26 janvier 2023 - Jacques Erard

 

Analyse

«Nous sommes dans un moment clé pour prioriser l’approche One Health»

En réponse à un mandat du Département fédéral des affaires étrangères, le Geneva Science-Policy Interface, dont l’UNIGE est membre fondateur, a produit avec l’Institut de santé globale de l’UNIGE des recommandations afin de prévenir et de mieux gérer de futures pandémies.

 

 

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Le chef d'équipe de la mission conjointe entre l'Organisation mondiale de la santé et la Chine sur le COVID-19, Bruce Aylward, montre des graphiques lors d'une conférence de presse au siège de l'OMS à Genève le 25 février 2020. Photo: Fabrice Coffrini / AFP

 

Comment prévenir l’émergence de futures pandémies et mieux répondre aux défis sanitaires et sociaux qu’elles entraînent, en tirant parti du positionnement scientifique et diplomatique de la Suisse? Le Geneva Science-Policy Interface (GSPI), dont l’Université de Genève est membre fondateur, a récemment publié avec l’Institut de santé globale de l’UNIGE un Policy brief sur cette question, résultat du travail d’une trentaine d’expert-es du monde de la recherche et des organisations internationales. Le jeudi 26 janvier, ce document fait l’objet d’une présentation à Berne auprès d’une dizaine d’offices fédéraux, à l’occasion d’une réunion organisée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

 

TeSoucieuse de tirer les leçons de la pandémie de Covid-19, la Confédération entend en effet renforcer, au cœur de son action en matière de prévention des pandémies, l’approche One Health, qui fait le lien entre la santé des êtres humains et celle des animaux ainsi que de l’environnement. Mandaté par le DFAE, ce Policy brief, développé également en partenariat avec le Swiss TPH et le Geneva Health Forum, s’attache à montrer comment une meilleure coordination entre science et politique peut contribuer à promouvoir cette approche holistique et interdisciplinaire, et comment le rôle de Genève et de la Suisse pourrait s’avérer primordial dans cette démarche.

«Il est évident que la science a un rôle à jouer dans le processus de prise de décision politique, indique Nicolas Seidler, directeur exécutif du GSPI. Mais il ne suffit pas de le dire. Notre fonction au GSPI est de développer des mécanismes de soutien et des ressources concrets, susceptibles de faciliter cette interaction à différents niveaux.» Trois recommandations figurent ainsi dans ce Policy brief, chacune assortie de pistes d’action pour la Suisse. La première concerne le rôle de la diplomatie suisse pour prioriser l’approche One Health dans plusieurs processus multilatéraux, et notamment les négociations en cours à propos d’un futur traité international sur les pandémies, qui devrait, entre autres, appeler à un renforcement de la coordination Nord-Sud. La deuxième porte sur l’action de la coopération et du développement suisse. Dans la prolongation du rôle que la DDC joue déjà pour promouvoir l’approche One Health, le Policy brief invite à renforcer l’alignement de cette action de terrain avec le secteur de la recherche. La troisième, enfin, s’adresse aux responsables scientifiques afin qu’ils/elles intensifient le développement de savoirs pertinents sur la prévention et les réponses à apporter aux zoonoses, les maladies animales pouvant être transmises aux êtres humains.

«Ces trois recommandations s’adressent à des publics cibles différents, mais la spécificité de notre approche consiste à les encourager à travailler ensemble, souligne Nicolas Seidler. Cette coordination, qui peut parfois s’avérer compliquée étant donné les cultures professionnelles de chacune et chacun, est essentielle si l’on entend faire mieux lorsque surviendra la prochaine pandémie. Nous sommes à un moment clé pour prioriser cette approche One Health. La dégradation à large échelle des écosystèmes environnementaux et les conditions de traite des animaux vont en effet favoriser l’émergence de nouveaux agents pathogènes transmissibles aux humains. Il n’est plus possible de considérer séparément la santé humaine, animale et celle de notre planète. Cela peut sembler évident à rappeler, mais il faut absolument sortir du fonctionnement en silo. C’est l’un des principaux enseignements que l’on peut tirer de la crise du Covid-19.»

