Quand les gènes s'expriment
Une collaboration entre des scientifiques de la Faculté de médecine de l’UNIGE et du Wellcome Trust Sanger Institute en Angleterre a permis de montrer que les variations génétiques peuvent avoir des effets différents en fonction des tissus. D’après leur étude, qui fait l’objet d’une publication dans la revue Science, l’existence d’une mutation dans l’ADN d’un individu peut en effet affecter l’activité des gènes d’un ensemble de tissus, sans influer sur d’autres. De telles avancées ouvrent la possibilité d’évaluer si un ADN contient des variations génétiques prédisposant à un type de maladie plutôt qu’un autre.
Dans le domaine biomédical, une question d’envergure reste en suspens: celle de la fonction du génome humain. Cette interminable molécule d’ADN, qui contient environ 21’000 gènes et tout autant d’informations à décrypter, n’a pas encore dévoilé tous ses mystères. Depuis plusieurs années, les scientifiques essayent de comprendre par quel mécanisme l’activité de chacun de ces gènes est régulée, dans les différents tissus de notre corps, et à des moments distincts de la vie.
Les variations génétiques au sein de l’ADN exercent en effet une influence sur la manière dont les gènes sont exprimés et mènent ainsi à des différences d’activité génétique d’une personne à l’autre. On sait notamment à présent que les variations dans la région du génome qui régule l’activité des gènes sont à l’origine de nos différences individuelles, mais peuvent aussi être la cause ou la prédisposition à certaines maladies.
Aujourd’hui, des recherches menées par les laboratoires du prof. Stylianos Antonarakis, à l’UNIGE, et le prof. Emmanouil Dermitzakis, qui vient de quitter le Wellcome Trust Sanger Institute en Angleterre pour rejoindre l’UNIGE, permettent de franchir un nouveau pas dans la compréhension de ces mécanismes. Les scientifiques sont effectivement parvenus à mettre en évidence les régions précises du génome où ces variations jouent un rôle décisif sur l’activité d’un grand nombre de gènes. Qui plus est, contre toute attente, il apparaît que ce phénomène diffère d’un tissu à un autre, ce qui tendrait en partie à expliquer pourquoi l’expression de nos gènes varie en fonction des différentes régions de l’organisme.
Pour réaliser cette étude, les chercheurs ont collecté trois types de tissus auprès de nombreuses personnes dites «saines». Ensuite, grâce à des technologies dernier cri, les deux laboratoires ont mesuré l’expression de milliers de gènes dans chacun de ces tissus et analysé les variations génétiques de tous ces individus. Cette entreprise a notamment débouché sur la création d’une banque de données de tissus unique au monde, appelée GENCORD, établie par le Service de médecine génétique des Hôpitaux universitaires de Genève, avec la collaboration du personnel de la maternité et le consentement du comité d’éthique de la recherche médicale.
Cette étude fournit de nouvelles connaissances au sujet de la variabilité de l’activité des gènes dans nos tissus. Elle montre entre autres que l’existence d’une mutation dans l’ADN d’un individu peut affecter l’activité des gènes d’un ensemble de tissus, sans influer sur d’autres. «Ce qui ressort de cette recherche, c’est toute la complexité de l’expression des gènes dans les tissus de notre organisme. Dans son cadre, nous sommes en effet parvenus à mettre en lumière certains des mécanismes propres aux variations génétiques. Bien évidemment, nous n’arriverons pas à expliquer l’ensemble de ces effets sans une collaboration internationale de grande envergure» explique le prof. Dermitzakis, «mais de telles initiatives sont déjà lancées.»
L’impact du patrimoine génétique sur l’expression des gènes dans les tissus peut expliquer pourquoi les maladies génétiques sont à même d’affecter un organe plutôt qu’un autre. Plusieurs de ces variations génétiques prédisposent en effet à des maladies humaines telles que le diabète ou les maladies cardio-vasculaires. De telles avancées ouvrent dès lors à la possibilité d’évaluer si un ADN contient des variations génétiques prédisposant à un type de maladie plutôt qu’un autre, bien qu’il ne soit pas nécessairement possible de savoir quels sont leurs effets directs sur la cellule.
«Cette étude n’est pas sans conséquence sur la direction à donner à nos recherches futures. Nous allons désormais essayer de déterminer quelles sont les caractéristiques tissulaires qui sont à l’origine de maladies causées par les mutations présentes dans notre génome et, en conséquence, tenter de mieux cibler les traitements» observe le prof. Antonarakis. Bien que ces variations soient présentes dans l’ADN de toutes les cellules de l’organisme, seulement quelques-uns de nos tissus en verront l’expression de leurs gènes modifiée.
Cette étude, qui a été financé par le projet européen «AnEUploidy», le FNRS, le Wellcome Trust et l’Institut national de la santé américain (NIH), conduit à chercher les effets de ces mutations sur les tissus spécifiquement atteints par les maladies.
3 août 20092009