12 septembre 2024 - Anton Vos

 

Vie de l'UNIGE

L’UNIGE voit l’IA générative comme une opportunité

Le Rectorat a récemment publié une prise de position sur le recours à l’intelligence artificielle dans la recherche, l’enseignement et l’apprentissage. Explication avec la vice-rectrice chargée de ce dossier, Juliane Schröter.

 

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Juliane Schröter, professeure au Département de langue et de littérature allemandes (Faculté des lettres) et vice-rectrice en charge du numérique et de l’intelligence artificielle. Image: Niels Ackermann

 

L’intelligence artificielle générative (IAG) a brusquement débarqué dans le grand public en novembre 2022 avec le lancement du logiciel gratuit ChatGPT (OpenAI), suivi de près par des concurrents comme Copilot (Microsoft) ou encore Gemini (Google). Autant de chatbots auxquels il est possible de demander n’importe quoi (une dissertation, un résumé, une recette, un programme informatique, une lettre de motivation, un article pour un journal…) et qui répondent immédiatement en composant des phrases dans un français irréprochable et, en général, dans un style approprié à la requête.

Très vite, en plus du texte, il a été possible par une simple instruction écrite (un prompt) de générer des images, puis des vidéos et des voix s’exprimant dans n’importe quelle langue. D’aucuns estiment que l’avènement de l’IAG, qui est un développement spécifique du domaine plus large de l’Intelligence artificielle, inaugure une révolution similaire à celle de l’arrivée d’Internet ou du smartphone. En tout cas, cette nouvelle technologie connaît un développement spectaculaire. De quoi faire naître l’émerveillement, des promesses de toutes sortes, mais aussi des inquiétudes.

Face à ces défis, le nouveau Rectorat, entré en fonction en avril dernier, a décidé de consacrer un de ses dicastères à l’intelligence artificielle. Il est dirigé par la vice-rectrice Juliane Schröter, professeure au Département de langue et de littérature allemandes (Faculté des lettres). L’institution vient également de rédiger une prise de position officielle sur la question, qui est en réalité une mise à jour de celle publiée il y a à peine plus d’une année (juillet 2023), tant il est vrai que ce nouvel outil particulièrement puissant évolue rapidement. Un survol de la question.

 

LeJournal de l’UNIGE: Pourquoi avez-vous procédé à une mise à jour de la prise de position de l’UNIGE sur la question de l’IAG?
Juliane Schröter: L’ancienne version était très concentrée sur l’enseignement. Avec la nouvelle, nous avons une prise de position plus englobante qui fixe les grandes lignes de l’usage des IAG non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans la recherche, l’apprentissage et l’administration. Elle est également cohérente avec la stratégie de l’UNIGE en matière d’intelligence artificielle et exprime un point de vue critique tout en étant résolument optimiste. L’alma mater voit en effet surtout dans cette nouvelle technologie une opportunité, partant du principe que les risques qui y sont liés peuvent être minimisés par une approche responsable.

Est-ce que l’IAG est déjà utilisée dans la recherche scientifique?
L’intelligence artificielle est présente depuis longtemps dans la recherche (notamment dans l’analyse de données) sous la forme du machine learning et, plus récemment, du deep learning. Les IAG telles que ChatGPT, Copilot ou Gemini, y font à leur tour leur entrée. On s’attend à un usage intense de ces outils notamment dans la préparation et la rédaction d’articles scientifiques, de mémoires ou encore de monographies. Cela peut constituer une aide précieuse, par exemple, pour les chercheurs et chercheuses qui ne sont pas anglophones et qui ont été désavantagé-es dans de nombreux domaines où l’anglais est omniprésent. L’IAG est aussi un moyen de surmonter la peur de la page blanche. Elle peut en effet aider à commencer un texte, à proposer une structure, à donner des idées de chapitres. Les étudiant-es et les jeunes chercheurs/euses peuvent en avoir besoin dans leurs travaux. Toutefois, on doit toujours être capable d’évaluer les propositions de l’IAG avec un œil critique. Pour ne prendre qu’un exemple dans mon domaine, l’approche des problèmes en littérature allemande et en linguistique allemande est différente – pour de bonnes raisons –, mais c’est une nuance que les IAG ignorent totalement. Pour l’instant du moins. Enfin, dans certaines disciplines, écrire est un moyen de penser, notamment en lettres. C’est souvent en cherchant la meilleure formulation que le résultat se cristallise. Il est trop tôt pour savoir quel impact aura l’IAG sur ce processus cognitif et scientifique.

Que pensez-vous des risques de fraude scientifique avec l’IAG?
Quand on parle de rédaction de publications assistée par l’IAG, on touche en effet à l’intégrité scientifique. Je suis convaincue que la grande majorité des chercheuses et des chercheurs utiliseront ces outils avec beaucoup de responsabilité. Ils et elles savent très bien quelles sont les limites de l’exercice, où s’arrête la simple assistance et où commence la tricherie. Cela dit, nous devons nous attendre à ce que le nombre de publications partiellement ou totalement frauduleuses augmente de façon spectaculaire. À une époque où la quantité de publications reste un critère central d’évaluation des chercheuses et chercheurs, la tentation est grande de faire écrire des articles entiers par des IAG.

