Les universités face à la crise
Comme dans tant d’autres universités à travers le monde, nos étudiantes et étudiants, bouleversés par les drames humains que suscitent le conflit en cours à Gaza, se sont mobilisés en défenses des droits humains. Ils et elles ont dit leur stupeur face au nombre croissant de victimes civiles, face à la destruction massive des infrastructures sanitaires et éducatives dans la bande de Gaza, face aux otages toujours détenus. Leur émotion et leur besoin d’agir sont légitimes, nous les partageons.
Les revendications portées par le collectif qui a occupé Uni Mail ont été entendues, elles ont trouvé leur place dans les travaux du comité scientifique, pensé dès avant le début de la mobilisation, pour s’interroger sur le rôle des universités dans le débat public. Quel cadre et quelles limites faut-il donner aux collaborations scientifiques internationales ? Comment se positionner face aux défis majeurs, géopolitiques, climatiques, sociétaux, que nous affrontons ?
Face à la pertinence des questions, à la justesse de l’émotion, nous avons dès le début privilégié la voie du dialogue. Cela nous a été reproché, on nous a adressé de nombreux appels à la fermeté. Nous avons senti monter les tensions jusqu’au sein de notre communauté. Nous avons pourtant choisi d’aller jusqu’au bout de ce chemin qui se faisait sans cesse plus étroit, encouragés par la qualité des travaux menés par le comité scientifique. Au terme de séances de plusieurs heures convoquées dans l’urgence, avec l’appui de représentantes et représentants de la société civile, des étudiantes et étudiants, occupants ou non, de l’Université, il a pu adresser ses premières propositions concrètes au Rectorat. Elles sont aujourd’hui étudiées et feront rapidement l’objet d’une déclaration de l’Université.
Malgré ces progrès, le collectif n’a pas su donner les gages d’apaisement que nous lui demandions dès le début du mouvement : la fin de l’occupation nocturne et le retrait de la banderole polémique « From the river to the sea », dont les interprétations divergentes étaient un obstacle à un dialogue apaisé. Nous avons vu parallèlement l’occupation échapper au collectif, avec l’apparition de personnes extérieures à l’Université, de logos de partis ou de groupes politiques, de prises de parole sans rapports avec la cause défendue. Des incidents ont éclaté à plusieurs reprises, soulignant les enjeux de sécurité. La restriction d’accès aux bâtiments aux seuls membres de la communauté universitaire, décidée samedi soir, était une première mesure. Avec le déplacement des manifestations vers l’extérieur et les appels très larges à la mobilisation lancés par le collectif, elle s’est avérée insuffisante. Il était devenu clair qu’en dépit de leurs efforts sincères, la situation échappait à ses organisatrices et organisateurs.
Après l’ultimatum adressé dimanche aux occupantes et occupants, la plainte pénale – préalable nécessaire à une éventuelle évacuation – a été déposée lundi par l’Université de Genève en ultima ratio. Pour tenter d’éviter une intervention policière, une dernière discussion a eu lieu lundi à midi, entre le Rectorat et des représentantes du collectif. Elle a permis de rappeler l’attachement de l’Université aux valeurs démocratiques que sont la liberté d’expression et le droit à manifester des étudiantes et étudiants. Le collectif aurait pu rester dans le Hall d’Uni Mail pour porter ses revendications en occupant une surface attribuée à une association étudiante reconnue, comme c’est le cas très régulièrement. Le collectif n’est pas entré en matière, préférant poursuivre dans la voie de l’occupation illicite, présentée comme un acte politique.
L’intervention policière devenue inévitable nous laisse un terrible sentiment d’échec, nous avons tout tenté pour l’éviter, privilégiant jusqu’au bout un dialogue dans le respect des règles de l’Université et de sa charte d’éthique et de déontologie.
Si la forme de l’occupation a dérivé loin de ses objectifs déclarés, les questions qu’elle a posées restent légitimes. Le drame humanitaire auquel nous assistons à Gaza se poursuit et appelle une réponse sur le fond quant au rôle des institutions académiques. Cette réponse ne doit pas venir sous la pression, elle ne peut pas être une concession lâchée pour obtenir la fin d’une crise. Elle est bien plus importante et mérite bien mieux que cela. Elle doit être le fruit d’une véritable démarche scientifique, conforme aux exigences universitaires, applicable à toutes les situations.
Les recherches que nous menons, la mobilité académique et estudiantine, reposent sur des centaines d’accords et de collaborations dans des dizaines de pays qui ne sont pas tous, malheureusement, des démocraties libérales. Tous ces échanges tissent un réseau très dense, organisé autour de projets partagés, qui a aussi un rôle à jouer dans la résolution des conflits. Nous devons nous assurer de l’éthique, de la finalité et du bien-fondé de nos collaborations, analyser nos procédures d’évaluation, les faire évoluer ou les renforcer au besoin. C’est un travail de fond, structurant, qui s’inscrit dans le temps long. Loin des effets d’annonce, nous allons le mener dans la rigueur et la transparence, avec l’appui de toute la communauté universitaire.
Audrey Leuba, Rectrice
Le Rectorat retire sa plainte contre les étudiant-es
Depuis le début de la crise, l’Université a privilégié la voie du dialogue. Lors d’une ultime rencontre avec les représentantes du collectif, le lundi 13 mai 2024, elle a proposé le maintien d’une présence dans le hall d’Uni Mail pour autant qu’elle soit le fait d’une association reconnue par le Rectorat et qu’elle respecte les règles de l’institution. L’Université s’est malheureusement heurtée à une fin de non-recevoir.
L’intervention des forces de l’ordre a toujours été une solution de dernier recours et la plainte pénale, un préalable nécessaire à l’évacuation. L’occupation ayant cessé, l’Université a retiré la plainte pénale déposée pour violation de domicile.
Par ailleurs, le Rectorat ne saisira pas le Conseil de discipline au seul motif de la participation des étudiantes et étudiants à l’occupation du hall d’Uni Mail. Il se réserve le droit de le saisir si d’autres actions ou comportements devaient le justifier.
À noter que ce n’est pas le Rectorat, mais le Conseil de discipline qui prononce les sanctions disciplinaires. Le Rectorat choisit de le saisir ou non, après audition des étudiantes ou étudiants concernés.
Le Conseil de discipline peut prononcer les sanctions suivantes, compte tenu notamment de la gravité de l’infraction: a) l’avertissement; b) la suspension; c) l’exclusion de l’UNIGE.
16 mai 2024
2024