« PlanetS », Une émanation de l'« équipe de Genève »
Lancé en 2014, le Pôle national de recherche dédié à l’étude des exoplanètes occupe une place centrale dans le paysage européen. Ses responsables préparent déjà la fin du financement fédéral, en 2024 ou 2026, et la création d’un Institut suisse pour les sciences planétaires.
« La découverte de 51 Peg b, et par anticipation le prix Nobel de physique qui lui est désormais associé, est l’élément fondateur du Pôle de recherche national PlanetS, démarre Stéphane Udry, professeur au Département d’astronomie (Faculté des sciences) et codirecteur de PlanetS. Codirigé par les Universités de Genève et de Berne et focalisé sur l’étude des planètes dans notre système solaire et autour d’autres étoiles, ce pôle existe non seulement parce que les Genevois Michel Mayor et Didier Queloz ont été les premiers à avoir découvert une exoplanète en 1995 mais aussi parce que les équipes basées à Genève, à Berne et à Zurich ont ensuite réussi à développer des compétences de pointe qui sont complémentaires et cohérentes, plutôt que concurrentes, ce qui a permis de couvrir l’ensemble du domaine de recherche sur les exoplanètes. »
PlanetS est une histoire de famille. Son directeur, Willy Benz, professeur à l’Institut de physique d’UNIBE, est en effet le premier doctorant de Michel Mayor et fait donc virtuellement partie de ce que l’on appelle dans la communauté l’« équipe de Genève ». Il en va d’ailleurs de même pour les dizaines de chercheurs qui sont passés ces vingt-cinq dernières années par le groupe « exoplanètes » du Département d’astronomie et qui sont entre-temps repartis sous d’autres cieux. Tous gardent des liens professionnels et sentimentaux avec l’Observatoire de Genève, tissant ainsi un réseau unique de collaborations à travers toute l’Europe.
Partage des tâches
C’est peu dire que la découverte initiale de 1995 bouleverse la communauté encore modeste des chasseurs de planètes. Elle crée un élan qui ne fait que s’intensifier avec la multiplication des détections qui suivent. Les dix premières années d’exploration révèlent rapidement une grande diversité de systèmes planétaires.
« Comme nous étions pionniers dans le domaine et que nous disposions de moyens observationnels puissants (lire l'article), nous occupions naturellement une place centrale en Europe, analyse Stéphane Udry. Le tronc de notre recherche a toujours été la récolte du plus grand nombre de candidats, c’est-à-dire d’exoplanètes potentielles. Par conséquent, chaque groupe qui se lançait dans le domaine se tournait vers nous. »
La Suisse étant petite, les chasseurs de planètes helvétiques prennent soin dès le départ de constituer des groupes complémentaires. À Genève, la détection et le développement d’instruments de mesure. À Berne, les modèles théoriques de formation des systèmes planétaires, pour ne prendre que les deux institutions les plus engagées sur ce terrain.
Résultat, au milieu des années 2000, tous les ingrédients sont présents pour répondre efficacement aux appels à projet du Fonds national pour la recherche scientifique (FNS) permettant d’accéder aux Pôles nationaux de recherche (PNR), à savoir les programmes scientifiques les plus ambitieux du pays.
Pour agrandir leur consortium, ce qui est une des exigences des PNR, les promoteurs du futur PlanetS s’adressent à l’École polytechnique fédérale et à l’Université de Zurich. La première compte un spécialiste des disques protoplanétaires et la seconde dispose de compétences indispensables dans l’informatique appliquée au domaine des exoplanètes.
« Il a quand même fallu trois tentatives avant qu’on obtienne le sésame », déplore Stéphane Udry. L’échec de la première est dû à un projet jugé irréaliste par le FNS, à savoir le développement d’une approche basée sur l’interférométrie au sol et dans l’espace pour l’étude des exoplanètes. Censée être capable de distinguer directement la planète de l’étoile et même mesurer des traces d’éléments chimiques dans l’atmosphère planétaire, cette technologie fait alors l’objet de nombreux projets internationaux aussi bien terrestres que spatiaux. Elle n’en est toutefois qu’à ses débuts et paraît, en ces temps-là, trop difficile à réaliser.
Pour la deuxième tentative, les astronomes incluent dans leur projet une étude de faisabilité pour un satellite de fabrication suisse muni d’un instrument mesurant les transits des planètes devant leur étoile. Ce sera CHEOPS, dont le lancement est prévu en décembre de cette année.
