Cette méthode est l’un des outils majeurs utilisés aujourd’hui dans le cadre de la diplomatie scientifique et anticipative, une approche développée par l’organisation Geneva Science and diplomacy anticipator (GESDA). Le groupe de réflexion (think tank) tenait il y a une quinzaine de jours son sommet mondial à Genève. Un rendez-vous auquel ont participé plusieurs expert-es du GSI, de l’UNIGE et du Geneva Science-Policy Interface aux côtés de confrères et consœurs du monde entier et de représentant-es des relations internationales. Didier Wernli y animait un atelier d’introduction à la diplomatie computationnelle avec ses collègues Jean-Luc Falcone du Département d’informatique et Stephan Davidshofer du GSI.
Crises humanitaires et politiques les plus citées
À l’image des caméras thermiques, qui signalent les zones les plus chaudes dans un environnement donné, Didier Wernli est parvenu, grâce à la diplomatie computationnelle, à identifier les sujets de négociations multilatérales les plus brûlants. Spécialisé dans les questions de santé mondiale, il a commencé par investiguer la masse de données que représente le corpus de recommandations formulées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Soit 3194 résolutions au total.
La technologie a permis de recenser de manière exhaustive le nombre de fois où chacune de ces recommandations a été discutée et mentionnée. «En plus d’une question sanitaire comme la nutrition infantile, il est apparu que, parmi les sujets le plus souvent commentés et cités se trouvaient des crises humanitaires et surtout politiques», souligne-t-il. En l’occurrence, le conflit chypriote (résolutions adoptées entre 1971 et 1995) et la crise au Liban (1976-1981).
Le chercheur effectue aujourd’hui le même travail de recensement avec les 2680 résolutions adoptées à ce jour par le Conseil de sécurité de l’ONU, afin de valider les premiers résultats obtenus avec l’OMS.
Scanner la structure des résolutions réussies
La deuxième étape consistera à identifier, là encore au moyen de la science des données, le cadre commun selon lequel sont construites et diffusées les recommandations les plus saillantes. Ce, en tenant compte du choix du sujet, de l’angle, du contexte dans lequel elles sont formulées, du public, mais aussi du champ lexical et des mots-clés. Ce qui revient, en quelque sorte, à scanner en détail la structure des résolutions qui ont bien fonctionné.
«Nous ambitionnons de parvenir ainsi à esquisser un schéma type de discours qui favorise l’émergence de solutions communes», note Didier Wernli. Ces avancées, issues de ce travail d’ingénierie de la négociation, sont destinées à fournir des outils innovants pour les diplomates et les différent-es acteurs/trices du milieu des relations internationales.
Le multilatéralisme est, en effet, souvent critiqué pour ses lenteurs et ses faiblesses. Dans une étude, des chercheurs/euses de l’Université de Toronto concluent que les quelque 250’000 traités internationaux existant à ce jour ont la plupart du temps échoué à donner les résultats escomptés. Seuls les accords commerciaux ont atteint leur objectif. Les traités relatifs à l’environnement, aux droits humains, aux crises humanitaires et à la sécurité sont ceux qui ont produit le moins d’effet.
Dans ce contexte, la diplomatie computationnelle permet une analyse logique et pragmatique de la négociation, dénuée de tout facteur émotionnel susceptible de nourrir des tensions ou des conflits qui tendent à engluer les discussions.