Campus n°114

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Extra-muros | L'Afrique de l'Ouest

Au cœur de l’empire du Mali, eldorado du Moyen-Age

Le conflit qui touche le Mali a poussé les archéologues de l’Université à transférer leurs activités du pays Dogon au Sénégal, dans la vallée de la Falémé. Cette région riche en vestiges historiques et préhistoriques est encore très mal connue

L’Université de Genève possède trois bases de recherche archéologique au cœur du pays Dogon, au Mali. Mais elle n’y a plus accès depuis bientôt deux ans. La faute en incombe aux groupes islamistes rebelles. Après avoir envahi le nord du pays, ceux-ci, au plus fort de leur avancée, se sont approchés à moins de 90 km de Dimmbal, Yawa et Gologou, les trois villages abritant les stations scientifiques, entraînant l’annulation de la mission de fouille de 2012. L’opération militaire française Serval, déclenchée le 11 janvier 2013, a empêché de justesse l’occupation, voire le pillage des bases genevoises par les rebelles. Mais elle n’a pas pour autant permis le retour des scientifiques. Le risque que des Occidentaux soient pris pour cible dans des attentats ou des enlèvements demeure en effet toujours important.

Un coup rude Pour Eric Huysecom, professeur au Laboratoire archéologie et peuplement de l’Afrique (Unité d’archéologie, Faculté des sciences) et responsable des trois bases genevoises, le coup est rude. D’une part parce que, selon lui, la situation ne risque pas de changer avant plusieurs années. Et de l’autre parce que ses activités au pays Dogon se sont arrêtées alors que son équipe venait d’entreprendre la fouille étendue d’un tell – un habitat construit en terre crue et que les intempéries et l’érosion ont transformé en une butte artificielle – occupé du VIIIe au XIIIe siècle.

Les promesses du Sénégal Tout n’est cependant pas perdu. Sentant le vent mauvais qui commençait à souffler sur le Mali, l’archéologue genevois a en effet mené dès 2011 des prospections préliminaires au Sénégal et déniché des sites très prometteurs, juste de l’autre côté de la frontière, au cœur de la région aurifère qui a enrichi, au Moyen Age, les célèbres empires du Ghana et du Mali.

« Dès que j’ai compris que nous ne pouvions plus retourner au Mali, j’ai demandé à basculer vers le Sénégal toutes mes activités, ainsi que celles des équipes des universités étrangères associées au projet, précise Eric Huysecom. J’ai heureusement obtenu le feu vert du Fonds national suisse pour la recherche scientifique, mon principal bailleur de fonds. Tout s’est décidé en accord avec les autorités maliennes et sénégalaises. »

Le Mali étant fermé aux chercheurs étrangers, ce sont les villageois du pays Dogon qui se sont chargés du déménagement. Ils ont pour cela loué six véhicules tout-terrain, type pick-up, qu’ils ont chargés au maximum avec le matériel entreposé dans les bases. Le convoi a traversé le sud du Mali sans histoires, si ce n’est celle d’un carottier à percussion. Démonté et rangé dans une belle caisse, cet appareil servant à réaliser des forages manuels ressemble à s’y méprendre à une sorte de lance-missiles, éveillant immanquablement les soupçons des soldats d’un pays en état de guerre. Malgré les papiers en règle et les ordres de mission, il a fallu six jours pour lui faire passer les barrages militaires et l’acheminer jusqu’au Sénégal.

Effets personnels Les trois bases maliennes n’ont pas été totalement vidées. Il y reste encore des théodolites, du matériel de fouille, des panneaux solaires, un générateur électrique, un peu d’argent en liquide dans un coffre-fort, des ordinateurs, et les vêtements et autres effets personnels des chercheurs.

« Nous étions bien installés, là-bas, regrette Eric Huysecom. Nous avions investi beaucoup d’énergie pour bâtir ou réaménager ces trois bases en dur. Celle de Yawa est un ancien poste d’observation militaire français, situé au sommet d’une falaise de 150 mètres de haut, que nous avons restauré et aménagé. La plus grande, à Dimmbal comprend un bâtiment avec 16 chambres, un jardin potager, un bassin d’eau, un parking, un magasin, l’électricité solaire, etc. J’y allais de temps en temps en dehors des missions pour rédiger mes articles scientifiques. J’étais sûr d’avoir la paix. »

En attendant que la situation se décante un jour, les bases continuent d’être surveillées et entretenues par des gardiens dont le salaire est toujours payé par l’Université de Genève. La confiance est totale. Il faut dire que cela fait vingt ans que les Genevois viennent retourner la terre du pays Dogon, à la tête d’un partenariat qui regroupe aujourd’hui une trentaine de chercheurs issus d’une quinzaine d’universités européennes et africaines. De nombreux liens, humains et institutionnels, ont eu le temps de se tisser.

