Fraude scientifique: comment l'Université se protège
Une fraude scientifique cause du tort non seulement à son auteur, mais aussi à la collectivité au sein de laquelle il travaille. A l'Université de Genève, "l'affaire Rylander"(1) et plus récemment les accusations à l'encontre d'un chercheur du Département de biochimie médicale(2) ont mis en lumière cette problématique. Il est par conséquent crucial que les institutions de recherche se protègent face à ce type d'agissements. Comment? Faudrait-il prévoir pour cela une législation cantonale ou fédérale? Présumer le respect des règles d'éthique implicites à la recherche semble en effet insuffisant. Depuis 2002, les facultés de médecine suisses ont adopté une série de directives pour l'intégrité de la science. Rédigées sous les auspices de l'Académie suisse des sciences médicales (ASSM), elles définissent notamment des procédures à adopter lorsqu'une fraude est soupçonnée. Le Rectorat de l'Université de Genève envisage maintenant d'élargir ces règles internes à l'ensemble de l'Université.
Avant de parler des mesures adéquates à prendre en cas de fraude, il peut être intéressant d'examiner les causes: quelles sont les raisons poussant un chercheur à frauder? Alex Mauron, professeur de bioéthique à l'UniGe, reste très prudent lorsqu'on lui pose la question: "Il faudrait demander aux fraudeurs. Le comportement humain est très souvent irrationnel. On en est donc réduit à des spéculations. Le cas de figure vraisemblablement le plus courant est celui où le scientifique croit observer un phénomène, mais ne parvient pas à répéter l'expérience. La tentation est alors très forte de fausser les résultats pour qu'ils correspondent à la première impression." "Suicides scientifiques" Il existe aussi des cas de "suicide scientifique": une personne est nommée à un poste trop élevé pour ses compétences, et elle se sent surévaluée. Or, ce type de position est très difficile à supporter psychologiquement, observe Denis Duboule. La personne commet alors une faute, pour s'éjecter hors du système. Le financement de la recherche par des entreprises privées augmente-t-il le risque de fraudes? Cet argument est souvent invoqué pour expliquer les manquements aux règles d'honnêteté intellectuelle, mais Alex Mauron réfute le lien de cause à effet: "Il y a des cas atypiques, comme dans l'affaire Rylander, où une industrie a intérêt à dissimuler la nocivité de ses produits. Mais en général l'industrie n'a que faire de résultats frauduleux, qui aboutiraient à la conception de produits défectueux, et où elle devrait payer les pots cassés." Responsabilité des institutions Il est impératif de protéger le dénonciateur des pressions qu'il pourrait subir, surtout lorsque la personne dénoncée est un supérieur hiérarchique. La jalousie, l'animosité personnelle, un compte à régler ou une place à prendre sont très souvent invoqués pour affaiblir la position du dénonciateur. L'avocat du chercheur accusé de fraude au Département de biochimie médicale invoque ainsi le "harcèlement moral provoqué par la jalousie " dont serait victime son client. Afin d'assurer la crédibilité du dénonciateur, il importe également d'identifier à temps les dénonciations calomnieuses susceptibles, elles aussi, de porter préjudice à une institution ou à un groupe de recherche. Plus l'institution agit rapidement et moins les risques de confusion sont grands, estime Denis Duboule, insistant sur la nécessité de fermer le laboratoire incriminé et de saisir les documents, aussitôt qu'un cas est signalé. Pas de police scientifique Egalement opposé à une législation dans ce domaine, Peter Suter, vice-recteur de l'Université, souligne d'ailleurs que les quelques cas de fraudes scientifiques ayant été portés devant la justice ont souvent abouti à des résultats assez catastrophiques. En revanche, le vice-recteur se dit favorable à ce que soit inscrite dans la loi l'obligation pour les hautes écoles de mettre en place un guide-line éthique. Les directives pour l'intégrité de la science, telles qu'elles s'appliquent en Faculté de médecine, ont en effet l'avantage de prévoir une procédure claire en cas de soupçon. Les chercheurs savent qu'ils peuvent s'adresser à un ombudsman, qui recueille la plainte, juge de sa pertinence, avant de léguer l'affaire, s'il l'estime nécessaire, à un délégué à l'intégrité scientifique, chargé de procéder à une enquête interne. L'Université de Genève a pris les devants en la matière, annonce Peter Suter. Une version adaptée des "Directives relatives à l'intégrité scientifique" rédigées par l'ASSM est en effet actuellement soumise à l'examen des facultés, en vue d'une application à l'ensemble de l'Université.
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Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Mai 2004
2004