1890 - 1920

Protégés ! Protégées? 

Que faire des enfants et des jeunes en danger ou qui dérangent ? À la fin du 19e siècle, l’ensemble des sociétés occidentales se décide à agir pour sauver les mineur·es des risques qui les menacent : précarité sociale ou familiale, errance, abandon, délinquance sont autant de situations qui peuvent assombrir l’avenir d’un·e enfant.

« Gamins tessinois », illustration d'un article de la revue mensuelle de Pro Juventute, 1921 (Source : Bibliothèque de Genève).

Pro Juventute est l’association nationale suisse qui s’efforce depuis 1919 de promouvoir la cause de l’enfance, et en particulier des enfants abandonné·es, maltraité·es ou délinquant·es. Par sa revue mensuelle, l’association diffuse des modèles d’intervention et de protection de l’enfance en Suisse et à l’étranger.

« Gamins tessinois », illustration d'un article de la revue mensuelle de Pro Juventute, 1921 (Source : Bibliothèque de Genève).

Pro Juventute est l’association nationale suisse qui s’efforce depuis 1919 de promouvoir la cause de l’enfance, et en particulier des enfants abandonné·es, maltraité·es ou délinquant·es. Par sa revue mensuelle, l’association diffuse des modèles d’intervention et de protection de l’enfance en Suisse et à l’étranger.

À Genève, dès 1891-1892

L’État se dote de lois qui autorisent ses agents à intervenir contre des parents qui éduquent mal leurs enfants, ou les maltraitent.

Liste des enfants abandonné·es moralement ou en danger de le devenir, Genève, début des années 1890 (Source : Archives d’État de Genève).

À la veille du débat au Grand Conseil genevois sur l’enfance abandonnée, au début des années 1890, le Conseil d’État fait dresser la liste des familles qui seraient potentiellement visées par le dispositif de surveillance et d’intervention prévu par la nouvelle loi en discussion. Sont particulièrement ciblés, les parents qui surveillent mal leurs enfants, laissant ces derniers·ères faire l’école buissonnière, mais aussi ceux qui par leurs comportements sont considérés par les autorités comme de mauvais exemples pour la moralité de leur progéniture.

Quant à la délinquance des jeunes, elle est désormais aussi considérée comme un effet d’une éducation déficiente. Commettre des délits, traîner dans les rues, rester oisifs·ives ou fréquenter des bandes de jeunes : autant de comportements qui ne répondent pas aux normes, et sont estimés comme une menace sur le développement des mineur·es concerné·es, justifiant l’intervention régulatrice de l’État et de ses organes.

Fleur de pavé, illustration d’un article de la revue mensuelle de Pro Juventute, consacré à la jeunesse en danger, 1921 (Source : Bibliothèque de Genève).

Si toutes et tous les jeunes sont considéré·es comme en danger ou dangereux·euses dès lors qu’ils et elles échappent à la surveillance de leur famille ou de leur patron, ce soupçon frappe particulièrement les filles. L’image évoque ici non pas forcément la réalité que vivent ces jeunes filles, mais plutôt les craintes dont elles font l’objet : ne risquent-elles pas, en fréquentant des espaces publics (les cinémas, notamment), de s’exposer à la séduction du premier vaurien… et par là même à des relations puis, qui sait, à des grossesses non désirées ?

Dès 1912

C’est au niveau national que cette exigence de protection de l’enfance et de la jeunesse va prévaloir avec l’adoption du Code civil suisse.

Articles 283 et 284 du Code civil suisse, 1912 (Source : Bibliothèque de Genève).

Le Code civil suisse confère aux autorités tutélaires cantonales le devoir d’intervenir lorsque des désordres familiaux leur sont signalés, et que le développement de l’enfant concerné·e pourrait être compromis. Par ailleurs, l’article 284 permet aux parents, au nom de leur droit de correction, de solliciter eux aussi ces acteurs publics pour discipliner leur propre enfant s’il ou elle résiste à leur autorité.

À Genève, un service spécialisé est créé en 1912 en application du Code civil suisse, pour surveiller les familles et mener des enquêtes visant à identifier les problèmes, et préconiser une prise en charge aux autorités tutélaires : c’est le Service de protection des mineurs, qui dépendra jusqu’en 1937 du Département de justice et police, puis du Département de l’Instruction Publique.

Quelques chiffres relatifs au travail du Service de protection des mineurs, juin 1958 (Source : Archives d’État de Genève).

Le Service de protection des mineurs est doté dès sa création en 1912 de deux agents enquêteurs, détachés du service de police, et d’un directeur. Il ne cessera de se développer, en fonction des missions qui lui sont confiées, comme le montre ce graphique réalisé au sein du Service quelques années plus tard : surveillance des mineur·es, des familles et des lieux de placement, traitement de la petite délinquance infantile, suivi des adolescent·es délinquant·es mis·es en liberté surveillée, enquêtes pour le compte de divers services ou sur la demande des parents.

