
et théologique. Puisque Dieu ne peut être l'objet d'une discipline
scientifique, l'histoire de la religion israélite doit se contenter
de retracer les conceptions de Dieu telles qu'elles apparaissent chez les
différents auteurs bibliques (p. 9-36). Le livre de Gunneweg est
donc conçu selon un schéma strictement chronologique.
Après quelques remarques sur la religion cananéenne dans
le contexte des systèmes religieux du Proche-Orient ancien, Gunneweg
commence sa présentation par ce qu'il appelle "l'époque préisraélite",
datée de 1400-1200 et caractérisée par "la religion
des Patriarches" (p. 45-53). On ne peut être qu'étonné
par cette présentation du cycle patriarcal comme reflétant
une époque historique archaïque et datable. Les mêmes
remarques peuvent s'appliquer au traitement des traditions de l'exode et
du Sinaï (p. 54-85). Gunneweg semble ignorer toute la discussion sur
l'historicité et la fonction des mythes d'origine de l'Ancien Testament.
Ceci est hautement regrettable dans la mesure où une analyse lucide
sur la manière dont Israël a rendu compte de ses origines peut
apporter davantage d'éclairages théologiques qu'un positivisme
historique quelque peu naïf. Après la présentation (également
dépassée) de l'époque de la confédération
tribale (p. 86-106), Gunneweg arrive à l'époque qui occupe
presque la moitié de sa présentation: la royauté (p.
107-203, il y traite de l'idéologie royale, de l'historiographie,
de la sagesse et du prophétisme préexiliques). Cette partie
s'ouvre par un paragraphe sur le problème religieux posé
par l'État. Ici, Gunneweg insiste sur l'ambiguïté du
jugement biblique sur la royauté. D'une manière générale,
il constate que tout ce qui est politique ne fait que détourner
l'attention de l'homme de la volonté de Dieu (p.111). La seule solution
à laquelle Israël ne pouvait accéder, se trouve dans
la foi en la nouvelle alliance en Jésus-Christ. Cette foi permet
au croyant une nouvelle existence eschatologique dans le monde tout en
n'étant pas de ce monde. De telles remarques ont-elles leur place
dans une présentation qui se veut selon le projet énoncé
par l'auteur purement descriptive? Gunneweg fait clairement apparaître
une conception bultmanienne selon laquelle l'AT est à comprendre
comme relevant de l'échec de l'homme face à Dieu. Les derniers
chapitres sont consacrés à la crise de l'exil (p. 204-211),
à la restauration (p. 212-219) et à l'époque perse
(p. 220-246). L'école deutéronomiste, traitée sous
"restauration" et l'école sacerdotale, traitée sous "époque
perse", n'ont droit chacune qu'à quelques pages. Or, il y a aujourd'hui
un quasi consensus sur le rôle décisif de ces deux courants
en ce qui concerne la formation du Pentateuque et des livres historiques.
Ceci devrait rendre impossible la présentation de ces courants comme
des phénomènes presque marginaux. La présentation
selon les époques historiques permet à Gunneweg de décrire
les positions théologiques de l'AT comme des réponses à
des crises historiques. Ces réponses ne sont jamais définitives
puisque Dieu dans sa liberté les dépasse chaque fois et les
met en question. C'est la foi chrétienne qui se laisse donner le
salut d'un Dieu qui restera toujours celui qui vient (p. 245). De telles
affirmations dépassent clairement le discours historique et descriptif.
