Campus n°147

Répétition générale

La cryptographie quantique par fibre optique est aujourd’hui limitée à quelques centaines de kilomètres. La solution pour aller plus loin passe par des répéteurs quantiques mais leur conception représente un défi technologique considérable.

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Aujourd’hui, il est possible d’utiliser la cryptographie quantique en conditions réelles (hors laboratoire) dans une fibre optique d’une longueur de quelques centaines de kilomètres. Au-delà, les photons se perdent et le signal s’amenuise. Comme on ne peut pas copier ou amplifier ce même signal quantique, sous peine de le détruire (c’est le propre d’un état quantique et c’est aussi ce qui assure la confidentialité de la transmission), il est nécessaire de développer des sortes de relais. Exploitant eux aussi les caractéristiques quantiques de la matière, ceux-ci doivent être capables de répéter le signal de loin en loin afin de pouvoir le diffuser sur de plus longues distances. Ce qui est exactement le domaine de recherche de Mikael Afzelius, maître d’enseignement et de recherche au Département de physique appliquée (Faculté des sciences).
« En 2008, nous avons imaginé une méthode qui nous permettrait de fabriquer une mémoire quantique et de l’utiliser comme répéteur dans un réseau de communication quantique, explique-t-il. Depuis, nous travaillons sans relâche à la réaliser. »
Le système imaginé par le chercheur exploite l’intrication, un phénomène purement quantique et largement contre-intuitif. Il désigne le fait que deux photons, par exemple, peuvent être corrélés : une action sur l’un engendre un effet immédiat sur l’autre, qu’ils soient éloignés d’un millimètre ou de plusieurs kilomètres et alors qu’aucun lien tangible ne les unit. Deux photons intriqués peuvent être considérés comme deux manifestations, à deux endroits différents, d’un seul objet. Un concept de « non-localité » qui n’existe pas dans le monde classique et qui permet notamment de réaliser de la cryptographie quantique.

Mémoires intriquées

L’objectif consiste donc à créer une paire de photons intriqués et à les acheminer chacun vers une mémoire quantique. Une fois à l’intérieur de ce solide, le photon transfère son état quantique, y compris son intrication, à un grand nombre d’atomes du cristal avant de disparaître. Au final, il ne reste que deux mémoires quantiques intriquées entre elles. Le problème, c’est qu’il faut que le stockage dure assez longtemps pour permettre la création d’une intrication entre tout un réseau de mémoires.
Les physiciens genevois ont réalisé des progrès importants dans ce domaine. Il y a dix ans, ils réussissent, pour la première fois, à stocker un photon intriqué durant 100 nanosecondes (milliardièmes de seconde). En 2017, la marque atteint une microseconde, soit 10 000 fois mieux. Et l’équipe genevoise est sur le point de publier le temps record d’un dixième de seconde.
« Pour un état quantique, c’est une éternité, commente Mikael Afzelius. Mais notre objectif pour les années à venir, dans l’optique de réaliser un jour un réseau de communication quantique, c’est d’atteindre un stockage qui tienne le coup une dizaine de secondes et de le réaliser à bonne distance, typiquement après une dizaine de kilomètres de fibre optique. »

Des milliers de photons à la fois

Le temps de stockage et la distance ne sont pas les seuls défis technologiques à relever. Le dispositif doit aussi atteindre une bonne efficacité et, surtout, pouvoir stocker des milliers de photons en même temps. Et cela, c’est encore de la musique d’avenir.
L’équipe de Mikael Afzelius travaille actuellement avec des mémoires quantiques constituées de cristaux dopés avec de petites quantités de terres rares comme l’ytterbium et l’europium. L’expérience est maintenue à une température très basse, à 3 ou 4 degrés au-dessus du zéro absolu (-273,15 °C), afin de pouvoir conserver l’intégrité des états quantiques. En effet, dès que la température monte à 10° au-dessus du zéro absolu, l’agitation thermique dans le cristal devient suffisante pour détruire l’intrication des atomes.
« Les répéteurs quantiques serviront à porter la cryptographie quantique sur des distances plus grandes que quelques centaines de kilomètres, explique Mikael Afzelius. Mais ils pourront aussi contribuer à ce qu’on appelle l’Internet quantique. Il s’agit d’un réseau qui connecterait les futurs ordinateurs quantiques entre eux et permettrait de les faire fonctionner en parallèle. Et donc de multiplier d’autant plus leur puissance de calcul. »