Campus n°158

Sept décennies d'intégration européenne

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Après une pause de deux ans, les négociations en vue d’un accord institutionnel entre la Suisse et l’Europe ont repris. L’occasion de revenir sur l’évolution du projet européen depuis les années 1950.

Catherine Hoeffler a été nommée en février 2024 à la tête du Centre de compétences Dusan Sidjanski en études européennes dont l’objectif est de promouvoir la réflexion sur les questions européennes au sein de l’Université de Genève (lire aussi en page 20). Spécialiste des enjeux de sécurité, elle porte un regard rétrospectif sur plus de 70 ans d’intégration européenne et analyse les changements récents intervenus au sein de l’Union, à la lumière, notamment, du conflit ukrainien.

Campus: L’histoire du Vieux-Continent a été marquée par de très nombreux conflits entre les peuples qui le composent. Comment a émergé l’idée de les unir?
Catherine Hoeffler: L’idée d’une «communauté» européenne est évoquée bien avant le XXe siècle. Elle prend une certaine réalité au lendemain de la Première Guerre mondiale avec l’émergence de mouvements pro-européens et fédéralistes. Mais c’est seulement après la Deuxième Guerre mondiale que les choses commencent réellement à bouger. L’Europe veut alors éviter une nouvelle guerre et doit se reconstruire. C’est là que certaines figures vont prôner une solution «européenne» à ces enjeux.

La Suisse n’est pas étrangère à ces travaux préparatoires…
Elle joue en effet un rôle non négligeable grâce à l’influence de certaines personnalités comme Denis de Rougemont, fervent défenseur de l’idée européenne et fondateur du Centre européen de la culture qui ouvre ses portes à Genève en octobre 1950. La Suisse accueille également un nombre important d’intellectuels engagés en faveur de la cause européenne. Mais ce qui est au centre de leurs préoccupations, ce sont davantage les questions liées à l’identité de l’Europe qu’à celles de l’intégration au sens strict.

Dans ce domaine, le moment fondateur, c’est la Déclaration Schuman de 1950 qui va mener à la création de la Communauté économique du charbon et de l’acier (CECA) l’année suivante. Que dit ce texte?
L’idée générale est que la pacification de l’Europe requiert la paix entre l’Allemagne et la France et qu’elle ne se fera pas par le biais de grandes déclarations, mais par des «solidarités de fait». Cette politique des petits pas vise à lier les économies nationales des principales puissances du continent de manière à ce que plus personne n’ait intérêt à déclencher une guerre. Ce pacte contient par ailleurs au moins deux aspects qui sont tout à fait révolutionnaires à l’époque.

Lesquels?
L’accord qui donne naissance à la CECA est signé six ans seulement après la fin de la Deuxième Guerre mondiale et ce qui est mis en commun, ce n’est rien de moins que l’acier et le charbon, soit les commodités qui sont à la base de l’industrialisation et de la puissance militaire. De plus, ce texte introduit une haute autorité, supranationale, qui constitue l’ancêtre de la Commission européenne.

La solution fédéraliste, qu’appelait de ses vœux une personnalité comme Denis de Rougemont et qui continue à être défendue par certains observateurs, a rapidement été écartée. Pourquoi ?
L’UE, ce n’est ni les États-Unis ni la Suisse. On parle là d’États souverains qui ont une longue histoire marquée par de profonds antagonismes. Mais, au-delà des discussions sur la désidérabilité du projet fédéraliste, ce que j’observe en tant que scientifique, c’est que ce n’est pas – qu’on le déplore ou s’en réjouisse – la direction vers laquelle se dirigent aujourd’hui les élites nationales et européennes. Ce qu’on voit plutôt, c’est la multiplication des formes de coopération, à des niveaux ou sur des territoires de gouvernance divers (Communauté politique européenne, Triangle de Weimar…).

