Campus n°157

Un super-riz dopé aux vitamines

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Une variété de riz a été génétiquement modifiée pour produire quatre fois plus de vitamine B1. Elle pourrait combler les carences alimentaires de certaines populations.

Teresa Fitzpatrick, professeure au Département des sciences végétales (Faculté des sciences), et ses collègues ont mis au point un riz transgénique contenant jusqu’à 4 fois plus de vitamine B1 (thiamine) que les variétés ordinaires. Cette avancée, publiée le 27 mars dans Plant Biotechnology Journal, est présentée comme une réponse possible aux carences nutritionnelles de certaines populations dont le régime alimentaire est basé – parfois exclusivement – sur cette céréale. Le riz, du moins sa graine dépouillée de toutes les couches périphériques (l’endosperme), est en effet pauvre en un certain nombre de micronutriments essentiels pour l’organisme humain, dont la vitamine B1. Un apport insuffisant de cette substance est à l’origine de nombreuses maladies des systèmes nerveux et cardiovasculaire, dont le béribéri.

Preuve de concept
L’étude genevoise, menée en collaboration avec la National Chung Hsing University de Taïwan et l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ), est, à ce stade, de nature purement académique et se présente comme une «preuve de concept». La procédure consistant à mettre au point un produit commercialisable et à le distribuer aux populations concernées est laissée à d’autres instances. Une procédure qui risque d’ailleurs de se heurter à des obstacles, compte tenu de l’opposition actuelle des paysans et des associations environnementales aux organismes génétiquement modifiés (OGM), même s’ils l’ont été à des fins de biofortification, c’est-à-dire d’amélioration de leur valeur nutritionnelle. Le fameux «riz doré», modifié de manière à produire une concentration plus élevée de bêtacarotène (précurseur de la vitamine A), a ainsi dû attendre plus de vingt ans pour que commence enfin sa commercialisation à grande échelle. Avant de connaître un coup d’arrêt en avril dernier. Il n’en reste pas moins que le développement d’un riz riche en vitamine B1 est une étape remarquable du point de vue technologique. Toutes les tentatives précédentes n’avaient, jusque-là, réussi à augmenter la teneur de thiamine que dans certaines parties de la céréale, comme les feuilles et le son, mais jamais dans l’endosperme, c’est-à-dire la partie propre à la consommation.

Pour y parvenir, les scientifiques ont élaboré des lignées de riz contenant un gène, prélevé sur le sésame (Sesamum indicum), connu pour être capable de séquestrer la vitamine B1 de façon contrôlée dans les tissus de l’endosperme. Après culture en serre, récolte et polissage des grains de riz, les analyses ont effectivement montré une augmentation de la teneur de la substance dans la graine (mais pas dans les autres parties de la plante).

Champ expérimental
Afin de vérifier que la modification est stable dans le temps, les graines transgéniques ont ensuite été semées en pleine terre dans un champ expérimental à Taïwan, où ce genre de pratique est autorisé dans des circonstances précises, contrairement à la Suisse. Elles y ont été cultivées pendant plusieurs années, puis analysées. Il en ressort : d’une part, que, d’un point de vue agronomique, les caractéristiques telles que la hauteur des plantes, le nombre de tiges par plant, le poids des grains ou encore la fertilité sont identiques entre les variétés modifiées et celles non modifiées; d’autre part, que le niveau de vitamine B1 dans les grains de riz des premières est 3 à 4 fois supérieur à celui des secondes et reste inchangé à travers les générations. Et ce, sans avoir d’impact négatif sur le rendement de la culture.

«Le fait que nous ayons pu cultiver nos lignées en conditions réelles en champs et que l’expression du gène modifié soit stable dans le temps sans qu’aucune des caractéristiques agronomiques ne soit affectée est très prometteur, se réjouit Teresa Fitzpatrick. Un bol de riz de 300 grammes issu de cette culture permettrait d’atteindre environ un tiers des apports journaliers recommandés en vitamine B1 pour un adulte.»

Selon la chercheuse, la prochaine phase consisterait à poursuivre cette approche, mais en utilisant des variétés commerciales. Ensuite, il faudra franchir des étapes réglementaires relatives à la «biofortification par génie génétique» avant d’être en mesure de cultiver et de vendre de telles semences sur le marché.

Anton Vos

 

Le dernier «plot twist» de l’épopée du riz doré

 

Le riz doré a été développé dans les années 1990 par l’équipe d’Ingo Potrykus, aujourd’hui âgé de 90 ans et professeur honoraire à l’EPFZ ­– le chercheur qui a repris son laboratoire n’est autre que Wilhelm Gruissem, coauteur de l’étude sur le riz dopé à la vitamine B1 (lire l’article principal). Cette céréale génétiquement modifiée produit, grâce à un gène tiré du maïs, une haute teneur en bêtacarotène, qui, une fois ingérée par l’organisme humain, est transformée en vitamine A.

La présence de bêtacarotène donne au grain une couleur jaune. Le but de l’opération est de lutter contre la malnutrition chez les populations dont la principale source d’hydrates de carbone est le riz. En effet, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, 250 000 à 500 000 enfants deviennent aveugles chaque année dans le monde et la moitié d’entre eux meurent dans les douze mois, en raison d’un déficit de vitamine A. Commencées dans les années 2000, les tentatives de commercialisation du riz doré, pilotées par l’Institut international de recherche sur le riz basé aux Philippines, ont connu deux décennies d’obstructions de la part d’organisations non gouvernementales parce qu’il s’agit d’un OGM.

En 2021, les autorités philippines chargées de la biosécurité donnent enfin le feu vert à la culture à grande échelle et à la consommation de la céréale dorée, baptisée entre-temps «riz Malusog» (qui signifie «riz sain» en philippin). Il faut dire que dans ce pays, 2,1 millions d’enfants souffrent de carences en vitamine A. Plus de 100 tonnes de riz sont ainsi récoltées en octobre 2022 dans une phase pilote menée sur 40 hectares. Les tests de mise sur le marché sont menés dans sept provinces en 2023 et le processus de commercialisation devait être complet d’ici à la fin de 2024.

Mais, le 17 avril 2024: coup de théâtre! La Cour d’appel de Manille aux Philippines ordonne l’arrêt de la «propagation commerciale, des essais sur le terrain et de la conduite d’activités liées au riz doré jusqu’à ce que toutes les questions de sécurité, de santé et de droit aient été réglées». Elle donne raison ainsi aux ONG, en particulier Greenpeace, qui s’opposent par principe à toute culture d’OGM et qui ont fait valoir le «principe de précaution» devant «l’absence de certitude scientifique totale» de la culture du riz doré. Une exigence qui est de toute façon impossible à atteindre, selon les scientifiques.