« Le nombre de planètes ne cessait d’augmenter, se rappelle Stéphane Udry. Il nous fallait un moyen de confirmer leur nature de planète et, surtout, de les caractériser avec le plus de précision possible. »
Alors que leur projet est sélectionné parmi les 13 derniers (sur dix places disponibles), il n’est finalement pas retenu par le FNS en 2010. Reconnaissant cependant la valeur stratégique du projet spatial, le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation décide de financer l’étude de faisabilité du satellite avec l’aide de Ruag, une entreprise suisse active dans l’aérospatiale et la défense.
C’est alors que les choses s’emballent un peu. L’étude de faisabilité se termine en effet au moment même où le FNS lance un nouvel appel à projet pour les Pôles de recherche nationaux. L’Agence spatiale européenne (ESA) choisit la même période pour lancer les toutes nouvelles missions S (pour small) dans son programme Cosmis Vision, c’est-à-dire des missions spatiales plus petites, au budget limité à 150 millions de francs et bénéficiant d’un développement très rapide. Une catégorie dans laquelle entrerait parfaitement CHEOPS.
« Nous avons finalement tout obtenu, se réjouit Stéphane Udry. En juin 2014, le PNR PlanetS a officiellement débuté. CHEOPS a été choisi par l’ESA, parmi plus de 50 propositions, et sera, dans quelques jours, la première mission S à être lancée. » L’exploitation scientifique de CHEOPS, quant à elle, est assurée au niveau suisse par le PNR PlanetS.
Dotée d’un budget de 16,6 millions de francs pour quatre ans, la première phase du PNR s’est terminée en 2018, laissant la place à la deuxième qui s’étend de 2018 à 2022. Avec un financement en légère hausse, cette dernière compte 24 projets de recherche, regroupés en trois domaines principaux : les premières étapes de la formation des systèmes planétaires; l’architecture, la formation et l’évolution des systèmes planétaires; l’atmosphère, la surface et l’intérieur des planètes extrasolaires. Un quatrième domaine a été créé, comme bonus. Il s’agit de « Frontières de l’habitabilité », c’est-à-dire le domaine le plus populaire des exoplanètes et voué à la détection de la vie ailleurs que sur Terre.
Le Pôle PlanetS est traversé horizontalement par des plateformes habituelles aux PNR que sont la communication, les transferts de technologie et les aspects académiques de formation et de promotion de carrière (notamment des jeunes et des femmes). PlanetS compte aussi deux plateformes qui lui sont propres, à savoir Cheops, qui rassemble des postes scientifiques pour l’exploitation des données du satellite, et DACE (Data and Analysis Center for Exoplanets), une plateforme d’échange et de visualisation des données pour les exoplanètes.
Poids politique Le succès de PlanetS est mesurable non seulement par le nombre de découvertes et de publications mais aussi par son poids politique. « Grâce à PlanetS, les astronomes suisses actifs dans ce secteur parlent d’une seule voix et ont une vision claire des objectifs à atteindre dans leur branche, commente Stéphane Udry. Au niveau de l’ESA et de l’ESO (Observatoire européen austral), nous participons aux discussions sur le futur télescope européen géant de 40 mètres (actuellement en construction dans les Andes chiliennes) ainsi que sur des projets prometteurs dans l’espace. »
Après 2022, le PNR peut encore vivre une troisième phase, d’une durée de deux à quatre ans. Il est prévu qu’elle serve de test en grandeur nature pour la mise en place du futur Institut suisse pour les sciences planétaires (SIPS pour Swiss Institute for Planetary Sciences) qui devra remplacer PlanetS lorsque la manne fédérale se tarira.
« L’idée consiste à organiser une structure qui puisse survivre à la fin du PNR, explique Stéphane Udry. Nous allons par exemple conserver certaines plateformes, grâce à la pérennisation des postes obtenus dans le cadre du PNR, tant au niveau scientifique que technique. Nous prévoyons de mettre en place une formation de base commune ainsi qu’un diplôme reconnu par l’ensemble des institutions participant au SIPS. L’institut pourra grandir à l’avenir, incluant peut-être le volet biologique que nous avons volontairement laissé de côté jusqu’à présent. »
Une structure pérenne
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