Campus n°155

La nature est appelée à l'aide

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Les « solutions basées sur la nature » ont la capacité de réduire les incidences de désastres naturels tels que les crues, les éboulements ou encore les avalanches. Un projet européen qui vient de se terminer a étudié leur mise en œuvre dans des régions rurales de montagne.

Malmenée, la nature nous renvoie bien souvent la monnaie de notre pièce, spécialement dans les régions de montagne. À force de construire habitations et infrastructures dans des zones dangereuses et, par-dessus le marché, de bouleverser l’équilibre environnemental par les changements climatiques, il n’est pas étonnant que, de plus en plus fréquemment, les terrains glissent, les rochers s’éboulent ou que les torrents inondent des zones où vivent, travaillent et se déplacent des gens. Mais la nature – peu rancunière – peut aussi offrir des solutions permettant de rendre ces paysages plus résilients face à ces désastres ou de restaurer des écosystèmes. Et il se trouve que démontrer l’efficacité des « solutions basées sur la nature » (SBN) et leur capacité à réduire l’incidence d’événements de petite envergure mais fréquents dans les paysages ruraux de montagne constitue justement l’objectif du projet européen Phusicos qui vient de se terminer et auquel des scientifiques de l’Université de Genève ont participé.

« Les SBN sont des mesures inspirées de la nature qui sont rentables et durables et dont l’effet est d’atténuer, et dans certains cas de prévenir, les risques qui affectent les régions exposées, explique Anna Scolobig, collaboratrice scientifique à l’Institut des sciences de l’environnement. Il peut s’agir de solutions à petite échelle, comme l’installation de toits végétalisés dans les villes pour absorber l’eau, réduire la pollution au CO2 et protéger contre les grandes chaleurs. Mais elles peuvent aussi s’étendre sur des surfaces plus grandes, comme le fait de donner de l’espace à des rivières pour amortir leurs crues. Le Canton de Genève conduit ce genre de grands projets, notamment dans l’optique de la renaturation du Rhône. »

Moraines instables
Dans le cadre de Phusicos, financé par le programme européen Horizon 2020, le concept de solutions basées sur la nature a été testé dans cinq endroits distincts et représentatifs de la variété de risques liés plus spécifiquement à la montagne : le Kaunertal en Autriche (à une trentaine de kilomètres des Grisons), le bassin de l’Isar en Allemagne, un des principaux affluents du Danube, sujet à des crues fréquentes, le Gudbrandsdalen, une des vallées les plus peuplées de Norvège, les Pyrénées, entre la France et l’Espagne, et le bassin du Serchio, un fleuve de Toscane dont le bassin est défini comme d’« intérêt national » en Italie.

Les solutions évaluées, une bonne quinzaine en tout, couvrent une variété d’aménagements tels que la création de zones inondables, l’élévation de digues, l’installation de structures paravalanches, la végétalisation des pentes, etc.

Sur les hauts du Kaunertal, par exemple, se trouve le glacier Gepatschferner qui subit le retrait le plus rapide d’Autriche, laissant derrière lui des moraines instables et raides, menaçant d’éboulement la vallée et les infrastructures en contrebas. Les scientifiques ont tenté de stabiliser ces pentes en testant la plantation de différentes semences mélangées à des microbiomes sélectionnés en laboratoire pour leur capacité à assister le développement des végétaux. Les expériences menées sur des sites tests ont montré qu’il faut une couverture végétale d’au moins 30 % pour commencer à réduire l’érosion tandis qu’une couverture de plus de 75 % l’élimine totalement. La campanule barbue (Campanula barbata) s’est avérée l’espèce la plus adaptée à l’exercice bien que des communautés plus larges de plantes aux fonctions diverses semblent encore plus efficaces. Les plantes ont bien poussé dans tous les sites mais les scientifiques ont observé dans près de la moitié d’entre eux une couverture significativement plus importante dans les parcelles où des microbes ont été ajoutés aux semences.

Coulées de débris
Autre exemple : le village d’Erill-la-Vall, dans les Pyrénées espagnoles, est en proie à de régulières coulées de débris dont l’origine est une moraine épaisse érodée par les précipitations, en particulier durant l’été. Dans le cadre de Phusicos, une entreprise locale a réalisé des travaux combinant une végétalisation du lieu avec des plantes locales et, dans les parties les plus abruptes, la construction de terrasses faites de murs en pierres sèches et de bois visant à réduire la quantité de sédiments emportés par le canal principal de la coulée qui menace le village.