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Comment s’opère le virage entre la Communauté européenne du charbon et de l’acier, la Communauté économique européenne (CEE), puis l’Union européenne (UE)?
D’un côté, il y a une volonté manifeste de la part des États européens de pousser plus loin leur coopération pour des questions d’intérêts économiques, sécuritaires et politiques. Et, dans un contexte marqué par les débuts de la Guerre froide, cette volonté est largement encouragée par les États-Unis pour qui une Europe plus forte constitue un rempart plus efficace contre la menace soviétique. Mais l’intégration européenne est aussi poussée par une dynamique «fonctionnelle»: plus on intègre ou coopère, plus on a besoin de coopérer sur des questions connexes. Sur le plan factuel, l’intégration s’effectue de manière assez graduelle, par l’ajout progressif de divers éléments entre lesquels des passerelles sont ensuite bâties. Le Traité de Rome, qui donne naissance à la CEE en 1957, marque ainsi également la création de la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom), organisme qui est chargé de coordonner les programmes de recherche sur l’énergie nucléaire. En 1966, ces trois organismes – CEE, CECA et Euratom – sont rassemblés par un traité de fusion, même si chacun va conserver ses spécificités. L’UE est instituée en 1992, par le Traité de Maastricht, qui prévoit notamment l’introduction d’une monnaie unique. À la suite de l’échec du projet de traité établissant une constitution pour l’Europe (adopté en 2004, mais jamais ratifié par les 25 pays signataires), de nouvelles réformes sont introduites par le Traité de Lisbonne de 2009.

Ce processus, qui semble aller de soi aujourd’hui, ne s’est pas fait sans heurt…
Historiquement, il y a en effet d’importants désaccords sur le visage que doit prendre l’intégration européenne et sur la question du partage des compétences entre États et Union. De Gaulle a notamment provoqué une profonde crise institutionnelle avec sa politique de la «chaise vide» qui consistait à boycotter les réunions du Conseil de l’Union entre ministres nationaux afin de protester contre le poids excessif pris à ses yeux par la CEE – notamment en matière de politique agricole – et de conserver le principe d’unanimité qui protège les États. Ces désaccords sur le degré d’intégration persistent d’ailleurs aujourd’hui.

L’agriculture reste un sujet très sensible, aujourd’hui encore. Qu’est-ce qui motive les nombreuses critiques à l’encontre de la politique agricole commune (PAC) ?
Historiquement, la PAC est une des premières grandes politiques publiques mises en place au sein de l’Union. Et c’est aussi une des plus coûteuses, puisqu’elle absorbait près de 70% du budget de l’Union dans les années 1970, une proportion qui a depuis baissé mais qui s’élève encore à plus de 30% aujourd’hui. Là où le bât blesse, c’est que cette manne ne profite pas à tout le monde de la même façon. Il y a d’importantes disparités entre pays ainsi qu’entre les différents types d’agriculture. La PAC a, par ailleurs, été lancée dans un contexte marqué par la reconstruction européenne et une certaine pauvreté. Elle était destinée à l’origine à soutenir une agriculture productiviste, sans prendre en compte suffisamment les enjeux écologiques, de durabilité et de respect des territoires – et les débats actuels autour de la PAC reflètent ces différentes demandes sociales. Enfin, il y a aussi des enjeux liés au protectionnisme puisque l’UE subventionne ses agriculteurs contre le reste du monde. Ces derniers n’ont d’ailleurs pas caché leur mécontentement dû à l’accord passé par l’UE pour acheter du blé en Ukraine.

