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Enquête sur la face cachée de l’éducation
Jouer, regarder la télévision, créer et découvrir sont les principales activités de loisirs des 4-11 ans lorsqu’ils ne sont pas à l’école. C’est ce que démontre une étude menée auprès de 900 enfants genevois dans le cadre d’une thèse de doctorat en sociologie
Que font nos chères petites têtes blondes lorsqu’elles ne sont pas à l’école? Si de nombreuses études se sont penchées sur les horaires scolaires ou le rythme d’apprentissage des enfants, leur emploi du temps hors de la classe est encore mal connu. C’est cette lacune que vise à combler la thèse de doctorat en sociologie réalisée sous la direction des professeurs Franz Schultheis et Eric Widmer par Pelagia Casassus, aujourd’hui conseillère pédagogique au sein du Service formation et évaluation de l’Université.
Portant sur 900 enfants genevois âgés de 4 à 11 ans à qui il a été demandé de détailler leur emploi du temps durant trois jours, cette enquête montre que le jeu reste l’occupation privilégiée des petits, devant la télévision et les tâches créatrices ou de découverte. Elle met également en évidence l’importance revêtue par l’origine sociale et les attentes des parents dans la gestion du temps libre de leur(s) enfant(s).
méthode innovante
Pour parvenir à ces résultats, Pelagia Casassus a innové puisqu’elle est la première à appliquer la méthode des «budgets-temps» exclusivement à des enfants. «L’idée était de confier à chacun un agenda dans lequel il devait recenser – à l’aide de ses parents pour les plus jeunes – chaque activité dépassant cinq minutes, du lever au coucher, sur une période incluant deux jours d’école et un jour de congé, explique la sociologue. Ces informations ont été complétées par un questionnaire permettant de caractériser la famille selon l’origine, la profession, le nombre d’enfants ou les croyances religieuses...»
L’exercice a débouché sur un catalogue de plus de 1600 activités allant de l’habillage au cours de piano, en passant par le fait d’accompagner sa mère au supermarché ou de regarder par la fenêtre. A force de recoupements, la chercheuse est cependant parvenue à dégager quelques traits saillants de cette masse d’information.
De manière générale, c’est le jeu qui apparaît comme l’activité principale des enfants. Les 4-6 ans y consacrent environ deux heures et demie les jours d’école et les 9-11 ans une heure et demie, chiffres qui doublent pendant les congés. Deuxième activité de loisirs la plus prisée, la TV monopolise près d’une heure les jours de classe et aux alentours d’une heure et demie le mercredi. Classées au troisième rang, les activités créatrices et de découverte (bricolage, dessin, chant, lecture, observation...) occupent les 4-6 ans quarante minutes en moyenne les jours d’école et presque le double lors des congés. Pour les plus grands, ces chiffres passent à une demi-heure le mardi et le jeudi et doublent, là aussi, le mercredi.
manque de dialogue
L’étude fait également ressortir des activités qu’il ne viendrait pas spontanément à l’esprit des adultes de mentionner comme les déplacements, l’attente ou l’accompagnement des parents et qui occupent aussi une place non négligeable dans le quotidien des enfants.
En revanche, le temps imparti à la discussion entre parents et enfants est, lui, restreint puisqu’il ne dépasse pas les dix minutes par jour en moyenne. «Dans une société qui a fait de l’épanouissement des enfants, de la sociabilité et de la communication ses valeurs clés, c’est une donnée qui révèle un paradoxe frappant», commente la chercheuse.
Derrière ces grandes tendances se cachent de nombreuses disparités en fonction de l’âge, du genre ou des convictions religieuses. C’est toutefois au regard du milieu social que les discriminations sont les plus nettes, les enfants des classes populaires passant moins de temps à jouer que ceux des classes moyennes et regardant plus souvent le petit écran que ceux des classes supérieures. Phénomène qui est encore plus marqué au sein des familles étrangères et/ou nombreuses.
Et c’est dans les mêmes milieux que l’usage des jeux vidéo est le plus fréquent. Comme le montre Pelagia Casassus, le fait que leur enfant parvienne à maîtriser un ordinateur ou un jeu vidéo suscite souvent une sorte de fascination chez les parents de condition modeste qui, du coup, brident plus rarement ce genre d’activité.
«Ce passage direct du jeu symbolique au jeu virtuel est inquiétant, estime la sociologue. Un des attraits principaux du jeu pour le développement réside en effet dans la sociabilité que l’enfant peut développer à travers l’échange avec les autres. Négocier le choix du jeu, respecter les règles établies par le groupe, accepter la défaite implique en effet des efforts qui sont au centre des processus de socialisation, mais que le jeu vidéo élude.»
Afin de mieux cerner les motivations qui guident les choix parentaux et leur relation à l’enfant, Pelagia Casassus a ajouté un volet qualitatif à son travail. Cette enquête complémentaire a permis d’établir une typologie distinguant cinq types de comportement traversant les classes sociales: «l’enfant-charge», qui représente un poids pour ses parents ou qui est perçu comme tel; «l’enfant-secours», qui est sollicité pour des tâches domestiques ou autres; «l’enfant-là», qui est bien intégré à la famille et représente une certaine normalité; «l’enfant-opportunité», au travers duquel les parents cherchent à se réaliser et, enfin, «l’enfant-modèle», dont le comportement est conditionné par les valeurs religieuses, militantes ou du style général de vie de ses parents. A chacun d’y retrouver ses petits.
Vincent Monnet
«Le temps de l’enfant. Analyse sociologique des budgets-temps des enfants genevois», par Pelagia Casassus, Université de Genève, thèse 784, juillet 2012