Campus n°114

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Dossier | Santé globale

Nouveaux virus: le coût du silence

Face aux risques épidémiques auxquels le monde est de plus en plus régulièrement confronté, la surveillance des frontières ne suffit pas. Faire face à cette menace exige de repenser la gouvernance et de modifier le comportement des pouvoirs publics

Dans un monde où 160 personnes montent dans un avion à chaque seconde, la lutte contre les nouveaux agents pathogènes suppose non seulement une veille scrupuleuse, mais aussi une collaboration internationale efficace. Or, si sur le premier point de nombreux progrès ont été accomplis, essentiellement sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il reste encore beaucoup à faire pour responsabiliser les Etats. En témoigne l’histoire de deux crises récentes : celle du SRAS et celle du Middle East corona virus. Explications avec Didier Pittet, professeur à la Faculté de médecine, responsable du service de prévention des infections aux HUG et directeur du Centre de collaboration de l’OMS pour la sécurité des patients.

12 mars 2003 : l’OMS lance une alerte mondiale suite à la propagation extrêmement rapide d’un nouveau virus appartenant à la famille des corona depuis Hong Kong. Cet agent pathogène, présent habituellement chez les rongeurs, les oiseaux ou les chauves-souris, entraîne des infections respiratoires aiguës (d’où son nom de syndrome respiratoire aigu sévère ou SRAS) et une forte mortalité. En quelques semaines, ce mal mystérieux est identifié à Singapour, à Hanoï et à Toronto, puis dans le reste du monde. Alors que la psychose s’installe en Asie, on passe de 800 cas au début de la crise à 8000 en juillet 2003, avec un bilan de 774 décès.

Le secret du Guandong « Le taux de mortalité est resté élevé jusqu’à ce que le virus soit identifié, ce qui a été fait relativement rapidement, explique Didier Pittet. Le drame, c’est qu’entre-temps les patients ont continué à arriver dans les hôpitaux où ils ont infecté des infirmières ou des médecins, ce qui a contribué à renforcer encore le traumatisme. » Finalement pour juguler la pandémie, les aéroports tels que ceux de Hong Kong et de Singapour sont fermés au prix de pertes économiques considérables.

Certaines des victimes du SRAS auraient sans doute pu être évitées. D’une part, si le port du masque et le lavage des mains avaient été systématiques. De l’autre, si les autorités chinoises avaient pris plus rapidement des mesures de sécurité strictes comme la mise en quarantaine des cas probables et la diffusion d’informations adéquates à la population.

« Le problème, c’est qu’au départ, les Chinois n’ont rien dit, poursuit Didier Pittet. On savait que le virus s’était propagé à travers le monde depuis une chambre du 9e étage de l’hôtel Métropole de Hong Kong mais on ignorait qu’il existait un réservoir de la maladie dans la Province du Guandong. L’aspect positif, c’est que cette crise a transformé le contrôle des infections sur le plan mondial. »

La mise en place par l’OMS de règles internationales pour la veille sanitaire ainsi que la publication de guidelines en cas d’épidémie, si utiles soient-elles, n’ont pourtant pas suffi à éviter qu’un scénario similaire se reproduise au moment de l’apparition d’un nouveau coronavirus, depuis rebaptisé Middle East respiratory syndrome coronavirus (MERS-CoV), en 2012. Un nouveau venu également responsable de troubles respiratoires aigus et affichant un taux de mortalité dépassant 50 %.

A la recherche du temps perdu Si cette crise a globalement été mieux gérée, les premiers pays concernés, dont l’Arabie saoudite, n’ont une fois encore pas joué la carte de la transparence, redoutant sans doute légitimement des retombées négatives en termes d’images, en particulier dans la perspective du proche pèlerinage à La Mecque. « Nous nous sommes retrouvés dans la même situation que dix ans auparavant, explique Didier Pittet. Confrontés à un nouveau virus dont on a longtemps ignoré l’épidémiologie. Pour connaître la vérité, il a fallu qu’une délégation de l’OMS se rende sur place pour enquêter. Nous avons donc perdu beaucoup de temps alors même que dans ce genre de situation il faut pouvoir disposer de la meilleure intelligence sur place dans les plus brefs délais, ce qui ne peut évidemment pas se faire si personne ne vous dit ce qui se passe. »

Afin d’éviter que les mêmes causes ne produisent indéfiniment les mêmes effets, il est essentiel, selon Didier Pittet, que l’OMS continue à produire des documents de référence, à édicter des règles minimales et à concevoir des marches à suivre. Mais cela ne sera sans doute pas suffisant.

« L’OMS a certes son mot à dire en termes de santé publique internationale, mais il ne faut pas perdre de vue que cette institution reflète les positions des pays qui la composent et surtout qu’elle ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte », explique le médecin. D’où l’idée d’une sorte de gouvernement mondial, dont les modalités restent à définir, qui permettrait également de faire face aux autres défis posés par la santé au XXIe siècle tels le développement des maladies chroniques dans les pays émergents, les enjeux liés à la démographie et à la nutrition, le changement climatique, la mondialisation de l’économie…