L’idéal pacifique qui était la motivation première des pères fondateurs de l’Union est-il toujours d’actualité ou a-t-il été supplanté par des impératifs économiques?
C’est une question complexe car les deux sont liés. Dès son origine, la CEE puis l’UE entendent promouvoir la paix, la démocratie et les droits humains par l’économie. L’UE suit en cela une logique libérale selon laquelle la prospérité et les liens qui se créent via les échanges économiques sont des facteurs de paix. En ce sens, on peut considérer que la constitution d’un marché unique ou l’établissement de la libre circulation des personnes et des capitaux, qui ont longtemps fait figure de priorité absolue pour l’Union, sont aussi des moyens de préserver la paix. Après, c’est sûr qu’il y a un aspect incantatoire car les deux dimensions ne vont bien évidemment pas toujours de pair dans la pratique, loin de là. Par exemple, dans les élargissements, l’adoption d’une économie de marché comme précondition à l’entrée dans l’UE a souvent été mise en œuvre avec plus de ferveur que les réformes démocratiques.

Le renforcement de l’intégration européenne ces dernières années coïncide avec la montée des partis d’extrême droite sur l’ensemble du continent. Existe-t-il un lien de cause à effet?
Il faut nuancer, car l’euroscepticisme représente souvent une forme de désintérêt ou de méconnaissance de l’Europe plutôt qu’une réelle opposition à l’Europe. Mais il est vrai que les partis d’extrême droite ont prospéré au cours des dernières décennies. Plusieurs facteurs peuvent être avancés pour expliquer le rejet dont fait l’objet l’Union à l’extrême droite mais aussi à l’extrême gauche de l’échiquier politique. On a, par exemple, souvent avancé le fait que l’Europe était perçue par une frange de l’opinion comme un succédané de la mondialisation. L’UE a en outre souvent été utilisée pour justifier des mesures d’austérité qui sont un vecteur de polarisation comme le montrent les travaux d’Evelyne Hübscher (Central European University) et Thomas Sattler (Département de science politique de l’Unige). Il y a aussi des éléments plus politiques ou culturels: une opposition à l’ouverture des frontières ou à des valeurs progressistes (antiracisme, droits LGBTQI+). Au final, les partis d’extrême droite ont surfé sur l’ensemble de ces facteurs.


Est-ce que le renforcement des partis nationalistes, qui s’est confirmé lors des dernières élections européennes, constitue à terme une menace pour la santé de l’Union?
Cette évolution a effectivement quelque chose d’un peu effrayant parce que traditionnellement, l’extrême droite dans le Parlement européen, c’est le loup dans la bergerie. Cette menace est toutefois quelque peu atténuée par les règles et par les pratiques des groupes politiques présents dans cette institution qui exercent un cordon sanitaire. De plus, au sein du Parlement européen, les formations d’extrême droite sont divisées sur de nombreux sujets. Cela étant, même si les partis «centristes» restent majoritaires, la droite radicale a aujourd’hui le potentiel pour exercer une réelle influence sur les politiques européennes.

Jusqu’à réclamer une sortie de l’Union ou de la zone euro?
Cet argument a fait long feu après le Brexit et rares sont les partis qui le revendiquent. Qui peut encore penser que le Royaume-Uni a gagné quelque chose dans cette affaire? Mais à défaut de quitter l’Union, certains partis ne se priveront pas d’essayer de changer les choses de l’intérieur.

Depuis deux ans et demi, la guerre est de retour aux portes de l’Europe. Comment l’UE se positionne-t-elle face à l’offensive russe en Ukraine?
Cette crise a mené à des changements importants au sein de l’UE qui est plus unie et plus décidée à coopérer militairement qu’avant. Un certain nombre de tabous ont été brisés. Bien entendu, cela n’efface pas toutes les divergences, mais c’est notable. A priori, le développement d’une politique de défense ne fait pas partie de l’ADN de la CEE ni de l’UE. Après l’échec du projet – très ambitieux – de Communauté européenne de défense au début des années 1950, c’est en effet à l’OTAN qu’a été dévolue la coopération en matière de défense. Les traités de l’UE contiennent d’ailleurs des clauses concrètes qui interdisent par exemple de financer des opérations militaires. La crise ukrainienne a cependant provoqué des changements du rôle de l’Union dans ces questions.