 

Une capitale mondiale pour l’action diplomatico-scientifique

Pour cette raison, le GSPI et les expert-es qui ont participé à la formulation de ce Policy brief préconisent une approche interdisciplinaire sur le plan scientifique et un mode de prise de décision politique basé sur la coordination entre départements, notamment ceux des affaires étrangères et de l’intérieur. La concertation devrait également être de mise entre les cantons suisses ainsi que sur le plan international. À ce titre, une structure quadripartite autour de la thématique One Health a été fondée au niveau international. Elle regroupe l’OMS, la FAO, l’UNEP et la WOAH. D’autres pistes sont mentionnées dans le Policy brief, telle la création d’un groupe permanent de coordination entre scientifiques et décideurs politiques. «Il est essentiel que les acteurs et actrices concerné-es, qui ont interagi lors de la pandémie de Covid-19, maintiennent une forme d’échange et de connaissance mutuelle, afin de développer une relation de confiance et de pouvoir travailler en bonne intelligence au moment où un nouvelle crise interviendrait», souligne Nicolas Seidler.

Quel rôle Genève et la Suisse sont-elles appelées à jouer dans cette démarche? Une étude menée par l’Institut de santé globale a montré que la Suisse est le pays qui a publié le plus grand nombre d’aticles par habitant sur la thématique One Health durant la pandémie de Covid-19. Ce leadership scientifique, allié à la présence des agences onusiennes et au savoir-faire diplomatique suisse, fait que Genève rassemble tous les ingrédients pour devenir la capitale mondiale pour l’action diplomatico-scientifique One Health, estime Nicolas Seidler.

«La relation entre science et politique est aussi nécessaire que complexe»

Le Geneva Science-Policy Interface (GSPI) a été créé en 2018 à l’initiative de l’Université de Genève, avec le soutien du Département fédéral des affaires étrangères et la participation d’institutions de recherche de pointe. Il s’agit d’une plateforme neutre qui a pour but de renforcer les interactions et les collaborations entre le monde scientifique et les acteurs de la Genève internationale. Ce travail part du principe que les décisions politiques multilatérales sur les grands défis sociétaux doivent être renseignées par des savoirs et méthodologies scientifiques.

Ces cinq dernières années, le GSPI a soutenu une dizaine de projets de collaboration entre les milieux académiques et des acteurs-trices de la Genève internationale, notamment à travers un appel à projets annuel. Plus de 300 000 francs ont ainsi été octroyés. Ce soutien est assorti d’un accompagnement personnalisé. La plateforme apporte des conseils aux scientifiques pour les aider à identifier des opportunités et des contacts au niveau politique. «Nombreux-ses sont les chercheurs et chercheuses à vouloir mettre en lien leur travail de recherche avec les grands défis sociétaux. Certain-es le font déjà extrêmement bien, mais c’est un terrain sur lequel il n’est pas simple de naviguer et qui requiert des compétences et réflexes qui ne sont souvent pas développés et soutenus dans un parcours académique typique. Notre rôle est d’aiguiller et de soutenir les personnes qui souhaitent s’impliquer à l’interface de la science et des processus de politique multilatérale», explique Nicolas Seidler, directeur exécutif du GSPI. Le renforcement des capacités et des pratiques dans ce domaine, qui sera complété à partir de cet été par une nouvelle Summer School à l’UNIGE, est indispensable dans la mesure où il existe de profondes différences de culture professionnelle entre le monde académique et le monde politique, différences qui correspondent à des rôles distincts dans la société. «La relation entre science et politique est aussi nécessaire que complexe», résume Nicolas Seidler.

Parallèlement, le GSPI développe une étude de terrain pour mieux comprendre les pratiques et enjeux d’interface science-politique relatifs à la Genève internationale, ainsi que d’autres ressources permettant aux politiques d’être informé-es des développements scientifiques. Les Policy briefs, comme celui sur One Health (lire ci-dessus) ainsi que d’autres sur la résilience aux pandémies ou les approches comportementales face au défi climatique, font partie de ces outils.

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