Campus
Dossier | PlanetSolar
Coup de laser sur les embruns avec la biobox
Un appareil mis au point par les physiciens de l’Université de Genève permet d’identifier le contenu des aérosols émis par les océans. Ce phénomène joue un rôle important dans le climat de la planète mais il est encore très mal connu
Une gouttelette d’eau de mer arrachée à l’océan qui s’évapore et relâche son contenu microscopique dans l’atmosphère, cela arrive tout le temps et ce n’est sans doute pas ça qui va changer la face du monde. Mais si l’on considère ce petit phénomène à l’échelle de la Terre entière, couverte à 70 % d’eau, on obtient l’un des problèmes les plus épineux auxquels sont confrontés les climatologues. En effet, les aérosols émis par les océans exercent une influence sur le climat de la planète. Personne n’en doute mais personne ne sait exactement comment ni à quelle hauteur.
Embarqué sur le MS Tûranor PlanetSolar, le bateau solaire parti étudier le Gulf Stream, un appareil mis au point par des chercheurs de l’Université de Genève devrait aider à y voir plus clair dans ces insaisissables embruns. Baptisé Biobox, le dispositif a été initialement développé pour mesurer le pollen sur la terre ferme. Il a été adapté de façon à résister aux secousses incessantes d’un navire et à identifier les particules émises par les océans.
Des millions de particules
En y regardant de près, que ce soit sur terre ou sur mer, l’air n’est jamais vraiment pur. Chaque mètre cube de l’atmosphère contient, en moyenne, des centaines de millions de particules.
« Notre méconnaissance concernant ces aérosols, leur concentration, leur nature et leur effet, est à l’origine de la plus grande incertitude dont souffrent les modèles climatologiques actuels», précise Jean-Pierre Wolf, professeur au Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences) et responsable du projet Biobox.
En effet, dans les deux derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les modèles du « forçage radiatif » sont entachés d’une erreur importante (+/- 60 %). Et la quasi-totalité de cette incertitude est attribuée aux aérosols.
Le forçage radiatif est le bilan entre l’énergie lumineuse du Soleil reçue par le système terrestre (planète et atmosphère) et le rayonnement que la Terre émet vers l’espace. Si cette grandeur est positive, le soleil apporte plus de chaleur que la Terre ne peut en évacuer. Dans ce cas, un effet de serre excessif produit un réchauffement global, situation qui semble être celle qui prévaut aujourd’hui.
L’inverse, qui pourrait survenir en cas de couverture nuageuse très importante réfléchissant la quasi-totalité des rayons du soleil, entraînerait un refroidissement au niveau du sol. Entre les deux, c’est l’équilibre.
Qu’il s’agisse des gaz à effet de serre (CO2, méthane, oxydes d’azote, etc.), de l’ozone, de la vapeur d’eau stratosphérique, de la nature du sol (eau, terres, neige, roches, forêts…) ou encore des aérosols (nuages ou particules), de nombreux éléments entrent en ligne de compte dans le calcul du forçage radiatif.
Alors que la contribution des gaz à effet de serre est clairement positive, celle des aérosols est négative. Cela signifie que ces derniers ont, dans l’ensemble, tendance à réfléchir les rayons du soleil de manière directe, par les poussières ou autres composés chimiques, mais aussi de manière indirecte par les nuages. Les aérosols servent en effet de noyau de condensation pour la vapeur d’eau et se trouvent ainsi à l’origine de la formation des nuages. Ces derniers, surtout ceux qui flottent à très haute altitude, reflètent le soleil de manière très efficace, privant les terres situées en dessous de sa chaleur.
Il existe plusieurs sources d’aérosols. La pollution générée par les activités humaines en émet de grandes quantités, notamment par la combustion du bois, du diesel ou du mazout, l’incinération des déchets ou encore l’activité de certaines usines et des centrales thermiques au charbon. De nombreuses études au sol, dans les villes notamment, ou en ballon, permettent de quantifier de manière assez précise ce type d’émissions de particules.
Les feux de forêts, les tempêtes de sables et les volcans sont aussi des producteurs importants de particules quoique de manière plus ponctuelle. Leurs émissions, particulièrement denses, sont souvent aisées à mesurer par satellite.
Et puis, il y a les particules émises par les océans : sel, virus, bactéries, plancton ou encore les composés sulfatés. Les chercheurs ont en effet découvert, depuis peu, que les océans émettent entre un quart et un tiers des aérosols sulfatés présents dans l’atmosphère. Ces molécules, dont on pensait qu’elles étaient exclusivement produites par les volcans, la consommation d’énergie fossile et la combustion de biomasse par l’homme, sont probablement aussi générées par l’activité biologique marine.
Donnée essentielle
Le problème, pour les scientifiques, consiste à savoir à quelle hauteur ces aérosols, en particulier ceux des océans, contribuent, négativement, au forçage radiatif. Cette donnée est essentielle pour la mise au point de leurs modèles sur lesquels se basent nombre de décideurs politiques. Si l’effet est important, les prévisions climatiques (hausse de la température globale et du niveau des mers) pourraient être beaucoup moins funestes que prévu. Dans le cas contraire, c’est le scénario catastrophe qui prévaudrait.