Lesquels?
La Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’UE, créée à la fin des années 1990, est une politique dite intergouvernementale, dans le sens où, contrairement à la politique commerciale ou le marché unique, les États membres gardent la main sur le processus décisionnel. La Commission et les autres organes supranationaux comme la Cour européenne n’y jouent pas de rôle. Pourtant, de nombreux travaux ont révélé une institutionnalisation croissante de cette politique au sein de l’Union, que ce soit par la création de structures intergouvernementales – comme le Comité politique et de sécurité (CoPS), l’état-major, ou encore l’Agence européenne de défense – ou le rôle grandissant de la Commission européenne. La guerre en Ukraine a également remis sur le devant de la scène la nécessité pour les États de coopérer davantage, notamment via l’UE.

Comment cette évolution se traduit-elle concrètement?
Au niveau de l’armement, l’UE est passée d’une logique économique (réguler les marchés d’armement) à une logique de politique industrielle, par laquelle elle soutient les États membres afin qu’ils produisent et/ou achètent davantage d’armes – si possible européennes. Par exemple, un instrument d’achat en commun a été créé. Même si les montants engagés restent pour le moment assez modestes, cette stratégie permet à la Commission européenne de mettre un pied dans la porte et de s’arroger de nouvelles compétences. Il y a également une logique financière et budgétaire qui s’est mise en place. Soutenue par certains gouvernements comme la France ou l’Italie, l’UE a évoqué l’idée d’émettre des actions dans le domaine de la défense. Même si l’Allemagne y reste opposée pour l’instant, il y a de plus en plus d’États qui estiment que ce ne serait pas nécessairement absurde. La Banque européenne d’investissement – qui restait jusque-là éloignée de ces questions – a par ailleurs adapté ses conditions de prêt et de financement d’entreprises pour se rapprocher du domaine de la sécurité et du militaire. L’Union européenne est donc clairement passée d’un acteur qui régule simplement les marchés à celui qui s’affirme dans le développement de capacités militaires.

Qu’en est-il de la dissuasion nucléaire?
Les paroles de Donald Trump remettant en cause la solidité de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord ont ébranlé la certitude que l’Europe bénéficie de la protection nucléaire américaine. La France étant depuis le Brexit le seul membre de l’Union européenne détenteur de la force nucléaire, l’idée d’une dissuasion nucléaire française «européanisée» est un sujet qui a logiquement fait couler beaucoup d’encre, même si cette question reste marginale par rapport à la réalité des négociations quant aux moyens concrets d’améliorer la coopération européenne en matière de défense. Dans un tel contexte, les propos d’Emmanuel Macron en avril 2024 ont naturellement fait beaucoup de bruit, mais sa pensée a souvent été mal comprise: il ne suggère pas d’étendre la dissuasion nucléaire française aux Européens, mais simplement d’en discuter davantage.

Il n’empêche que selon le résultat des prochaines élections américaines, il existe un risque que les États-Unis se désengagent de l’OTAN. Est-ce que l’Europe est capable de prendre le relais?
Dans les faits, depuis la présidence de Barack Obama, le centre de gravité de la pensée stratégique états-unienne, c’est l’Asie et non plus l’Europe. Quel que soit le président élu en novembre prochain, les Européens doivent s’ajuster à cette situation, ce qu’ils n’ont pas fait jusqu’à maintenant.

