Campus n°158

À quand un retour en «Ligue des champions»?

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Depuis 2021, la science suisse vit sous perfusion grâce aux mesures transitoires édicteés par le Conseil fédéral. Un pansement indispensable, mais qui ne cache pas la plaie, selon Romain Cartoni, directeur du Service de soutien à la recherche de l’UNIGE.

Cet été, les membres de la communauté scientifique suisse sont partis en vacances le cœur un peu plus léger. Le 4 juillet, Maros Sefcovic, commissaire européen responsable des négociations avec notre pays, a en effet posté sur X un message annonçant la possibilité pour les chercheurs et chercheuses helvétiques de participer à trois appels à projets du programme Horizon Europe. De là à envisager un retour prochain dans ce qui constitue la «champions league» de la recherche, il y a un pas, qui n’est de loin pas franchi. Mais la nouvelle demeure encourageante pour un secteur qui, depuis 2021, vit sous perfusion grâce aux mesures transitoires édictées par le Conseil fédéral. Point de situation avec Romain Cartoni, directeur du Service de soutien à la recherche de l’UNIGE.

«L’annonce de M. Sefcovic est très positive, mais il faut attendre la suite des négociations avec l’Union européenne pour pouvoir se faire une idée plus précise de ce que sera l’avenir de la science suisse, analyse le spécialiste. Ce premier pas permet à nos chercheurs et chercheuses de participer aux appels à projets ERC Starting Grant 2025, ERC Synergy Grant 2025 et ERC Consolidator Grant 2025. Ce n’est de loin pas négligeable, mais il ne s’agit là que d’une toute petite partie des appels à projets d’Horizon Europe, qui en comporte plus d’une centaine.»

Tant que la Suisse ne retrouvera pas son statut d’associée à part entière, c’est par ailleurs à la Confédération qu’il reviendra d’assumer les coûts d’une éventuelle participation, étant entendu que ses ressortissant-es ne peuvent ni proposer ni diriger des projets collaboratifs. Pour ce faire, le Conseil fédéral a débloqué un crédit de 650 millions de francs pour l’année 2024 (contre 615 millions en 2023), dont la gestion est assurée par le Fonds national de la recherche scientifique (FNS).

«Ces mesures transitoires sont tout à fait exceptionnelles, précise Romain Cartoni. Je ne suis pas sûr que beaucoup d’autres pays en Europe auraient été capables de mettre en place un tel système, non seulement en termes de coût, mais aussi en termes d’organisation, parce qu’au final cela fonctionne plutôt bien. Le risque, c’est que cette manne, qui est rediscutée année après année, se tarisse avant que l’on soit réintégrés aux programmes de l’UE. Si cela se produit, ce qu’on ne peut pas exclure, la situation deviendra réellement catastrophique.»

Tout le monde n’est cependant pas exposé de la même manière aux risques que représente l’exclusion de la Suisse. La position des groupes qui jouaient un rôle moteur dans certains projets européens comme le Flagship Quantum, qui vise à développer, entre autres, des ordinateurs quantiques, s’est ainsi considérablement détériorée depuis 2021. De façon significative, l’entreprise ID Quantique, spin-off de l’UNIGE leader mondial dans le domaine de la communication quantique, a ainsi choisi d’installer sa nouvelle antenne à Vienne afin de conserver son accès aux programmes européens. Genève ayant perdu au passage une centaine d’emplois.

«De manière générale, ce sont les grands laboratoires et les équipes qui jouent un rôle de pointe dans leur domaine qui sont les plus impactés, parce que c’est là que la concurrence est la plus ardue», confirme Romain Cartoni.

À l’autre bout du spectre académique, le statut actuel de la Suisse pèse aussi sur les carrières des jeunes chercheurs et chercheuses.

Au moment où la Suisse a été éjectée d’Horizon Europe, l’UNIGE abritait ainsi une trentaine de talents prometteurs sélectionnés pour une bourse ERC. Dans les jours qui ont suivi, toutes et tous ont été prévenus par un courrier de l’UE que, s’ils voulaient bénéficier de ce financement, ils n’avaient d’autre choix que de rejoindre une institution sur le territoire de l’UE. Courtisés par de grandes universités étrangères, beaucoup sont partis, même si la Confédération se proposait de compenser la perte de ces bourses.

Au-delà de ce cas particulier, l’accès aux bourses ERC Starting Grant permettait de recruter à moindres frais puisque la plupart des coûts engendrés pour le Département concerné étaient couverts pour la durée du subside. «À l’issue de celui-ci, soit l’institution parvenait à stabiliser le poste, soit la personne s’en allait, emportant dans ses bagages l’expérience acquise, note Romain Cartoni. Mais cela n’est hélas plus possible à l’heure actuelle, ce qui péjore la capacité de recrutement des hautes écoles suisses.»

Malgré une surcharge de travail importante pour ses collaborateurs et collaboratrices – sur les 17 employé-es que compte le Service de soutien à la recherche, huit se concentrent sur les projets en lien avec Horizon Europe –, Romain Cartoni se refuse à peindre le diable sur la muraille.
«Il est vrai que dans certains domaines, les programmes européens sont incontournables, poursuit l’expert. Y participer constitue par ailleurs un cap important pour un chercheur, en termes de recherche, mais aussi en termes de prestige. Mais cela ne doit pas faire oublier que la majeure partie des fonds compétitifs obtenus par les chercheurs et chercheuses de l’UNIGE restent rattachés au FNS (plus de 130 millions sur un total de presque 150 millions pour l’année 2023).»

Par ailleurs, dans les projets collaboratifs, auxquels ils continuent d’avoir accès, les chercheurs et chercheuses suisses sont des partenaires gratuits pour le consortium puisque le budget de leur collaboration est assumé par le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation (Sefri). Une donnée qui peut être avantageuse même si le message est parfois difficile à faire passer. «Côté européen, la plupart des équipes considèrent que la Suisse est hors-jeu et ils ne pensent donc généralement même pas à solliciter une collaboration, précise Romain Cartoni. Et côté suisse, beaucoup sont dissuadés de tenter l’aventure compte tenu de la situation actuelle. Nous nous efforçons de leur démontrer qu’il vaut parfois la peine de tenter de convaincre leurs partenaires européens, ce qui implique un important travail de communication de notre part.»

Au-delà d’un hypothétique retour dans le giron européen, deux tendances lourdes sont également sources de préoccupation pour Romain Cartoni. La première est la lente érosion des crédits destinés aux infrastructures de recherche nationales, qui constituent un élément essentiel au maintien du niveau d’excellence de la science suisse. La seconde est la part toujours plus grande accordée aux hautes écoles spécialisées dans la distribution des subsides du Fonds national. Une concurrence accrue avec les universités qui traduit une volonté politique de mettre l’accent sur la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et qui risque également de prétériter la recherche universitaire sur le long terme.