Contrairement à Gunneweg dont le but était de retracer
la foi vétérotestamentaire dans son évolution historique,
J. Schreiner, dans sa théologie parue en 1995, choisit une structure
résolument systématique. Dans sa préface, il cite
le vúu du deuxième concile du Vatican, selon lequel l'étude
de la Bible doit être l'âme de la théologie. Cette référence
sert apparemment à donner une certaine normativité à
la théologie de l'AT, malgré l'insistance sur une approche
"descriptive" (p. 12-14). L'ouvrage de Schreiner comporte dix parties dont
chacune commence par le mot "Yhwh". C'est donc Yhwh qui constitue le centre
d'une théologie de l'AT (p. 14), ou plus précisément
la formule dite d'alliance ou d'appartenance: Yhwh est le Dieu d'Israël
- et Israël est le peuple de Yhwh. En commençant sa théologie
par une présentation de cet énoncé ("Yhwh, le Dieu
d'Israël", p. 17-56), J. Schreiner reprend à son compte une
idée de Wellhausen qui pensait pouvoir résumer l'AT par cette
relation. Suivent deux paragraphes sur "Yhwh, le Dieu salutaire" (p. 57-98)
et "Yhwh, un Dieu exigeant" (p. 99-132). Schreiner y traite de la confession
de la libération d'Égypte comme témoignage fondamental,
du don du pays et du plan de salut divin que Dieu réalise à
travers sa présence et des médiateurs. Il adhère clairement
à la conception catholique de l'histoire de salut, selon laquelle
celle-ci est cachée à l'intérieur de l'histoire profane.
Selon Schreiner, la réalisation de l'exode n'est possible que sous
la condition préalable de l'obéissance à Yhwh. S'agit-il
la d'une affirmation du salut par les úuvres qui est contraire à
la présentation biblique puisque le don de la Loi n'intervient qu'après
la libération de l'esclavage? L'exigence divine se trouve dans les
oracles prophétiques, dans le code de l'alliance, la loi du privilège
de Yhwh (Ex 34), le Décalogue et les commandements deutéronomiques.
Schreiner souligne que ces lois sont comprises par les auteurs vétérotestamentaires
comme don et salut (p. 127). Après le Dieu sauveur et législateur,
Schreiner parle du Dieu créateur (p. 133-164) en présentant
notamment les deux récits de la création mais aussi la conception
sapientielle de la création. Selon le témoignage de l'AT
le but de la création réside dans le fait que Dieu vient
habiter parmi son peuple (Schreiner favorise ici la conception sacerdotale).
Les parties V et VI sont consacrées à l'individu et à
la collectivité devant Yhwh (p. 184-213). Pour l'AT on ne peut séparer
la sphère individuelle de la sphère collective. La critique
prophétique rappelle sans cesse que Yhwh veut la justice et le droit,
et le Deutéronome met en avant la vocation d'Israël à
former un peuple de frères.
Dans la septième partie "Yhwh, le Dieu unique" (p. 214-243),
Schreiner retrace l'évolution de l'exigence de l'exclusivité
de la vénération de Yhwh vers l'affirmation monothéiste
qu'on trouve notamment chez le Deutéro-Esaïe. On ne comprend
pas très bien la place de ce paragraphe. En effet, la partie VIII
"Yhwh devant le péché et la faute" (p. 245-277) aurait constitué
une suite logique des parties où Schreiner traite de l'individu
et de la collectivité. En abordant le problème du péché
et du mal, Schreiner accorde une place importante à la théologie
sacerdotale de l'expiation qui matérialise en quelque sorte le pardon
divin. L'affirmation du pardon fait le pont avec la partie suivante où
il est question des différentes fêtes et célébrations
qui se trouvent dans la Bible hébraïque (Pâque, les pains
sans levain, les huttes, le sabbat, etc., p. 278-306). Cette partie sert
surtout à souligner l'importance des temps liturgiques. Le livre
se termine par un chapitre intitulé "Yhwh et l'avenir" (p. 307-338).
Des thèmes comme: le Messie à venir, une nouvelle et éternelle
alliance, et le règne de Dieu, permettent à l'auteur de présenter
l'AT comme étant ouvert vers le NT. Il semble donc renouer, très
discrètement, avec une théologie de la promesse (AT) et de
l'accomplissement (NT).
La théologie de Schreiner est parmi celles présentées
ici la théologie la plus centrée sur l'Église (catholique).