Comment cela?
Plusieurs facteurs expliquent la faiblesse des capacités militaires européennes. D’abord, au sein de l’Alliance atlantique, les Européens se sont longtemps reposés sur les capacités militaires des États-Unis. Depuis les années 1990, cette position s’est doublée d’une conception géopolitique reposant sur l’idée que l’UE n’avait pas besoin d’une défense forte dans la mesure où la pacification du continent était assurée par les échanges économiques. À cela se sont ajoutées des coupes budgétaires qui n’ont pas épargné le secteur de la défense, dont on a fait une sorte de variable d’ajustement. Ensuite, quand les Européens ont pensé à développer une politique européenne de sécurité et de défense, ces initiatives pro-européennes ont parfois été perçues comme allant contre les États-Unis et l’OTAN. Aujourd’hui, on tente de réconcilier les deux: il est en effet aussi dans l’intérêt de l’OTAN de renforcer la défense communautaire. Même des États très atlantistes comme les pays baltes, la Pologne et les Pays-Bas estiment aujourd’hui qu’une défense forte en Europe est dans l’intérêt de tous – si tant est que l’on respecte les prérogatives de l’OTAN. Ce qui est un exercice d’équilibriste délicat.

L’UE compte aujourd’hui 27 membres. Y a-t-il une limite à son élargissement?
En théorie non, et le prochain grand élargissement, outre l’intégration de l’Ukraine qui se fait à marche forcée, devrait concerner les pays des Balkans qui sont tous candidats à l’adhésion. Ce qui constitue d’ailleurs un enjeu politique et géostratégique majeur. Cela étant, il ne faut pas oublier que l’Europe ne se fait pas uniquement par l’élargissement de l’Union européenne. Aujourd’hui, le développement d’une coopération européenne se construit en effet également en dehors des limites de l’Union avec la Communauté politique européenne, défendue par le président français Emmanuel Macron qui vise à discuter de questions stratégiques au niveau du continent tout entier, ou, à plus petite échelle, avec le Triangle de Weimar qui réunit la France, l’Allemagne et la Pologne.

Alors que la démographie européenne est en chute libre, notamment en Italie ou en Allemagne, on persiste à faire de l’immigration un danger quasiment existentiel pour l’Europe. Comment s’explique ce paradoxe?
Des travaux, comme ceux de Frank Schimmelfennig, chercheur à l’EPFZ, ont montré l’existence d’une double dynamique entre, d’une part, une ouverture et une fluidité des échanges en interne et, de l’autre, un durcissement de nos frontières externes et une crispation autour de la question de la migration. Les critiques contre le Wir schaffen das de l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel illustrent parfaitement les difficultés électoralistes des politiques migratoires. Il existe malheureusement une profonde contradiction entre les valeurs revendiquées par l’UE, en termes de respect des droits humains et du droit international, et la réalité de la politique aux frontières, particulièrement en Méditerranée (lire aussi l’article en page 30).

 

Le rêve helvétique d’une zone de libre-échanche paneuropéenne


1948
Fondation de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) dont le but est de mettre en œuvre le plan Marshall et de créer un espace de libre-échange paneuropéen. Séduite par cette perspective, la Suisse rejoint immédiatement cette institution.

1949 Création du Conseil de l’Europe afin de protéger les droits de l’homme et de renforcer la démo­cratie en Europe. L’institution se dote en 1953 de la Convention européenne des droits de l’homme et, pour la faire respecter, de la Cour européenne des droits de l’homme. La Suisse la rejoindra en 1963.

1953 Création de l’Union européenne (UE), suivie du Traité de Rome en 1957. La Suisse comprend que la zone de libre-échange dont elle rêve ne se fera pas.

1960 Création de l’AELE (Association européenne de libre-échange) par la Suisse, le Royaume-Uni et d’autres pays comme une alternative à l’UE. Petit à petit, des membres quitteront l’AELE pour l’UE. Il ne reste aujourd’hui plus que la Suisse, le Liechtenstein, la Norvège et l’Islande.

1972 Accord de libre-échange (ALE) entre la Suisse et l’UE, qui est à la base d’une multitude d’autres accords et traités (plus d’une centaine en tout) signés entre les deux entités.
C’est une passerelle indispensable pour la Suisse dont l’économie est basée sur l’exportation, essen­tiel­lement vers le marché européen.