Ailleurs dans les Pyrénées, dans la station de ski du Grand Tourmalet, ce sont des essences d’arbres soigneusement sélectionnées qui sont plantées et maintenues par des tripodes en bois pour diminuer les risques d’avalanches de neige. À Øyer, au nord de Lillehammer, un méandre de la rivière Søre Brynsåa a été réouvert pour protéger un projet immobilier, accompagné de la création d’une zone tampon ayant une capacité de rétention d’eau en cas de crue. Dans le bassin du Serchio, pour faire face à la combinaison unique de risques aussi divers que les sécheresses et les inondations extrêmes, les tremblements de terre et la pollution de l’eau, les experts ont aménagé des bandes tampons végétalisées le long des canaux d’irrigation, creusé des bassins de sédimentation et modifié le profil des canaux. La liste n’est pas exhaustive.

« Les solutions basées sur la nature entraînent également des cobénéfices à différents niveaux et dans différents secteurs, précise Anna Scolobig. C’est ce qui fait le succès de ce type de mesures. Elles améliorent en effet le sentiment de sécurité et la santé des populations concernées, tout en contribuant à l’atténuation des risques liés aux changements climatiques et en augmentant l’attractivité touristique d’une région, etc. »

Il existe probablement autant de solutions basées sur la nature qu’il existe de cas de figure différents. L’un des objectifs du projet Phusicos est l’évaluation des facteurs favorisant ou bloquant la mise en œuvre de ces mesures. Cela comprend non seulement la possibilité – ou l’impossibilité – physique de les construire mais aussi leur financement et la qualité de la gouvernance des régions concernées.

Anna Scolobig s’est plus particulièrement intéressée au rôle croissant qu’est appelé à jouer le secteur privé dans cette problématique. Dans un rapport publié en novembre 2022, elle et des collègues rappellent que le secteur public reste, à ce jour, le principal bailleur de fonds des solutions basées sur la nature, mais qu’il sera de moins en moins en mesure d’assumer les coûts croissants engendrés par les désastres naturels.

« Les entreprises privées jouent déjà un rôle essentiel dans les aspects critiques de ces solutions, explique Anna Scolobig. On trouve des entrepreneurs (sociétés de conseil et d’ingénierie, entreprises de construction, architectes paysagistes, fournisseurs de matériaux, sociétés de collecte de données) qui soutiennent presque toutes les étapes de la mise en œuvre de ces mesures, de la planification jusqu’aux opérations de construction et d’entretien sur le terrain. Leur expertise et leur savoir-faire représentent des conditions préalables fondamentales pour garantir la qualité et la réussite des solutions. Le problème, c’est que celles qui maîtrisent ces connaissances sont peu nombreuses. Nous avons donc cherché à mieux comprendre les défis et les obstacles auxquels est confronté le secteur privé et à trouver des idées pour les surmonter. »

Trois stratégies clés ont été identifiées par les scientifiques pour renforcer l’implication du secteur privé dans la mise en œuvre de solutions basées sur la nature. La première, et la plus importante, consiste à mettre à disposition des entrepreneurs les connaissances nécessaires – sous la forme notamment de séminaires de formation technique – et l’expertise accumulée dans des projets tels que Phusicos. Cette stratégie prône également une amélioration de la collaboration avec le secteur public et les autres acteurs potentiels impliqués dans une SBN via des programmes ou des centres de services locaux, régionaux ou nationaux. La deuxième stratégie prend la forme d’un soutien aux entreprises qui peuvent avoir du mal à estimer et à générer des revenus en participant à l’élaboration de SBN. Cela demande, entre autres, la mise en place de politiques et de normes adaptées ainsi que le développement de techniques de financement innovantes. La troisième stratégie, enfin, consiste à réduire les risques en termes de retard et de dépassement de budget ainsi que de responsabilité afin de rendre les SBN plus attrayantes pour les investisseurs. Cela peut passer par des assurances couvrant ces risques ou des garanties offertes par les gouvernements.

www.phusicos.eu
http://tinyurl.com/phusicos