Des dispositions spécifiques permettent aux parents qui sont mécontents du comportement de leur enfant de solliciter l’intervention des autorités tutélaires : c’est le droit de correction paternelle qui est ici en jeu. Celles-ci peuvent prononcer un placement éducatif afin de réguler la conduite du ou de la jeune concerné·e. Il n’est d’ailleurs pas rare que le droit de garde soit dans ce cas aussi retiré aux parents, si le magistrat estime qu’ils sont responsables de la situation par leur incompétence éducative. À partir des années 1930, le canton de Genève se dote d’un nouveau service du Tuteur général, sur lequel les autorités peuvent se reposer pour assumer la tutelle éducative sur les mineur·es retiré·es à leurs parents.

Une paire de copains, illustration parue dans  la revue mensuelle de Pro Juventute, 1921 (Source : Bibliothèque de Genève).

Les élites qui veulent promouvoir les lois de protection de l’enfant au niveau national ou cantonal sont persuadées qu’un·e enfant mal élevé·e par ses parents, négligé·e ou laissé·e trop libre de ses mouvements, est un·e enfant victime. Ses comportements erratiques (traîner dans les rues, boire, fumer, à l’image des deux copains ici croqués ...) ne peuvent que l’amener tôt ou tard à la délinquance. À ce titre, l’État peut et doit intervenir à titre préventif, aidé d’un tissu associatif, pour reprendre en main son éducation.

Une paire de copains, illustration parue dans  la revue mensuelle de Pro Juventute, 1921 (Source : Bibliothèque de Genève).

Les élites qui veulent promouvoir les lois de protection de l’enfant au niveau national ou cantonal sont persuadées qu’un·e enfant mal élevé·e par ses parents, négligé·e ou laissé·e trop libre de ses mouvements, est un·e enfant victime. Ses comportements erratiques (traîner dans les rues, boire, fumer, à l’image des deux copains ici croqués ...) ne peuvent que l’amener tôt ou tard à la délinquance. À ce titre, l’État peut et doit intervenir à titre préventif, aidé d’un tissu associatif, pour reprendre en main son éducation.

Les enfants délinquant·es sont dans de nombreux pays l’objet des attentions du législateur. À Genève, un tribunal des mineur·es est créé par une loi de 1913. Le but est de permettre une intervention plus éducative que celle qui prévaut dans le droit commun : le juge des mineur·es, magistrat spécialisé qui ne traite que cette classe d’âge, dispose d’un arsenal de peines et de mesures différent de celui des adultes. Il peut notamment prononcer un patronage, terme local pour désigner la mise en liberté surveillée : cette mesure permet de faire suivre la conduite du ou de la jeune délinquant·e par un·e adulte responsable, sans pour autant devoir l’interner dans une maison de correction. La première femme magistrate officiera justement au sein du tribunal genevois des mineur·es, à partir de la fin des années 1930.

Un article consacré au modèle du tribunal pour enfant, destiné au public des enseignant·es romand·es, septembre 1913 (Source : Bibliothèque de Genève).

Au moment où va s’entamer au Grand Conseil genevois la discussion finale sur le projet de loi consacré à la création de la Chambre pénale de l’enfance, la revue des enseignant·es romand·es s’efforce de promouvoir les vertus et ambitions éducatives de ce nouvel organe, dont les décisions sont désormais prises au nom des besoins de l’enfant et de son droit à la protection et à l’éducation.

EN CE PREMIER 20SIÈCLE

Ce sont donc les droits de l’enfant qui sont à la fois célébrés et incarnés par une diversité de dispositifs. Si toutes les contrées modernes connaissent ce type d’évolution, les législations locales et nationales restent cependant très disparates dans leurs contenus comme dans les collaborations qu’elles initient entre action privée et publique. C’est une des raisons qui vont pousser divers réseaux et mouvements internationaux à s’organiser pour tenter d’unifier internationalement cette action de protection. L’idée d’un texte qui fixerait des principes directeurs de protection de l’enfance à l’attention des États est en germe. Elle débouche en 1923-1924 sur la déclaration des droits de l’enfant, première du nom.

La déclaration des droits de l’enfant rédigée et promue par l’Union internationale de secours aux enfants, signée par une diversité de personnalités, 1924 (Source : Archives d’État de Genève).

 

C’est une des premières organisations internationales de protection de l’enfance, l’Union internationale de Secours aux enfants/UISE, créée à Genève en 1919 pour soulager les maux des enfants victimes de guerre sur le continent, qui rédige ce document en 1923. Son adoption par la Société des Nations en 1924 lui confère une visibilité internationale. Son contenu, relativement classique par rapport à la plupart des législations européennes progressistes, n’est pas contraignant.

La déclaration des droits de l’enfant rédigée et promue par l’Union internationale de secours aux enfants, signée par une diversité de personnalités, 1924 (Source : Archives d’État de Genève).

 

C’est une des premières organisations internationales de protection de l’enfance, l’Union internationale de Secours aux enfants/UISE, créée à Genève en 1919 pour soulager les maux des enfants victimes de guerre sur le continent, qui rédige ce document en 1923. Son adoption par la Société des Nations en 1924 lui confère une visibilité internationale. Son contenu, relativement classique par rapport à la plupart des législations européennes progressistes, n’est pas contraignant.