Comment renouer avec l’autorité en classe
En s’appuyant sur un dispositif novateur permettant d’analyser l’exercice de l’autorité pédagogique en classe, une étude montre que les stratégies basées sur le « double adressage » s’avèrent particulièrement efficaces.
Comment faire en sorte qu’un groupe de jeunes élèves accepte de s’engager dans un processus d’apprentissage qui a toutes les chances de se révéler ponctuellement inconfortable, qui exigera de la persévérance et dont les résultats seront différés dans le temps. Le tout pour l’obtention d’un diplôme qui ne suffira peut-être pas à garantir leur avenir professionnel ? À défaut d’une solution miracle, l’article publié en novembre dernier dans la revue Teaching and Teacher Education par Valérie Lussi Borer, professeure associée au sein de l’Institut universitaire de formation des enseignants (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation) et Vanessa Joinel Alvarez, professeure associée à l’Unité d’enseignement et de recherche Agirs de la Haute école pédagogique du canton de Vaud, propose quelques éléments de réponse à cette question aussi vieille que l’école elle-même. Les résultats de ce travail innovant, basé sur une thèse de doctorat soutenue à l’UNIGE en 2021, montrent en effet que les stratégies basées sur le « double adressage » – soit le fait de s’adresser simultanément, à travers deux canaux de communication différents, à plusieurs élèves ou groupes d’élèves – s’avèrent particulièrement efficaces tant pour obtenir l’adhésion de la classe que pour assurer aux enseignant-es un exercice de leur métier conforme à leurs attentes.
Nouvelles pistes
L’érosion des figures traditionnelles (policier, prêtre, parents, médecins, instituteur...) ainsi que la montée en puissance de l’individualisme et des droits de l’enfant font qu’aujourd’hui le respect de l’enseignant-e n’est plus acquis d’entrée de jeu. Il doit se gagner en mobilisant d’autres ressources que la menace, la contrainte ou l’habitude qui sont liées à l’exercice d’une autorité traditionnelle ou à l'autoritarisme. D’où la nécessité d’explorer de nouvelles pistes.
« Il existe de très nombreuses recherches sur l’autorité en classe, note Valérie Lussi Borer. Mais la plupart d’entre elles restent très théoriques, s’attachant surtout à observer ou à répertorier les bonnes pratiques. L’aspect novateur de notre étude consistait à comprendre de manière très concrète ce que signifiait le fait d’exercer son autorité de manière satisfaisante pour un-e enseignant-e en mettant l’accent sur le type d’interaction qu’il ou elle pouvait entretenir avec sa classe. »
Pour y parvenir, les deux chercheuses ont utilisé un dispositif vidéo automatisé permettant de suivre les faits et gestes des enseignant-es et d’enregistrer leurs échanges avec les élèves. Le système, qui permet de ne pas interférer dans le déroulement des cours, a permis de suivre pendant plusieurs mois dix enseignant-es exerçant dans le canton de Vaud auprès de 24 classes du secondaire I regroupant quelque 433 élèves âgés de 12 à 15 ans.
Les enseignant-es ont ensuite été prié-es de choisir un certain nombre de séquences jugées particulièrement significatives par rapport à l’exercice de l’autorité avant que celles-ci ne soient minutieusement décortiquées dans le cadre d’un entretien dit d’« autoconfrontation ».
« Ils avaient pour consigne de décrire ce qu’ils avaient pensé ou ressenti durant ce moment, précise Vanessa Joinel Alvarez. Quelles étaient leurs préoccupations, leurs attentes, leurs émotions ? A quoi avaient-ils fait attention, pourquoi avaient-ils décidé de réagir ou de ne pas réagir ? Nous voulions avoir accès à tout ce qui se passe dans la tête de l’enseignant-e dans un moment clé, ce qui nous échappe généralement dans les études traditionnelles. »
Les résultats obtenus ont tout d’abord permis de mettre en évidence le fait que certains moments de la période d’enseignement sont plus critiques que d’autres et en particulier ceux qui sont liés aux transitions comme l’entrée en classe, le passage d’une activité individuelle à une activité collective (et inversement) ou l’annonce des devoirs qui survient en général en fin de leçon.
Au-delà de ce constat, les deux chercheuses ont surtout mis en évidence que les catégorisations habituellement utilisées pour décrire les interactions entre l’enseignant-e et les élèves ne reflétaient que partiellement la réalité.
« Dans la littérature, on trouve trois modalités principales pour décrire ce type de situation, explique Vanessa Joinel Alvarez. Soit l’enseignant s’adresse à un seul élève, soit il s’adresse à un sous-groupe d’élèves, soit il destine son message à l’ensemble de la classe. Or, ce que nous avons constaté dans le cadre de cette étude, c’est que dans un cas sur trois, les enseignants ne sont pas dans des adressages simples tels que précités, mais qu’ils communiquent simultanément, à travers des canaux différents, à plusieurs élèves ou groupes d’élèves. »
Concrètement, afin d’éviter la propagation d’un comportement perturbateur au reste du groupe, l’enseignant peut ainsi choisir d’intervenir ostensiblement auprès de l’élève dissipé afin de faire passer, indirectement, un message de dissuasion au groupe. Selon une logique similaire, les chercheuses ont aussi mis en évidence des situations où l’enseignant s’adresse directement à toute la classe et indirectement à un ou deux élèves, le but étant alors de leur faire passer un message sans les nommer explicitement, pour ne pas les stigmatiser et ne pas renforcer les phénomènes de comparaison sociale entre élèves.
Tact et savoir-faire
Très efficace pour prévenir les comportements perturbateurs, ce type de stratégie permet à l’enseignant-e de limiter la confrontation, peu performante avec les adolescent-es. En ne confrontant pas directement l’élève, les enseignant-es évitent ainsi de s’inscrire dans un rapport de force et lui permettent également de garder la face vis-à-vis de ses pairs.
Ces stratégies, qui exigent tact et savoir-faire, ont cependant leurs limites. Elles peuvent notamment poser des problèmes d’ordre éthique lorsque l’enseignant-e choisit d’utiliser la pression du groupe pour isoler et délégitimiser le comportement d’un-e élève en particulier. En vue d’éviter ce genre de dérive, les résultats obtenus dans le cadre de cette recherche ont d’ores et déjà été réinvestis dans de nouvelles formations continues à destination des enseignant-es, comme le module d’approfondissement professionnel « Gestion efficace et bienveillante des comportements en classe » de la HEP Vaud et le Certificat d’études avancées « Enseigner en situation complexe au secondaire » à l’Institut universitaire de formation des enseignant-es de l’UNIGE. Deux formations qui proposent aux enseignants des outils pour mieux comprendre la manière dont ils s’adressent aux élèves en classe et l’impact de ces interactions sur le climat du groupe.
« Parmi les participant-es de la première volée, plusieurs ont émis le souhait de mettre en place ce type de dispositif de formation au sein de leur établissement, conclut Valérie Lussi Borer. C’est une démarche dans laquelle nous allons les accompagner dans l’espoir qu’à terme, par effet de capillarité, on parvienne à faire évoluer la culture professionnelle du métier d’enseignant-e. »
Vincent Monnet
« Breaking in the black box of pedagogical authority. Combined analysis of video and think-aloud protocols », par Vanessa Joinel Alvarez et Valérie Lussi Borer, in « Teaching and Teacher Education », Volume 134, November 2023.