Campus n°139

« On peut faire du profit tout en respectant les droits humains »

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Première structure du genre dans une école de commerce européenne, le « Geneva CentER for Business and Human Rights » a été inauguré le 25 novembre dernier.

Alors que la Suisse semble incapable de prendre position sur la question – le Conseil des États venant de demander « davantage de temps pour examiner cet objet » – des pays comme la France, l’Australie, le Canada, la Grande-Bretagne ou encore les États-Unis se sont récemment dotés de mécanismes légaux visant à responsabiliser les entreprises en cas de non-respect des normes internationales en matière d’environnement ou de violation des droits humains. Traduire ces bonnes résolutions en actes n’est cependant pas chose aisée. Définir les objectifs à atteindre pour les entreprises, évaluer l’efficacité réelle des mesures prises jusqu’ici, développer des solutions innovantes pour favoriser le respect des droits fondamentaux dans le monde du travail, c’est précisément la mission que s’est fixée le Geneva Center for Business and Human Rights. Entretien avec sa directrice, Dorothée Baumann-Pauly, professeure titulaire à la Faculté d’économie et de management, à la veille de l’inauguration de cette structure pour l’instant unique à l’échelle des écoles de commerce européennes.


Campus : Qu’est-ce qui fait la spécificité du « Geneva Center for Business and Human Rights » ?

Dorothée Baumann-Pauly : L’approche retenue par la plupart des universitaires dans le domaine des relations entre droits humains et entreprises est de type juridique et tend pour l’essentiel à produire des documents théoriques. Notre démarche vise au contraire à coller aux préoccupations des acteurs du monde économique et à leur apporter des réponses susceptibles d’être utilisées dans leur pratique quotidienne. En d’autres termes, il s’agit de leur prouver qu’on peut faire du profit tout en restant humain et que cela n’est pas si difficile à mettre en place.


Le fait d’être basé à Genève constitue-t-il un atout à vos yeux ?

Genève est la capitale des droits humains. Le fait d’être basé dans cette ville est donc une chance énorme pour notre centre qui bénéficiera d’un environnement extrêmement riche en organisations dont l’activité est centrée sur les droits humains. À nous de tirer profit de ces nombreux contacts pour répondre au mieux aux besoins des entreprises pour tous les aspects relatifs aux droits humains.


Concrètement, sur quels types de problématiques allez-vous travailler ?

Un des premiers projets que nous avons lancés porte sur l’approvisionnement responsable en cobalt dans le commerce des matières premières. On trouve aujourd’hui du cobalt aussi bien dans les téléphones et les ordinateurs que dans les batteries au lithium ou dans les véhicules électriques. Or, 65% de la production mondiale de cette matière vient du Congo, un pays dans lequel faire des affaires de manière responsable constitue un vrai défi.


Comment inciter les entreprises à se montrer plus respectueuses des droits humains ?

La plupart des entreprises accordent aujourd’hui une grande attention au respect des droits humains car elles sont conscientes des risques qu’elles prennent en cas de violation flagrante. Risques qui touchent non seulement leur réputation mais aussi certains aspects opérationnels. Par ailleurs, le fait de respecter les droits humains offre aussi des opportunités. Si vous vous souciez des conditions de travail de vos ouvriers, ceux-ci resteront en effet plus longtemps à leur poste. Ils développeront donc leurs compétences et la qualité de la production n’en sera que meilleure.


Ce type de modèle « gagnant-gagnant » a-t-il déjà été expérimenté sur le terrain ?

J’ai beaucoup travaillé sur l’industrie de la mode qui jouissait d’une assez mauvaise réputation du point de vue du respect des droits humains. Dans ce secteur, on voit aujourd’hui émerger de nouveaux modèles basés sur des partenariats stratégiques entre les grandes chaînes de distribution et leurs fournisseurs, les premiers s’engageant à travailler dans la durée en échange de garanties sur le respect des droits humains de la part des seconds.  


Qu’en est-il en Chine, pays qui est une immense puissance économique mais où les droits humains peinent à être reconnus ?

Afin de faire respecter la liberté d’association, droit fondamental qui n’existe pas en Chine, certaines multinationales ont constitué un lobby pour faire pression sur le gouvernement chinois. Pour permettre à leurs ouvriers d’avoir voix au chapitre sans pour autant contrevenir à la réglementation locale, il a finalement été décidé de mettre en place des comités d’ouvriers chargés d’assurer le dialogue avec les responsables de l’entreprise. C’est la preuve que même dans un pays qui n’est pas démocratique, il est possible de faire avancer les choses, moyennant de la bonne volonté et un peu d’imagination.