L’islamisation rampante démentie par les faits
Origine, intégration, religion, politique : une étude pionnière dresse le portrait des musulmans résidant en suisse. Il en ressort que ceux-ci sont des étrangers comme les autres
Aux yeux d’une partie de la classe politique et de certains médias, la question ne fait aucun doute: l’islam est incompatible avec la démocratie et il faut donc se prémunir d’une invasion musulmane en Suisse. Ce discours rabâché depuis plus d’une décennie est pourtant indéfendable dans la mesure où il ne correspond pas plus à l’opinion générale des Suisses qu’à la réalité des faits. C’est ce que démontre une étude menée auprès de 1000 personnes par Matteo Gianni, Marco Giugni et Noémi Michel, respectivement professeur associé, professeur et chargée de cours au Département de science politique et relations internationales (Faculté des sciences de la société). Un travail qui dévoile pour la première fois qui sont et ce que pensent les musulmans résidant en Suisse et dont les principaux résultats viennent d’être publiés dans un livre (voir PDF joint).
Premier constat: composée pour un tiers de Turcs, un tiers de Maghrébins et un tiers de ressortissants de l’ex-Yougoslavie, la population musulmane de Suisse – soit environ 440 000 personnes – s e caractérise par une très forte hétérogénéité des profils sociaux, politiques et culturels qui rend caduque toute théorie généralisatrice au sujet d’une prétendue «essence musulmane».
Deuxième leçon: le rapport de cette communauté à la religion est, lui aussi, très variable. Un quart des individus se définissant comme très religieux déclarent ainsi ne pas suivre de manière stricte les règles alimentaires prescrites par l’islam, tandis qu’à l’inverse un cinquième des musulmans se disant non religieux suivent de manière occasionnelle ou régulière le ramadan. Considérée comme relevant du domaine privé, l’appartenance religieuse figure par ailleurs après l’origine nationale lorsqu’on demande aux musulmans de définir leur identité.
Comme le relèvent les auteurs, l’auto-identification en tant que Suisse est également relativement forte, puisque les ressortissants du Maghreb et de l’ex-Yougoslavie se déclarent davantage attachés à la Suisse que l’échantillon représentatif de citoyens helvétiques participant à l’étude en tant que population témoin, alors même qu’ils n’ont ni passeport ni droit de vote.
Les données rassemblées par les chercheurs montrent, en outre, que «la thèse relative à l’existence systématique d’une influence politique des leaders religieux ou associatifs sur la «majorité silencieuse des musulmans» est pour le moins surestimée».
Autre enseignement de taille: les musulmans interrogés dans le cadre de l’étude se sentent globalement bien intégrés. Même si un tiers d’entre eux s’est dit victime de discrimination, ils jouissent en moyenne de conditions de séjour durables et stables, font confiance aux institutions, pratiquent et maîtrisent bien la langue de leur lieu de résidence et, dans une certaine mesure, disposent d’un niveau de formation similaire à celui des Suisses interrogés dans le cadre de l’étude.
A cet égard, il est à relever que les Maghrébins – qui sont le plus fréquemment associés à la figure stéréotypique du musulman «islamiste» ou «terroriste» – se distinguent des autres groupes par un niveau de maîtrise linguistique, de formation, de mixité ethnique et religieuse plus élevé. Quant à leur intérêt pour la politique nationale, là encore, il dépasse celui des Suisses.
Comme le soulignent les auteurs, les musulmans résidant dans notre pays ne semblent donc «aucunement être la source d’un «problème» d’intégration menaçant les équilibres démocratiques».
Sur le plan institutionnel, la Suisse, de son côté, a opté pour une politique qui se résume à un mot: l’ajustement. Pour obtenir un passeport à croix blanche, on attend en effet de l’étranger non seulement qu’il adhère aux principes fondamentaux de la démocratie – point qui soit dit en passant ne pose aucun problème à l’immense majorité des personnes sondées dans l’étude –, mais également qu’il renonce à ce qui fait sa différence du point de vue culturel.
Une manière de faire qui risque fort, selon les auteurs, de renvoyer Suisses et musulmans dos à dos et qui pourrait «remettre en question la cohésion sociale et la citoyenneté, fondement de la vitalité et de la légitimité des régimes démocratiques».
Et la situation n’est pas beaucoup plus encourageante au niveau individuel. Car même si une petite minorité des Suisses interrogés dans le cadre de l’étude estime effectivement que les valeurs de l’islam et le mode de vie helvétique sont incompatibles, entre 13 et 30 % déclarent tout de même qu’ils accepteraient mal d’avoir un musulman comme parent proche par alliance, ami, concitoyen, collègue de travail ou voisin. Ce sentiment xénophobe contredit l’esprit de la Loi sur les étrangers – dans laquelle il est stipulé que «l’intégration suppose, d’une part, que les étrangers sont disposés à s’intégrer», ce que semble confirmer la présente étude et, «d’autre part, que la population suisse fait preuve d’ouverture à leur égard». Il n’est par ailleurs pas sans rappeler le traitement réservé aux saisonniers dans les années 1960, lorsque certains représentants du peuple s’indignaient devant le parlement du fait que les Italiens – dont l’éthique professionnelle était alors jugée douteuse – osent chanter en travaillant.
Vincent Monnet