des vapeurs de fer et de titane hantent L’atmosphère de KELT-9b
Des astronomes genevois ont détecté pour la première fois du fer et du titane dans l’atmosphère d’une planète hors du système solaire. KELT-9b, dont la température de surface dépasse les 4000 degrés, se profile comme un véritable laboratoire pour l’étude de l’atmosphère des exoplanètes.
Il n’existe pas de planète moins ressemblante à la Terre que KELT-9B. Cette géante gazeuse trois fois plus massive que Jupiter est si proche de son astre que sa « surface » chauffée à blanc atteint les 4000 degrés. Dans le ciel de la partie diurne de cette exoplanète improbable, le disque majestueux et immobile de son étoile, chaude et bleutée, occupe une aire 4900 fois plus étendue que le Soleil dans le ciel de la Terre. Pour couronner le tout, l’atmosphère de KELT-9B, plus chaude que la plupart des étoiles de notre galaxie, contient également du fer et du titane, comme l’indique une étude parue le 15 août dans la revue Nature et réalisée par une équipe d’astronomes dirigée par Jens Hoeijmakers et David Ehrenreich, post-doctorant et professeur associé au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et tous deux membres du Programme de recherche national PlanetS.
Même si KELT-9B est très différente de notre planète bleue, l’identification pour la première fois de ces deux métaux représente un jalon important dans la quête d’une meilleure compréhension des atmosphères des planètes extrasolaires dans leur ensemble, y compris de celles qui auraient la taille de la Terre et qui évolueraient dans la zone dite habitable de leur étoile. Une quête qui est précisément celle de FOUR ACES (Future of Upper Atmospheric Characterisation of Exoplanets with Spectroscopy), un projet dirigé par David Ehrenreich et financé par le Conseil européen de la recherche dans le cadre du programme Horizon 2020.
« KELT-9B est un laboratoire littéralement à ciel ouvert, explique l’astronome genevois. La température y est tellement élevée que presque toutes les molécules ont été brisées en atomes – à l’exception peut-être du monoxyde de carbone qui est particulièrement résistant – ce qui rend les éléments plus facilement détectables. De plus, aucun nuage, qu’il soit de silicate ou métallique, ne peut se former dans cette chaleur, contrairement à ce qui se passe sur les autres planètes de type Jupiter, même très chaudes. Nous avons donc l’occasion assez rare d’étudier dans le détail et en profondeur la composition chimique de cette atmosphère. »
Renverser les certitudes
En d’autres termes, KELT-9B, selon David Ehrenreich, a le potentiel de fournir des informations susceptibles de contraindre encore un peu plus la théorie de la formation des planètes, voire, pourquoi pas, de renverser quelques certitudes comme l’a fait la découverte en 1995 de la première exoplanète 51PEGb. Cette dernière a en effet surpris les astronomes, qui ne s’attendaient pas du tout à trouver une géante gazeuse aussi proche de son étoile et les a obligés à revoir leur théorie et expliquer comment ce type de planètes naissent loin de l’astre et migrent ensuite jusque vers une orbite très rapprochée.
La détection de fer et de titane sur KELT-9B – une possibilité par ailleurs prédite théoriquement par une équipe de l’Université de Berne, également membre de PlanetS – a été réalisée à l’aide de HARPS-Nord, un spectrographe construit à Genève et installé sur le Telescopio Nazionale Galileo à La Palma, aux Canaries. L’appareil a récolté des données lors du passage de la planète devant son étoile (transit) permettant à une petite partie de la lumière de l’astre de traverser et d’être filtrée par l’atmosphère de son compagnon.
En raison de la faiblesse du signal mesuré, les chercheurs ont dû recourir à une technique de détection plus élaborée que d’habitude, appelée la corrélation croisée, qui opère une sorte de moyenne entre toutes les « raies » d’absorption du fer (et du titane), beaucoup plus visible que chacune d’entre elles prises séparément.
Dans la foulée de cette première publication, une deuxième campagne de mesures a été réalisée cet été dont les résultats doivent encore être analysés et que David Ehrenreich attend avec impatience. Cette fois-ci, la recherche ne se borne pas aux deux éléments métalliques mais s’étend à de nombreux autres.
« KELT-9B est, de toutes les planètes connues, celle qui subit l’irradiation la plus intense de son étoile, et de loin, note-t-il. Dans de telles conditions, elle devrait normalement s’évaporer intégralement. Il semblerait toutefois que la masse de KELT-9B soit suffisante pour qu’elle survive. »
« Désert d’évaporation »
La découverte et les premiers résultats obtenus grâce à l’étude de cette planète hors du commun pourraient aider David Ehrenreich dans un autre de ses projets, à savoir l’exploration du « Désert d’évaporation ». Il s’agit d’une catégorie de planètes qui, tout comme KELT-9B, ne devraient pas exister, justement parce que l’irradiation reçue de leur étoile est très intense et que leur densité et leur masse sont insuffisantes pour résister à une évaporation intégrale. Malgré cela, huit candidats (dont KELT-9B) évoluant dans des conditions dantesques ont déjà été repérés.
Une première demande de temps d’observation de ces planètes et de leur atmosphère avec le télescope spatial Hubble ayant été refusée l’année dernière, David Ehrenreich compte désormais sur le succès obtenu avec KELT-9B pour obtenir gain de cause cette fois-ci.
« Nous savons que les planètes soumises à de fortes irradiations perdent une partie de leur atmosphère dans l’espace, précise David Ehrenreich. Cela a pour effet d’étendre énormément les couches supérieures, ce qui les rend plus faciles à étudier. L’idée de FOUR ACES consiste à profiter de cet effet de loupe pour sonder les couches plus basses. Lorsque nous serons en mesure de détecter de l’hydrogène s’échappant d’une planète similaire à la Terre, cela trahira la présence d’eau à sa surface. »
Neptune tiède
En attendant, les chercheurs doivent se contenter des atmosphères mesurables qui sont celles des géantes gazeuses très proches de leur étoile comme KELT-9B et de certains cas spéciaux. L’un d’eux concerne GJ436b (aussi connue sous le nom de Gliese 436b). Cette « Neptune tiède » perd son hydrogène sous la forme d’un panache gigantesque qui la fait ressembler à une comète.
Cette particularité, découverte en 2015 par David Ehrenreich et ses collègues et qui a motivé le lancement de FOUR ACES, est d’abord apparue comme un paradoxe, car GJ436b est située assez loin de son étoile, une naine rouge, et ne subit pas un rayonnement suffisant pour provoquer un tel phénomène.
Quoi qu’il en soit, cette évaporation massive pourrait expliquer la disparition des atmosphères observée sur des exoplanètes rocheuses qui tournent tout près de leur étoile et qui pourraient avoir été des Neptune chaudes avant de finir en « super-Terre ».
Ce type d’observations est également prometteur pour la recherche de planètes habitables, car ces émissions d’hydrogène pourraient provenir de l’eau d’océans en train de s’évaporer sur des planètes terrestres légèrement plus chaudes que la Terre.
Anton Vos