«La quantité de particules relâchées dans l’atmosphère par mètre carré d’océan n’est pas bien grande, admet Jean-Pierre Wolf. Et même si, à l’échelle planétaire et en raison de la prédominance des mers, l’effet devient plus que significatif, la densité d’aérosols dans l’air reste localement trop faible pour être détectable précisément depuis l’espace.»
Il faut donc se rendre sur place pour se faire une idée plus précise du phénomène. Et pour ce genre d’expéditions, PlanetSolar, fonctionnant exclusivement à l’énergie solaire, est le moyen de transport idéal. Non seulement il ne contribue pas, en naviguant, à l’effet de serre que le chercheur s’applique à étudier, mais, en plus, il n’émet aucune particule dans l’air susceptible de fausser les mesures, contrairement aux navires océanographiques traditionnels propulsés avec des moteurs diesels.
L’appareil destiné à l’analyse des aérosols, la Biobox (lire ci-contre), est installé à l’intérieur du bateau, dans une des cabines de l’avant. Un tuyau relié à l’extérieur via le système d’aération permet d’aspirer de l’air pour les besoins de la mesure. Cette dernière est réalisée à l’aide de lasers et de détecteurs dont le résultat permet de reconnaître la taille des particules contenues dans l’échantillon de gaz et, surtout, de se faire une idée de leur composition chimique. Cette information est essentielle pour distinguer les aérosols de même grandeur mais de nature différente.
L’instrument ne fonctionne toutefois que pour les particules mesurant entre 1 et 100 micromètres. Les chercheurs se borneront à mesurer la taille des aérosols plus petits et à les compter à l’aide d’un autre appareil plus classique trouvé dans le commerce.
«Le premier objectif est de quantifier et d’identifier la nature des aérosols émis par les océans, précise Jean-Pierre Wolf. Mieux on connaît ce paramètre, plus on pourra réduire les incertitudes dont souffrent les modèles climatiques. Ensuite, nous tenterons de tisser des liens entre le taux d’émission de ces aérosols et ce qui se passe dans la colonne d’eau en dessous : température, salinité, intensité et profondeur de l’activité biologique. Il est prévu de mesurer ces paramètres presque en continu en surface et deux fois par jour jusqu’à 250 m de profondeur (lire en page 26).»
En naviguant en bordure du Gulf Stream, là où se rejoignent des courants d’origine différente, ainsi que sur la zone où ce même Gulf Stream, devenu froid, est censé plonger dans les profondeurs océaniques (au nord de l’Islande), les chercheurs rencontreront des conditions physico-chimiques suffisamment variées. «Afin de suivre les éventuels changements dans le temps, note Jean-Pierre Wolf, l’idéal serait, bien entendu, de pouvoir répéter régulièrement les mêmes mesures à l’avenir.»
une boîte à bien «Plair»Météosuisse cherche à automatiser son système de détection des pollens et des spores. Il était temps : la technique actuelle consiste à exposer à l’air un ruban adhésif, à attendre un laps de temps précis avant d’observer et de compter les particules qui y sont collées. Parmi les différentes options envisagées par le service météorologique et climatologique national pour se moderniser se trouve la Biobox, mise au point par des chercheurs du Groupe de physique appliquée (GAP). «Cet appareil aspire de l’air qu’il souffle ensuite sous la forme d’un jet étroit dans une petite chambre, explique Denis Kiselev, assistant au GAP qui a terminé sa thèse sur la conception de la Biobox. Le jet passe exactement au point de croisement de deux rayons laser rouge. Si une particule passe par là, elle diffuse cette lumière. Deux détecteurs permettent ensuite de mesurer cette diffusion et son intensité, ce qui permet de déduire la taille de l’impureté.» Dès qu’une particule est détectée, elle est bombardée par un autre laser, émettant de la lumière ultraviolette. Elle absorbe alors les UV et réémet immédiatement de la lumière visible : c’est la fluorescence. Un autre détecteur analyse ce signal et en tire un spectre qui fournit une idée de la composition chimique de chaque particule. Cette information est essentielle dans le cas, fréquent, où l’on veut faire la différence entre des pollens d’espèces différentes mais dont la taille est identique. La Biobox embarquée sur le MS Tûranor PlanetSolar fonctionne sur le même principe. Très compacte, de la taille d’un carton de bananes, elle a été adaptée à la détection des aérosols marins : bactéries ou planctons, bref, tout ce qui mesure plus d’un micron et qui émet de la fluorescence. Autre avantage, surtout par rapport à la technique du ruban adhésif également en vogue en océanographie : la Biobox, reliée à un ordinateur, fonctionne en continu. Les perspectives commerciales intéressantes de l’appareil ont convaincu Denis Kiselev, Jean-Pierre Wolf, professeur au GAP, et Svetlana Afonina, étudiante, de fonder une start-up. Baptisée Plair, celle-ci devrait voir le jour cette année encore. L’équipe a d’ores et déjà marqué un bon point en parvenant en finale du concours suisse Venture 2012 organisé par McKinsey qui prime les 20 meilleurs business plan qui lui sont soumis. Dans un premier temps, le succès de Plair dépendra beaucoup de la décision de Météosuisse puisque l’agence souhaite moderniser toutes les stations météorologiques du pays. La Biobox n’est pas seule sur les rangs mais ce qui est sûr, c’est qu’elle aura un avantage certain sur ses concurrents puisqu’elle aura passé un sacré test en se faisant balloter à bord d’un navire durant trois mois. |