Parallèlement au programme scientifique, l’équipe d’Eric Huysecom a en effet investi dans le développement culturel, économique et sanitaire de la région. En plus de creuser des puits pour l’eau potable, ils ont ainsi contribué à la construction d’un hôpital rural, de plusieurs écoles, d’une banque céréalière et même d’un musée et d’une banque culturelle.

Cette dernière, financée notamment par l’Office fédéral de la culture, a été mise sur pied pour contrer l’un des fléaux qui touchent les pays pauvres : le pillage des biens culturels. Les gens de la région qui possèdent une statuette ou n’importe quelle pièce ayant une valeur ethnographique peuvent ainsi la déposer dans cette banque culturelle en échange d’un prêt en espèces. L’objet est alors décrit, catalogué et éventuellement exposé dans le musée. L’avantage de cette stratégie est que la personne touche immédiatement de l’argent, sans intermédiaires ni marchandages, contrairement à la filière des antiquaires. Et en plus, les biens culturels demeurent au pays.

C’est l’association Dimmbal.ch qui coordonne ces différents projets. Elle est présidée par Anne Mayor, chargée de cours à l’Unité d’anthropologie, qui continue d’assurer le suivi des réalisations et l’acheminement des fonds par téléphone et Internet. Au dire des autorités locales, Dimmbal.ch est d’ailleurs l’une des dernières associations occidentales à être encore actives en pays Dogon. Toutes les ONG américaines et européennes ont rappelé leurs employés expatriés et coupé les arrivées de fonds. Sur place, outre Dimmbal.ch, il ne reste plus que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le Comité international de la Croix-Rouge.

« C’est pourtant maintenant que les Maliens ont besoin d’aide, s’emporte Eric Huysecom. Les touristes ont totalement disparu. Il y en avait près de 250 000 par an avant les troubles et ils représentaient la principale source de revenu du pays Dogon. A la campagne, il n’y a plus d’argent et les gens n’ont d’autres choix pour survivre que de se remettre au troc. Les islamistes qui n’ont pas quitté le pays se sont réfugiés dans la brousse, ce qui inquiète les populations locales, notamment celle de Dimmbal qui est composée d’un tiers de musulmans, d’un tiers d’animistes et d’un tiers de chrétiens. »

Une tonne de tessons Le déplacement des activités scientifiques pour le Sénégal, rendu inévitable au vu des circonstances, a exigé beaucoup d’adaptation. Il a fallu redéfinir les programmes de recherche et d’enseignement en relations avec les universités sénégalaises sans laisser tomber celles du Mali. Un étudiant ivoirien a vu son sujet de thèse s’effondrer à cause du déménagement. Il a dû en trouver un nouveau et sera obligé de demander du temps supplémentaire pour terminer son travail. Une autre étudiante, trop avancée dans son doctorat, n’a eu d’autre choix que de faire venir au Sénégal tout le matériel qu’elle a récolté dans le pays Dogon. C’est ainsi que plus d’une tonne de tessons ont été convoyés vers le nouveau site, perdu au milieu de la brousse et démuni de toute infrastructure en dur. L’étudiante les a étudiés durant deux mois au milieu des tentes.

Le camp est planté au bord de la rivière Falémé, tout à l’est du Sénégal. Le cours d’eau est bordé de quelques villages reliés par une seule piste étroite qu’empruntent vélos et motos. La première chose à laquelle les archéologues se sont attelés a donc été l’élargissement de la voie d’accès. « Un de nos techniciens, Luis Giraldes, a recruté dix personnes, souligne Eric Huysecom. Munis de machettes, de pelles et de haches, ils ont ouvert 80 km de pistes en un mois. »

Lors de la dernière campagne, les chercheurs ont tué deux vipères du Gabon dont le venin est mortel. Des lions ont aussi visité le camp, des singes viennent boire à la rivière chaque matin et des hippopotames barbotent régulièrement dans l’eau en face des tentes. Il existe probablement aussi des crocodiles puisque des enfants d’un village ont été vus en train d’en disséquer un petit.