De nombreuses affirmations (comme p. ex. sur le plan de salut, l'expiation,
la liturgie) peuvent être utilisées pour justifier certaines
pratiques ecclésiologiques. La structure de l'ouvrage reste assez
aléatoire, à moins qu'elle ne s'inspire du schéma:
Dieu, l'homme, le péché et la rédemption. Il s'agit
néanmoins d'une présentation claire et accessible, écrite
avec un certain talent pédagogique.
La théologie de Schreiner s'adresse à un public plus
large que celui des théologiens; ceci n'est guère le cas
des deux tomes de la théologie de l'AT de H.D. Preuss (I, 1991 et
II, 1992) où certaines pages ressemblent à une jungle où
le sentier a disparu sous l'avalanche des notes de bas de pages. A cet
égard, l'ouvrage de Preuss ressemble parfois plus à une histoire
de la recherche qu'à une présentation synthétique
de la théologie vétérotestamentaire. Comme Schreiner,
Preuss se prononce en faveur d'un présentation systématique
de la théologie de l'AT (I, p. 23), tout en insistant sur le fait
que cette dernière doit rester historique et descriptive. En se
distinguant expressément de G. von Rad, Preuss souligne la nécessité
de trouver le "centre" de l'AT. Il rappelle que l'AT n'est pas la révélation
immédiate de Dieu, mais qu'il contient des témoignages et
des réponses faisant suite à cette rencontre avec Dieu. La
question est de savoir si malgré l'extrême diversité
de ces témoignages la Bible hébraïque contient une structure
fondamentale dans laquelle les différents discours peuvent se rejoindre
(I, p. 27-28). Preuss trouve cette "Grundstruktur" dans l'élection
d'Israël en vue de la communion avec le monde entier. C'est pourquoi
le tome I s'intitule: "l'agir de Yhwh dans l'élection et dans ses
exigences". Ce titre n'est pas sans rappeler la distinction (paulinienne
?) entre indicatif et impératif. Dans la première partie
Preuss affirme, après quelques considérations sur le concept
de l'élection (I, p. 31-42), l'événement de l'exode
comme le fondement de toute élection. Il retrace ensuite la présentation
biblique des livres de l'exode jusqu'à la conquête en Josué
et l'époque guerrière des Juges (I, p. 43-157). Preuss donne
une certaine place à la loi, puisque l'élection du peuple
ne peut être séparée des exigences liées à
cette élection. Mais la loi est quasiment réduite aux deux
premiers commandements du Décalogue (on peut se demander si Preuss
est sur ce point dépendant de la théologie de W. Zimmerli,
où on trouve la même démarche ), à la suite
desquels Preuss traite de l'avènement du monothéisme (I,
p. 124-131). La deuxième grande partie du tome premier est consacrée
à la doctrine de Dieu selon l'AT (I, p. 158-302). Cette partie qui
commence par des réflexions sur le Nom divin et les différentes
appellations et manifestations de Yhwh traite également (mais en
quinze pages seulement!) de Yhwh en tant que créateur. Cette option
trahit peut-être encore l'influence de la théologie dialectique
et de sa méfiance contre toute "théologie naturelle".
Le deuxième tome porte le titre "le chemin d'Israël avec
Yhwh"; l'auteur y présente d'abord les autres objets de l'élection
divine selon l'AT (p. II, 2-104): les Patriarches, la royauté et
le messie, le temple et Sion, les prêtres et les lévites et
finalement les prophètes. Dans tous ces paragraphes, Preuss se montre
au courant de toutes les discussions récentes, concernant p. ex.
les traditions patriarcales, la composition des livres des Juges, Samuel
et Rois, etc. Mais apparemment, il considère toutes ces traditions
comme théologiquement secondaires face à l'élection
fondamentale qui est celle de l'exode. Etonnement Preuss résume
(assez brièvement) la prophétie sous le chapitre de l'élection.
