11 mai 2023 - Rachel Richterich

 

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«Notre attention est une ressource précieuse»

Notre attention est la cible des géants du numérique comme Netflix, YouTube et autres réseaux sociaux, qui savent habilement la détourner pour nous pousser à consommer davantage. Une soirée sera consacrée à cette problématique mercredi 17 mai.

 

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Qui ne s’est pas déjà étonné-e avec un certain effroi du temps qu’il ou elle venait de passer à faire défiler des images sur un réseau social? Un temps qui semble filer à une vitesse folle, pendant que nous naviguons de lien en lien, sans nous en apercevoir. Ce mécanisme, c’est ce que les chercheurs/euses appellent la captation de l’attention. Autrement dit, la manière dont les plateformes numériques parviennent à capturer notre cerveau.

Ce sujet sera au cœur d’une conférence mercredi 17 mai à Uni Dufour, lors de laquelle des spécialistes, juristes et chercheurs/euses débattront des moyens de l’encadrer. Parmi eux/elles, Nicolas Burra, chercheur en neurosciences à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, expert en cognition sociale, qui décode les mécanismes à l’œuvre. Entretien.

Le Journal: Quel est le subterfuge qui permet à Instagram, Facebook et consorts d’absorber ainsi leurs visiteurs/euses?
Nicolas Burra:
Lorsque nous regardons une image, faute de pouvoir enregistrer toutes les informations et objets, notre cerveau va sélectionner ceux qui lui semblent le plus pertinents, en fonction du contexte. Les plateformes numériques vont s’arranger pour nous proposer des objets qui répondent à nos critères de sélection et même orienter notre sélectivité pour capter notre attention.

 

De quelle manière?
Lorsque je cherche un objet en particulier, par exemple dans une image, je vais m’efforcer de me concentrer sur lui et faire en sorte d’ignorer, voire d’occulter ce qui l’entoure. On parle alors de déplacement volontaire de l’attention. Si un stimulus extérieur vient me distraire pendant cette tâche, par exemple un son, un logo rouge vif ou un pop-up, mon attention va être détournée, on parle alors de capture involontaire ou automatique. Enfin, il existe un troisième mécanisme, lié cette fois à la sphère émotionnelle, qui va venir renforcer positivement l’objet sur lequel on porte notre attention. Et c’est le plus difficile à déjouer. Il peut s’agir, par exemple, d’un système de récompense. Les plateformes numériques utilisent habilement ces trois mécanismes à la fois.

 

En prenant pour exemple Instagram, à quels moments interviennent ces mécanismes?
Partons du principe que je choisis volontairement de regarder certaines images – là encore, la notion de volonté est assez relative puisque l’algorithme fait une présélection pour moi. Je me concentre donc sur ce que je cherche. Surviennent ensuite régulièrement des notifications, qui viennent me distraire, avec un son, une image ou une bannière qui signale un direct, par exemple. Ce sont là des captations involontaires. La captation émotionnelle surgit, quant à elle, dans la quête de likes et de vues, avec à la clé un sentiment de reconnaissance personnelle. Il y a aussi un aspect social qui est entretenu par le lien qui se tisse entre le/la créateur/trice de contenu et la personne qui en prend connaissance, ainsi que par le fait d’appartenir à une «communauté».

 

Pourquoi est-ce problématique?
Notre attention est capturée, elle nous est volée, alors que c’est une ressource qui est à la fois précieuse – pour créer, concevoir et réaliser – et limitée. L’anglais est très éloquent à ce sujet: on dit par exemple pay attention, littéralement payer lorsque l’on porte de l’attention à quelque chose ou withdraw attention lorsqu’on la retire – le même mot qui est utilisé pour les retraits bancaires. La sélection attentionnelle est par ailleurs basée sur le principe dit du winner-take-all (le/la gagnant-e remporte tout) car les objets autour de nous compete for attention – se font concurrence pour de l’attention. Ce vocabulaire économique en dit long sur la valeur de l’attention et donc l’importance de pouvoir moi-même décider de ce que j’en fais. C’est sur cet aspect que j’aimerais appeler les juristes et spécialistes à débattre.

 

De quelle manière pourrait-on empêcher ou encadrer cette captation de l’attention par les plateformes numériques?
La première étape consisterait à donner une définition formelle de ce qu’est l’attention et des mécanismes en question. C’est à mon sens un préalable indispensable que de constituer une véritable taxonomie en la matière. À partir de ce vocabulaire commun, il serait possible de définir des règles. Pour cela, il s’agirait de mobiliser des compétences de manière transversale, en faisant intervenir non seulement des juristes et des spécialistes de la réglementation, mais aussi des chercheurs/euses en neurosciences et des psychologues.

CAPTATION DE L'ATTENTION SUR LES PLATEFORMES NUMÉRIQUES: COMMENT RÉGULER?

Table ronde avec Nicolas Burra, enseignant et chercheur en neuroscience/psychologie, (UNIGE), de Célia Zolynski, professeure en droit de la propriété intellectuelle et droit du numérique (Université de Paris Panthéon Sorbonne) et de Joséphine Hurstel, responsable des études au Conseil national du numérique

Mercredi 17 mai | 19h | Uni Dufour


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