LeJournal: Quelles sont les principales difficultés liées au vieillissement en prison?
Bernice Elger: Il faut d’abord imaginer ce que cela signifie d’être âgé-e «à l’extérieur». Notre rôle change, on perd en importance, mais on peut aussi partager son expérience avec les plus jeunes. La famille prend souvent de plus en plus de place. En prison, l’impression de ne plus rien valoir est aggravée, notamment parce que les liens avec la famille sont difficilement possibles. Si le taux de maladies psychiatriques –essentiellement de type dépression ou anxiété – est particulièrement élevé en prison, c’est en raison de l’environnement bien sûr, mais c’est aussi dû au manque d’espoir. À cette problématique s’ajoute le fait que la moyenne d’âge des personnes détenues en Suisse est d’environ 25-30 ans. Les établissements pénitentiaires ont donc été conçus pour des gens jeunes et ne sont pas adaptés pour les personnes âgées: escaliers, mobilier inadéquat, etc. Et dans le système carcéral, il n’y a pas d’âge pour la retraite. Les personnes détenues sont obligées de travailler jusqu’à leur mort. Mais quel type de travail peut être proposé aux plus âgé-es?
Les personnes âgées en détention ont-elles des besoins spécifiques?
Pour vieillir en bonne santé, il est notamment recommandé de faire du sport et de manger sainement. Or, si on est dans une cellule à Champ-Dollon, on n’a droit qu’à une seule heure de promenade par jour et, bien qu’il y ait des salles de musculation à disposition, nos enquêtes ont montré que les personnes âgées ne peuvent généralement pas en profiter en raison de leur état physique ou parce qu’elles ont peur de s’y rendre. Quant à la nourriture, le ratio calories/vitamines convient à des jeunes, mais n’est pas adapté aux seniors. Ces derniers/ères prennent ainsi du poids, ce qui augmente les risques de maladies cardiovasculaires et articulaires. On sait aussi que la solitude est un facteur de risque qui augmente de 30% la mortalité… Toutefois, nous manquons encore cruellement de données. La plupart des études menées dans les prisons ont été réalisées aux États-Unis et il n’est pas facile de transposer ces résultats à l’Europe où la population incarcérée n’est que partiellement comparable. Quelle est la prévalence des maladies, comment sont-elles traitées, les thérapies sont-elles efficaces? Il n’existe pas d’études sur la meilleure façon d’approcher les maladies lorsqu’elles sont associées au contexte de la prison.
Qu’est-ce qui est le plus urgent à entreprendre?
En premier lieu, il faudrait agir en amont, afin d’éviter que les personnes âgées ne doivent se rendre en prison, parce que c’est vraiment le lieu le moins adapté pour elles… Les addictions devraient notamment être mieux soignées, cela réduirait la criminalité qui y est liée. La précarité, qui n’est pas toujours détectée par les services sociaux, conduit également à commettre des actes illégaux. Ensuite, plus concrètement, il s’agit de créer des places adaptées pour les personnes incarcérées. Aujourd’hui, quand une personne détenue devient dépendante ou a besoin de soins intermédiaires, elle est fréquemment hospitalisée. Bien souvent, les places en unité spéciale étant indisponibles, la personne doit rester en prison où les choses deviennent très vite compliquées. Imaginez une personne qui ne peut pas se laver seule. Est-ce à un-e autre détenu-e de l’aider? La création de places intermédiaires pourrait être financée par la réduction des coûts en matière de sécurité. En effet, une personne âgée est généralement moins violente, elle manque de force, elle ne peut plus courir, etc. Il faut toutefois veiller à inclure les seniors en détention dans les décisions d’aménagement. Nos études ont montré une variabilité des souhaits et il faut tenir compte des besoins individuels si on veut éviter des troubles psychiatriques.
Y a-t-il lieu d’alléger les peines pour les personnes âgées ou de leur proposer l’exécution de leur peine sous surveillance électronique?
Ce sont des possibilités que je recommande. Une journée en prison coûte cher et il pourrait être bénéfique de trouver d’autres solutions pour les personnes âgées tout en tenant évidemment compte de leur dangerosité. Dans le passé, nous avions une maxime: «Personne ne meurt en prison.» Nous faisions des évaluations et, quand les conditions le permettaient, les autorités trouvaient des solutions. Mais à cause des affaires «Adeline» à Genève et «Marie» dans le canton de Vaud – des jeunes femmes assassinées par des détenus en permission –, on trouve rarement des juges qui acceptent de prendre ce risque. C’est une évolution que je regrette vraiment.
Aujourd’hui, il y a donc des personnes qui terminent leur existence en détention. Comment la prison peut-elle leur accorder une fin de vie digne?
Bien que les personnels des prisons essayent de faire au mieux, ils ne sont pas équipés pour faire face à la fin de vie. Dans la plupart des cas, les personnes meurent à l’hôpital. En effet, les traitements antidouleur sont ingérables en prison où il y a déjà beaucoup de problèmes liés au trafic de drogue. De plus, il est très difficile pour les institutions pénitentiaires de recourir à des infirmières «à domicile» comme cela se fait à l’extérieur. Les préjugés relatifs à la prison ont pour conséquence que les services dédiés refusent très souvent d’y intervenir, l’accès y étant, de plus, particulièrement compliqué. Il est aussi très difficile de fournir le soutien spirituel dont ces personnes pourraient avoir besoin.
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