On ne peut guère affirmer que cela soit le thème principal
de la plupart des livres prophétiques. Dans le tome I, la présentation
de l'élection primitive au moment de l'exode était suivie
par la doctrine sur Dieu, dans le tome II les paragraphes traitant des
autres objets de l'élection sont suivis par le discours vétérotestamentaire
consacré à l'homme: anthropologie, éthique, culte
(II, p. 105-273). Sous "anthropologie", Preuss traite de la conception
de l'homme chez P (image de Dieu), chez le Yahwiste (salomonien) auquel
il semble encore croire et dans la tradition sapientielle. C'est dans le
même paragraphe qu'on trouve des réflexions sur le péché
et l'expiation. Comparés à la théologie de Schreiner
ces thèmes occupent chez Preuss assez peu de place. L'ouvrage se
termine par deux paragraphes soulignant l'ouverture de l'AT (ceci semble
être un point commun de nombreuses théologies de l'AT): "l'avenir
du peuple de Dieu" (eschatologie et apocalyptique, II, p. 274-304), et
"le peuple élu et les autres peuples" (II, p. 305-326). Preuss présente
les textes qui posent la question des autres peuples comme destinataires
du salut divin. Après avoir évoqué (dans une perspective
chrétienne) le serviteur souffrant du livre d'Esaïe, Preuss
réaffirme en finale, de nouveau à la manière de Zimmerli,
l'ouverture de l'AT.
La théologie de l'AT rédigée par Preuss ressemble
à un compendium. On y trouve des informations sur presque tout thème,
toute tradition et tout livre vétérotestamentaires. Du coup,
la démarche synthétique et systématique annoncée
reste un peu floue. On peut également souligner que Preuss donne
une place importante à l'histoire de la religion d'Israël (sous
la question du monothéisme il discute par exemple du couple "Yhwh
et Ashéra").
Il semble donc qu'on ne peut écrire une "théologie de
l'AT" autrement qu'en mélangeant les approches systématique,
historique (y compris l'histoire de la religion), voire canonique. C'est
exactement ce que fait O. Kaiser dans son ouvrage intitulé "Le Dieu
de l'AT" (tome I: "fondements" paru en 1993, tome II: "l'être et
l'agir[de Dieu]", paru en 1998). Le tome I s'ouvre par une histoire de
la recherche détaillée, retraçant l'utilisation de
l'AT depuis Jésus jusqu'au XXe siècle (I, p. 24-74). En réfléchissant
sur la tâche d'une théologie de l'AT (I, p. 13-23; 75-89;
II, 9-28), Kaiser distingue deux niveaux: la théologie de l'AT en
tant que science descriptive contribue à une meilleure compréhension
de l'AT. Elle ne devient normative pour le chrétien que dans la
mesure où elle est confirmée par le message néotestamentaire
et qu'il y reconnaît une interprétation adéquate de
sa propre existence. Kaiser se réfère la doctrine luthérienne
de la justification par la foi. L'AT fait apparaître selon Kaiser
une structure fondamentale de toute existence humaine puisque toute vie
est à la fois don et exigence. L'échec d'Israël face
à la loi devient en perspective chrétienne un paradigme pour
la nécessité d'un salut gratuit (I, p. 87 et 351). Ces remarques
que certains comprendront sans doute comme légèrement antisémites
sont pourtant rélativisées par Kaiser: il appelle à
un travail descriptif qui devrait souligner comment la Bible hébraïque
peut rapprocher les trois religions monothéistes et qui, libre de
toute doctrine ecclésiastique ou autre, sache faire ressortir la
foi comme une confiance absolue en Dieu qui dépasse tout raisonnement
humain (II, p. 23-24). On peut néanmoins poser la question si une
théologie de l'AT, dont le Sitz im Leben est le discours universitaire
peut aboutir à des tels résultats. L'ouvrage de Kaiser est
néanmoins un des plus stimulants parmi les productions récentes
des théologies de l'AT.