Phacochère à la broche L’équipe possède un fusil pour chasser. Un phacochère qui s’est approché de trop près en a fait l’amère expérience. Il a terminé à la broche. Les pêcheurs des villages voisins fournissent des poissons. Un ravitaillement plus conséquent se fait une fois tous les quinze jours dans la ville de Tambacounda, à 320 km de là.

C’est une intendante malienne qui s’occupe de la gestion de l’alimentation. Ce qui n’est pas une mince affaire puisqu’il faut nourrir une équipe de 35 personnes durant quatre mois. L’intendante vient d’ailleurs du pays Dogon tout comme une partie des cuisinières, des ouvriers et des responsables de chantier que les archéologues ont emmenés avec eux lors du déménagement. Ces travailleurs, formés en pays Dogon depuis vingt ans, sont devenus de véritables techniciens de fouille, sachant notamment établir une coupe stratigraphique d’aplomb, mettre en station une lunette de nivellement ou encore détecter le passage d’une couche archéologique à une autre.

« J’ai choisi la vallée de la Falémé, où l’eau coule toute l’année, car je voulais étudier un couloir de migration emprunté de tout temps par les populations humaines entre les zones arides du nord et celles subtropicales du sud, explique Eric Huysecom. Nous avons eu de la chance car le site que nous fouillons comporte des vestiges de toutes les périodes archéologiques, du paléolithique à l’histoire contemporaine en passant par le Néolithique et la Protohistoire. Nous avons donc pu reporter du pays Dogon à la vallée de la Falémé notre programme de recherche consacré à la compréhension du peuplement humain en Afrique de l’Ouest en relation avec les variations climatiques et environnementales. »

La vallée de la Falémé se trouve également au cœur de la région qui a vu l’émergence de l’empire du Mali au XIVe siècle. L’empereur Kankan Moussa était immensément riche grâce notamment à des mines d’or situées non loin, du côté malien de la frontière toute proche. En se rendant à La Mecque en 1324, il y dépense tellement d’or que sa réputation fait rapidement le tour du monde – arabe et occidental. Sa fortune éveillera l’appétit de nombre d’Européens qui tenteront, avec peu de succès, d’atteindre au cours des siècles suivants ce véritable Eldorado. Cette région, berceau d’un empire mythique dont on connaît l’histoire via des textes arabes et certaines cartes, n’a pourtant pratiquement jamais été étudiée au niveau archéologique.

Anton Vos

UN FORT FRANÇAIS DE 1700 AU MILIEU DU CONTINENT

Il y a quelques années, Eric Huysecom et Anne Mayor, professeur et chargée de cours à l’Unité d’archéologie (Faculté des sciences), ont réalisé une découverte surprenante dans le village de Farabana, situé tout à l’ouest du Mali: un fort militaire français. Ce sont des canons, simplement exposés sur la place du village, qui ont mis les archéologues sur la piste. La surprise vient du fait que ces canons, marqués de fleurs de lys, emblème du roi de France, et des initiales non encore identifiées HB ou XL, ne datent pas de la période coloniale mais des alentours de 1700. Une période à laquelle les Européens limitaient leur présence en Afrique à des forts côtiers. Que fait donc cet avant-poste au cœur du continent ?

« Je suis allé consulter des textes du XVIIe siècle, précise Eric Huysecom. J’ai trouvé des mentions du fait que la Compagnie des Indes françaises avait à cette époque lancé des expéditions afin d’établir un comptoir sur le trajet du trafic d’or. Des préposés de cette compagnie sont donc probablement restés là-bas, avec leurs canons dans un petit fort durant au moins deux séjours de quinze à vingt ans entre 1698 et 1758. »

Lors des prospections autour de ce fort, les archéologues ont découvert d’autres objets. Les plus étonnants sont deux boulets en pierre parfaitement calibrés (l’un de 2 livres et l’autre d’1 livre), de fabrication portugaise. Ces projectiles remontent au XVe siècle. Cela signifie donc qu’en dessous du fort français se trouve peut-être un fort portugais encore plus ancien.

Eric Huysecom avait l’intention de fouiller l’endroit au moment où les rebelles ont commencé à occuper le nord du pays. Bien que le village de Farabana soit très proche du nouveau site sénégalais étudié par les archéologues genevois, il est aujourd’hui hors de leur portée.

A.Vs