Les ressources minérales sont suffisantes pour des siècles
Avec cinq de ses collègues, Lluis Fontboté, professeur au Département des sciences de la Terre, fait le point sur les ressources minérales mondiales. Et les perspectives sont loin d’être alarmantes
La revue spécialisée Geochemical Perspectives, qui paraît deux fois par an, a consacré son numéro d’avril aux ressources minérales globales. Pas moins de 170 pages rédigées par six auteurs, dont Lluis Fontboté, professeur au Département des sciences de la Terre (Faculté des sciences), qui font le point sur une question de très haute importance pour la société actuelle, tant il est vrai que la consommation de cuivre, de fer, de zinc et autres matières premières minérales, déjà importante, ne cesse d’augmenter et que rien ne semble pouvoir inverser cette tendance pour les décennies à venir. Explications.
Campus : Pourquoi s’intéresser au problème des ressources minérales globales maintenant ?
Lluis Fontboté : Nous voulions combattre une idée fausse, largement répandue dans le grand public mais aussi dans la presse spécialisée, selon laquelle les ressources minérales seraient bientôt épuisées. Dans un numéro paru en 2014 de la revue Geochemical Perspectives elle-même, des chercheurs ont affirmé que de nombreux minéraux se sont raréfiés et que leur production devrait atteindre un pic dans les 50 prochaines années. Les auteurs étaient d’avis que le monde se dirigeait vers une restriction de ressources essentielles pour l’humanité et que cette restriction aurait un profond impact sur l’économie mondiale et sur le style de vie des générations futures. Il nous a paru important et urgent, à moi et mes cinq collègues issus du monde académique et industriel, de rectifier le tir et de mettre par écrit ce que l’on sait de l’état réel des ressources minérales globales, depuis la formation des gisements jusqu’à leur exploitation.
Selon vous, nous ne sommes donc pas menacés par une pénurie ?
Du point de vue géologique, une pénurie prochaine des ressources minérales est un faux problème. Ceux qui prétendent le contraire commettent en général deux erreurs. La première consiste à confondre les notions de réserves et de ressources. Les réserves représentent la quantité de minerai identifiée, mesurée et exploitable économiquement aujourd’hui ou dans un futur proche. La connaissance de cette donnée exige d’importants investissements, notamment sous la forme de forages coûteux. Les compagnies minières, qui cherchent avant tout à garantir leur rentabilité économique, ne se lancent pas dans des prospections plus larges que nécessaire. Par conséquent, la durée de vie de ces réserves est maintenue à un taux plus ou moins constant, entre vingt et quarante ans selon les métaux. Ce qui explique pourquoi on évoque, régulièrement, une pénurie qui surviendrait dans quelques décennies. Ce raisonnement est toutefois erroné, car il ne prend pas en compte la quantité totale de métaux à disposition.
C’est-à-dire les ressources…
Exactement. Et celles-ci comprennent les gisements que l’on connaît déjà – y compris ceux qui ne sont pas économiquement rentables pour le moment – mais aussi, et surtout, tous ceux dont on ignore encore l’existence. Jusqu’à présent, seuls les gisements les plus accessibles et les plus proches de la surface ont été découverts. Une grande partie de la croûte superficielle de la planète est encore peu connue car peu explorée. Par ailleurs, il est actuellement possible d’exploiter des mines jusqu’à 3000 mètres de profondeur alors que l’écrasante majorité d’entre elles s’étendent jusqu’à 100 ou 200 mètres de profondeur. Cela présente des coûts en matière de ventilation des galeries et de résistance à la pression de la roche, mais c’est faisable.
Quelle est la deuxième erreur de ceux qui craignent une pénurie ?
Elle concerne l’estimation du volume de ces ressources. De tels calculs existent dans la littérature scientifique, mais ils sont basés sur des projections à partir de gisements connus. Du coup, les estimations sont très en deçà de la réalité. Dans notre article, nous avons choisi une approche plus globale qui intègre toutes les connaissances acquises en matière de formation des gisements, d’évolution tectonique, etc. C’est à partir de ces données que nous sommes arrivés à la conclusion que pour le cuivre, par exemple, il existe des ressources exploitables pour au moins des centaines, voire des milliers d’années.
Même pour approvisionner la Chine, l’Inde ou l’Afrique ?
Oui certainement, à condition de réaliser un effort d’exploration. La Chine a connu une croissance fulgurante depuis 2000, qui a mis la production de métaux sous forte pression, ce qui a laissé le temps aux prix de s’envoler temporairement. Le choc est maintenant résorbé. Il en sera de même pour l’Inde, dont la consommation de métaux commence aussi à décoller. Cela dit, étant donné qu’il faut souvent plus d’une quinzaine d’années pour mettre en route une mine, de nouvelles crises d’approvisionnement ne sont pas exclues en cas d’augmentation rapide de la demande ou d’un défaut d’exploration.
Le recyclage n’est-il pas une solution ?
Le recyclage est très important, mais il ne pourra jamais répondre à tous les besoins. D’une part, parce qu’il y a toujours des pertes inévitables dans le processus industriel et de recyclage, pertes qu’il faut compenser par de nouvelles matières premières, même dans des sociétés comme les nôtres où la consommation de métaux se stabilise depuis quelque temps. D’autre part, on ne peut pas empêcher les pays en voie de développement de s’industrialiser, ce qui passe par une importante consommation de métaux.
Les mines ont également mauvaise presse en raison de leur impact environnemental et social…
En effet, le véritable problème n’est pas l’épuisement des ressources minérales, mais l’impact environnemental et sociétal que provoque leur exploitation. Il existe déjà des technologies qui permettent de minimiser ces impacts comme l’établissement de mines souterraines plutôt que des carrières à ciel ouvert. On arrive aussi à diminuer la production d’eaux acides, le principal polluant généré par les mines. Mais ce n’est que la recherche scientifique, à laquelle mon équipe du Département des sciences de la Terre contribue, qui permettra de poursuivre cet effort visant à diminuer au maximum les nuisances de l’industrie minière, tout en développant des connaissances permettant de découvrir de nouveaux gisements à des profondeurs toujours plus grandes. D’ailleurs, l’ouverture de nouvelles mines dans des pays comme ceux de Scandinavie ne rencontre que peu d’opposition. Les gens sont en général bien informés et font confiance à l’État pour que les exploitations préservent au mieux la nature et qu’une partie des profits revienne à la société et aux communautés locales. Malheureusement, ce n’est pas du tout le cas dans de nombreux pays en développement. En plus du problème des mines clandestines très polluantes qui prolifèrent malgré leur interdiction, la corruption entache souvent les procédures d’octroi des licences minières. L’environnement et la population locale passent alors souvent au second plan.
Propos recueillis par Anton Vos
les nouvelles frontières des mines
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