Le premier tome contient une esquisse de l'évolution de Yhwh,
qui d'un Dieu de la montagne devient un Dieu légitimant la royauté,
qui est confessé à l'époque perse comme le Dieu unique,
et qui devient le Dieu de l'histoire mais aussi le Dieu incompréhensible
à l'époque de l'hellénisme (I, p. 90-156). Ce parcours
rappelle la première partie de la théologie de von Rad ("esquisse
d'une histoire de la foi en Yhwh") avec cette différence que
Kaiser ne se contente pas de résumer l'image que dessine l'AT, mais
qu'il a fréquemment recours aux données extrabibliques.
Après ce premier parcours, Kaiser décrit le discours
sur Dieu dans les grands ensembles de l'AT qu'il distingue en úuvres historiques
(I, p.157-212: la grande histoire de Gn-2R, le Yahwiste (post-)exilique,
l'úuvre sacerdotale, l'historiographie dtr et l'úuvre chroniste), livres
prophétiques (I, p. 213-262) et littérature sacerdotale (I,
p. 263-299). Kaiser montre comment l'Historiographie dtr devient la clé
de lecture de l'ensemble de Gn-2R en insistant sur l'obéissance
vis-à-vis de la Tora comme condition du salut d'Israël. La
prophétie de malheur préexilique devient après la
catastrophe de l'exil à la fois littérature de consolation
et d'exhortation à la fidélité vis-à-vis de
Yhwh et de sa Tora. La littérature sapientielle finalement "résout"
le problème du non fonctionnement de l'idée de la rétribution
soit par une "eschatologisation" de la rétribution (Dieu jugera
les méchants à fin des jours) soit par la soumission de la
sagesse à la Tora.
Les trois ensembles montrent ainsi comment la Tora y devient un principe
herméneutique. Il est donc logique que Kaiser fasse suivre une partie
sur la Tora (p. 300-353) où il affirme très clairement que
c'est la Tora qui est le centre de l'AT. A notre connaissance Kaiser est
le premier auteur chrétien d'une théologie de l'AT à
souligner ce qui de point de vue historique et canonique est une évidence
.
Kaiser complète cette affirmation en lui joignant trois concepts
qui donnent à l'AT son unité: a. la relation fondamentale:
Yhwh est le Dieu d'Israël, et Israël le peuple de Yhwh (cf. également
Schreiner); b. le commandement principal: Israël ne doit servir aucun
autre dieu (Ex 20,3//Dt 5,7); c. l'équation fondamentale: obéissance
et salut, justice et vie se correspondent comme désobéissance
et malheur, ainsi qu'injustice et mort (I, p. 350; II, p. 17-18).
Le deuxième tome s'ouvre par ce que Kaiser appelle la relation
fondamentale: Yhwh, le Dieu d'Israël (II, p. 29-66). Cette affirmation
devient problématique et théologiquement significative après
la catastrophe de l'exil: sont ainsi présentées les réponses
du Yahwiste (exilique), du document sacerdotal, du Deutéro-Esaïe,
du Deutéronome, du Deutéronomiste et du livre d'Osée
rédigé par les Deutéronomistes. Les paragraphes suivants
traitent du nom et des titres de Yhwh et de sa perception comme Dieu proche
et néanmoins lointain (II, p. 67-160). Les paragraphes consacrés
au culte, au temple et à l'interdiction d'images (II, p. 161-209)
font apparaître une spiritualisation et du culte et de la conception
de la présence divine. La dernière partie de l'ouvrage présente
le discours vétérotestamentaire de la création (II,
233-317). A la suite de Westermann et Albertz, Kaiser distingue l'idée
de la création de l'homme, plus ancienne, de celle de la création
du monde. Israël partage ses idées avec ses voisins; en opposant
le Dieu créateur au monde créé, les auteurs bibliques
cassent l'identité mythique entre théogonie et cosmogonie,
entre naissance des dieux et du monde. L'homme devient ainsi médiateur
entre Dieu et le monde (cf. Gn 1). C'est pourquoi Kaiser termine avec des
réflexions anthropologiques ("l'homme comme créature et image
de Dieu") qui débouchent sur la nécessité et les limites
des discours anthropomorphiques sur Dieu. Cette conclusion est originale,
car contrairement aux autres théologies présentées,
Kaiser ne souligne ni l'ouverture de l'AT ni ses analogies avec le NT.