1984 Évocation de la création d’un Espace économique européen (EEE) par les ministres des États membres de l’UE et de l’AELE. L’idée d’une grande zone
de libre-échange paneuropéenne refait surface. Logiquement, la Suisse remonte dans le train. Après la signature de l’Acte unique et la création du marché intérieur, le concept de l’EEE devient un marché obéissant aux seules règles définies par l’UE et ouvert aux participants extérieurs.

1992 Dépôt le 18 mai par le Conseil fédéral d’«une lettre de demande d’ouverture de négociation en vue d’un acte d’adhésion» à l’UE. Le 6 décem­bre, le peuple rejette l’entrée de la Suisse à l’EEE, ce qui arrête net le processus d’intégration euro­pé­enne. La demande d’adhésion est gelée.

1999 Signature par le Conseil fédéral des accords bilatéraux I qui donnent à la Suisse l’accès de façon sectorielle au marché intérieur de l’UE (libre circulation des personnes, obstacles techniques au commerce, marchés publics, agriculture, transports terrestres, transports aériens, recherche).

2004 Signature des accords bilatéraux II, de nature plus politique (Schengen/Dublin, fiscalité de l’épargne, lutte contre la fraude, produits agricoles transformés, environnement, statistique, pensions...). L’UE refuse d’étendre la participation de la Suisse au marché intérieur avant que
ne soit mis de l’ordre dans la relation institutionnelle entre les deux parties qui devient, à ses yeux, beaucoup trop complexe.

2005 Extension de la libre circulation des personnes à l’UE-10.

2009 Reconduction de la libre circulation des personnes et extension à la Bulgarie et à la Roumanie.

2010 Ouverture de négociation en vue d’un accord-cadre qui réglerait toutes les questions institutionnelles non résolues telles que la reprise de l’acquis communautaire, le règlement des différends, les aides étatiques, etc. Les discussions sont longues et difficiles.

2016 La demande d’adhésion de la Suisse à l’UE est retirée le 27 juillet.

2021 Constat d’échec par le Conseil fédéral qui tire la prise des négociations sur l’accord-cadre institutionnel le 26 mai. Le geste jette un froid et, du côté de l’UE, c’est l’incompréhension. L’opinion publique suisse pousse néanmoins son gouvernement à trouver une solution.

2022 Proposition par le Conseil fédéral de reprendre la discussion mais selon une «approche par paquet», c’est-à-dire en négociant des accords secteur par secteur. Des discussions exploratoires se déroulent entre février 2022 et octobre 2023.

2023 Publication d’une «déclaration commune» comprenant les solutions et les questions ouvertes qui doivent être négociées. Le 8 novembre, les deux parties approuvent des mandats de négociation respectifs sur cette base.

2024 Lancement des négociations le 19 mars. Environ 70 négociateurs répartis dans 14 groupes travaillent tous les jours. Leurs chefs sont, pour la Suisse, Patric Franzen, chef de la division Europe du DFAE, et, pour l’UE, le diplomate britannico-polonais Richard Szostak, négociateur du Brexit. Au niveau diplomatique, Alexander Fasel fait face au Slovaque Juraj Nociar et au niveau pollitique, le conseiller fédéral Ignazio Cassis se mesure au commissaire européen Maros Sefcovic. Le 4 juillet, signe que l’évolution des négociations suit une «dynamique positive», la Com­mis­sion européenne pousse un peu la porte du programme européen de recherche Horizon en ouvrant trois appels d’offres du Conseil européen de la recherche (ERC) aux scientifiques suisses.

2025 Le Conseil fédéral souhaite signer des accords avant le 1er janvier 2025, date à laquelle la nouvelle équipe de la Commis­sion européenne entre en fonction. En cas de signature, les paquets négociés seront soumis aux chambres puis au peuple par référendum obligatoire ou facultatif. En cas d’échec, il n’y aura pas de statu quo. Les accords signés jusqu’à aujourd’hui resteront valables, mais subiront une lente érosion dans différents domaines.