Le rôle de la médecine de famille dans l’épidémie de COVID-19
Avec une étude couvrant 1500 patients ambulatoires, une équipe de l’UNIGE met en lumière le rôle crucial que pourraient jouer les médecins généralistes dans le contrôle du COVID-19.
La crise du COVID-19 a amené les gouvernements à s’appuyer sur l’expertise de spécialistes dans la définition des politiques d’urgence sanitaire. Cependant, si le COVID-19 se distingue par la soudaine gravité des symptômes qu’il peut déclencher et la portion importante de malades qui doivent être soignés aux soins intensifs, bon nombre de personnes infectées n’ont présenté que des symptômes légers ne nécessitant pas de prise en charge hospitalière. En revanche, le risque de transmission n’était, lui, pas diminué, particulièrement au vu de la pénurie de tests de dépistage. Dans ce contexte, quel est le rôle des médecins de famille, en particulier pour le diagnostic et le triage de patients potentiellement infectés? Une équipe de l’Université de Genève (UNIGE) et de l’Université Claude Bernard à Lyon a analysé les données cliniques de plus de 1500 patients ambulatoires testés pour le COVID-19. Elle en a tiré une série d’articles mettant en lumière la grande disparité entre les symptômes observés à l’hôpital et en médecine ambulatoire et les difficultés diagnostiques qui peuvent en découler. Ces travaux soulignent la nécessité d’une plus grande implication des médecins de famille dans la définition et la mise en place des politiques sanitaires visant à contrôler une telle épidémie de même que celle de renforcer la recherche académique en médecine de famille.
Dès mars 2020, lorsque le COVID-19 se répand dans toute l’Europe, les médecins généralistes doivent, face à de potentielles infections, se baser sur des données cliniques recueillies en milieu hospitalier, les seules informations officielles disponibles. «Cependant, d’autres informations non encore confirmées nous parvenaient de nos collègues – ou même au travers des réseaux sociaux – faisant état de tableaux cliniques très différents rencontrés par les médecins généralistes dans leurs cabinets, explique Hubert Maisonneuve, chercheur au sein du groupe dirigé par Dagmar Haller, professeure à l’Unité des internistes généralistes et pédiatres (UIGP) de la Faculté de médecine de l’UNIGE. Comme il était extrêmement difficile de faire tester nos patients, nous avons décidé, avec quelques collègues et en collaboration avec deux laboratoires ambulatoires, de mettre sur pied des études qui nous permettraient de mieux comprendre la symptomatologie du COVID-19 dans ses formes légères et éventuellement mettre au point un outil d’évaluation clinique.» À cette fin, les données cliniques de plus de 1500 patients qui se sont présentés pour un test de dépistage ont été recueillies entre le 24 mars et le 7 mai: chez 16% d’entre eux, ce test s’est révélé positif.
Des symptômes notablement différents
Les médecins-chercheurs ont pu établir un tableau clinique de ces patients qui s’est révélé notablement différent de celui décrit en milieu hospitalier mais concordant avec les informations informelles récoltées précédemment. «Très tôt, nous avons décelé la place prépondérante de la perte de goût et d’odorat parmi les symptômes les plus prédicteurs de la maladie, contrairement à la fièvre ou à la toux, trop peu spécifiques», explique Benoît Tudrej, médecin généraliste et membre du Collège universitaire de médecine générale de l’Université Claude Bernard de Lyon, qui a participé à ces travaux. De plus, des symptômes plus rares que l’on pensait fortement liés au COVID-19, comme le souffle court, se sont avérés très peu corrélés à un test positif.
«Comme la population ambulatoire est différente de celle qui arrive à l’hôpital, il n’est pas surprenant que les tableaux cliniques diffèrent ainsi. Cependant, cela indique qu’on ne peut pas baser toute une politique de santé publique dans la gestion d’une épidémie sur des données uniquement hospitalières, surtout lorsqu’on manque de tests pour réaliser un dépistage au moindre symptôme», ajoute Benoît Tudrej.
Un score de prédiction clinique peu efficace
De nombreuses équipes de recherche ont voulu mettre au point un score de prédiction clinique, une technique couramment utilisée permettant, en cumulant diverses indications cliniques, d’estimer de manière statistique le risque que présente un patient pour telle ou telle maladie. «Nous avons ainsi testé le modèle publié par une équipe anglo-américaine, publié dans Nature Medicine, se basant sur des données récoltées à l’aide d’une application, détaille Hubert Maisonneuve qui est également médecin de famille en région lyonnaise. Or, sur nos données, ce score ne fonctionne pas. La cause en est vraisemblablement un biais de sélection dans l’étude anglo-américaine où les répondants – majoritairement des femmes jeunes – ne présentaient pas le même profil démographique que nos patients.»
Le score de prédiction clinique semble d’ailleurs mieux fonctionner pour un sous-groupe de population, les femmes entre 40 et 60 ans, dont les symptômes semblent plus marqués et donc plus faciles à détecter. «Cet aspect de nos travaux doit encore être confirmé sur des échantillons plus importants ou avec des outils d’analyse plus puissants», précise Paul Sebo, chercheur à l’UIGP en charge de ce volet de l’étude.
Le médecin de famille essentiel à une politique de santé efficiente
Ces études menées dans l’urgence d’une situation exceptionnelle mettent en lumière le fait que les médecins de famille restent souvent à la marge des décisions politiques au détriment d’une partie importante de la population pour qui ce praticien reste le seul interlocuteur de santé. Dans une situation où le triage des patients pose problème mais où la menace se répand rapidement, cela peut mener à un retard de prise en charge ou à un manque de finesse dans l’analyse de la situation. «Cela est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit, comme c’est le cas actuellement, d’identifier le plus rapidement possible l’apparition de nouveaux clusters afin d’endiguer la propagation du virus», soulignent les auteurs.
Ces travaux montrent également que la recherche en médecine de famille est encore trop peu développée alors qu’elle peut, lorsqu’elle se base sur des données probantes, prendre toute sa place dans la construction du savoir académique et médical.