Il reste dans le cadre de la Bible hébraïque en s'interrogeant
sur les possibilités humaines de parler de Dieu (avec un renvoi
à Es 40,18). Cet arrangement s'explique sans doute par l'option
de Kaiser de comprendre l'AT comme un livre qui confronte chaque homme
avec la nécessité de comprendre son existence dans la tension
entre don et exigence. Ainsi il devient possible d'écrire une théologie
de l'AT qui ne débouche pas automatiquement sur la "suite" néotestamentaire.
Face à ces parutions récentes, peut-on tirer un bilan?
Il apparaît que contrairement au souhait de R. Albertz les théologies
de l'AT fleurissent (aux Etats-Unis vient d'ailleurs de sortir une impressionnante
Théologie de l'AT rédigé par W. Brueggemann ). Les
approches sont bien sûr diverses, mais on serait mal conseillé
de vouloir se lamenter de cette "affreuse subjectivité". Toute théologie,
quelle soit biblique ou systématique comporte toujours une dose
de subjectivité. Il y a d'ailleurs un consensus parmi les auteurs
présentés qui concordent dans l'idée que la tâche
d'une théologie de l'AT devrait être descriptive. Elle devrait
faire ressortir les grandes thèmes et enjeux de la Bible hébraïque
face auxquels le théologien ou les "simple lecteur" sont invités
à se situer. R. Albertz et autres font remarquer que le fait d'écrire
une théologie de l'AT est apparemment une affaire de chrétiens.
Ceci est en grande partie vrai . Comment expliquer ce phénomène?
On pourrait d'abord dire que la volonté de classer, de "systématiser",
est contraire à la tradition juive d'interprétation qui,
elle, insiste avant tout sur le débat dans l'interprétation.
Peut-être faudrait-il davantage intégrer cet aspect dans une
synthèse qui de toute façon, comme l'ont souligné
quasiment tous les auteurs récents, devrait prendre en compte la
diversité des idéologies à l'intérieur de l'AT
sans les gommer, voire harmoniser. Une théologie de l'AT doit être
une théologie au pluriel. Il me semble également impossible
en ce qui concerne la Bible hébraïque de séparer la
théologie de l'anthropologie. Les discours sur Dieu et sur l'homme
sont tellement entremêlés, que pour l'AT parler de Dieu signifie
aussi parler de l'homme et vice versa.
Une théologie "crédible" de l'AT devrait prendre en considération
les paramètres suivants: ne pas commencer par une reconstruction
historique de la foi yahwiste mais partir de la Bible hébraïque
telle qu'elle existe en ses trois parties et réfléchir sur
la "théologie" de cette structure. Mais puisque le canon níest pas
un ensemble lisse mais contient des énoncés fort divers,
voire contradictoire, il faut faire ressortir ces différentes voix
et les théologies respectives qu'elles véhiculent. Il faudrait
également réfléchir sur la signification théologique
de telles cohabitations difficiles. Le théologien de l'AT ne peut
donc pas faire abstraction des résultats de l'exégèse
historico-critique qui mettent en relief les conditions historiques et
sociologiques de la mise par écrit des textes bibliques. A la fin
du parcours la question du "centre" ou de l'unité dans la diversité
devra être posée, de même que celle de la relation entre
AT et NT, question inévitable pour un auteur qui écrit dans
un contexte chrétien. |