Est-ce que l’IAG peut être un sujet d’études?
Les IAG et les résultats qu’elles génèrent sont et seront analysés. Certaines études portent sur la manière dont nous parlons des outils d’IAG, la façon dont nous les anthropomorphisons et l’influence de tout cela sur la manière dont nous les utilisons. D’autres travaux s’intéressent aux biais que comportent ces outils. Comme elle l’a rapporté dans un colloque récent, Isabelle Collet, professeure associée à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, a par exemple demandé à une IA génératrice d’images de représenter une femme d’environ 50 ans, sans autre précision. Le logiciel a généré 15 propositions quasiment identiques, soit une femme blanche, mince, blonde ou avec des cheveux blancs et courts et manifestement âgée de plus de 50 ans. Ce genre de biais dépend beaucoup des données avec lesquelles l’IAG a été alimentée. Sur ce point, on arrive d’ailleurs rapidement à des questions d’ordre philosophique. Est-ce qu’on veut se contenter des données qui existent déjà dans le domaine public, dont celles disponibles sur Internet? Dans ce cas, nous serons confronté-es aux biais déjà bien connus de genre, d’ethnie, etc., qui risquent d’être renforcés par le fonctionnement des outils d’IAG. Désire-t-on au contraire des données «équilibrées»? Dans ce cas, on se heurtera à la difficulté de savoir ce que sont des données dites «équilibrées» et qui décide qu’elles le sont ou pas. On risque alors de se retrouver avec un tout petit groupe d’individus qui décidera pour le reste de la population, ce qui pose d’évidents problèmes démocratiques.

Avez-vous une idée de la proportion des membres de la communauté universitaire qui font appel à l’IAG?
L’Observatoire de la vie estudiantine a intégré des questions sur ce thème dans son enquête 2024 (voir l’image ci-dessous). Les chiffres montrent que 56% des répondant-es indiquent avoir déjà utilisé l’IA générative de texte dans le cadre de leurs études pour, par exemple, mieux comprendre certains sujets (81%), reformuler le contenu de travaux (45%) ou encore pour de la traduction (31%).

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Tout le monde ne s’approprie pas ces outils avec le même enthousiasme…
Non, en effet. On voit d’ailleurs apparaître un fossé entre celles et ceux qui les utilisent pour plus de la moitié de leurs travaux universitaires (16%) et les autres qui n’en font presque pas usage (37%). Au niveau institutionnel, il est crucial de lutter contre l’apparition de cette fourchette. L’IAG fera de plus en plus partie de la réalité du monde du travail, et ce, dans tous les domaines imaginables. C’est notre devoir de former des étudiant-es afin de les y préparer au mieux. Il nous faut donc les sensibiliser à l’importance de ces outils et les familiariser avec les performances propres à ces derniers.

Est-ce que l’enseignement peut lui aussi bénéficier de l’IAG?
L’IAG est un formidable outil de vulgarisation. Réexpliquer des notions compliquées de manière plus simple est une fonctionnalité qui donne souvent de bons résultats et c’est très appréciable pour l’enseignement. Il est par ailleurs tout aussi primordial d’apprendre aux étudiant-es à se méfier des publications scientifiques et de partir du principe que même une étude publiée peut, partiellement ou totalement, être générée par un outil d’IAG. C’est une compétence essentielle non seulement pour les étudiant-es, mais aussi pour n’importe quel-le citoyen-ne dans un monde qui baigne dans toujours plus d’information et donc dans toujours plus de désinformation.

 

 

IA générative: un guide pour accompagner l’innovation

L’IA générative, tout le monde en parle. Mais pour passer à l’acte encore faut-il savoir quels outils privilégier pour quelles utilisations et qu’elles sont les précautions à prendre. À l’Université, ces questions concernent aussi bien l’enseignement que le travail des étudiant-es, la recherche ainsi que le secteur administratif et technique. Dans ce dernier, l’UNIGE a lancé, il y a un peu plus d’une année, une démarche en vue d’identifier les aspects métiers susceptibles d’être impactés positivement par l’IA générative et d’anticiper d’éventuelles dérives. Après une enquête auprès d’un panel de collaborateurs et collaboratrices du personnel administratif et technique (PAT), le projet a abouti à la rédaction d’un guide pratique sur l’utilisation de l’IA générative pour toutes et tous à l’Université.

«L’intention était d’accompagner les personnes intéressées dans leurs premiers pas avec l’IA générative, explique Raphaël Thézé, co-responsable du Bureau de la transformation (anciennement BTN) et co-auteur du guide avec Guive Khan. Nous avons très vite pris conscience que nous ne pouvions pas aborder la spécificité liée à chaque métier et qu’il fallait privilégier une approche plus globale, en mettant l’accent sur la notion de responsabilité individuelle de chaque utilisateur et utilisatrice.»

Après une introduction sur l’IA générative, le guide se focalise ainsi sur les principales précautions à prendre en termes de protection des données personnelles, de propriété intellectuelle et de fiabilité des résultats. «Pour être efficace avec l’IA, il faut généralement ne pas se contenter de sa première réponse et lui demander des précisions et des approfondissements, un peu à la manière d’une interview», précise Guive Khan. Des conseils très pratiques sur la meilleure façon de structurer une requête en ayant recours à la technique de prompting viennent compléter ce guide de bonnes pratiques.


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