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L’Europe, si loin si proche
Le 26 novembre dernier, le peuple acceptait le «milliard de cohésion» pour les pays de l’Est. Positif, ce geste ne signifie pas pour autant que le pays est prêt à embrasser la cause communautaire. C’est ce qu’explique René Schwok, titulaire de la chaire Jean Monnet à l’Institut européen et enseignant au sein du Département de science politique, dans cet ouvrage. L’auteur y dresse l’inventaire des barrières, réelles ou supposées, qui font que depuis soixante ans la Suisse est le seul pays européen d’importance refusant de manière constante l’idée d’une adhésion. Cette position unique, qui reste une énigme pour la plupart des observateurs, repose selon René Schwok, sur un faisceau de réticences qui se renforcent les unes les autres. Les autorités fédérales ont ainsi longtemps estimé que le pays, dont l’existence repose uniquement sur une volonté politique, risquerait de se dissoudre dans une Europe supranationale. La Seconde Guerre mondiale, dont la Suisse est sortie beaucoup plus riche que ses voisins, a par ailleurs renforcé l’idée selon laquelle le modèle helvétique était le bon et qu’il n’y avait pas lieu d’en changer. De même pour la neutralité. De nombreux citoyens suisses sont en outre convaincus que le fédéralisme et la démocratie directe sont incompatibles avec une adhésion, même si l’assertion est abusive. Enfin, une importante portion de l’opinion continue de penser que le fait de rejoindre l’UE aurait des conséquences économiques négatives, ce qui, là-encore, est loin d’être une évidence. VM
«Suisse-Union européenne. L’adhésion impossible?», par René Schwok, Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. «Le savoir suisse» n°35, 142 p.
Comment soigner les détenus?
Soulager la souffrance dans un lieu de peine. Ce n’est pas la tâche la plus aisée à remplir du point de vue pratique, juridique et même déontologique. Plus de 40 spécialistes internationaux, dont beaucoup de membres de l’Université de Genève, ont contribué à un ouvrage traitant de ce sujet pour le moins délicat: l’exercice de la médecine en milieu pénitentiaire. N’y a-t-il pas une contradiction fondamentale entre la fonction d’une prison (punir) et celle du médecin (soigner)? Les auteurs passent en revue tous les aspects du problème, en commençant par une présentation du droit à la santé des prisonniers. Les recommandations, directives et textes les plus importants sur la questions (ceux des Nations unies, de l’Organisation mondiale de la santé, du Conseil de l’Europe, etc.) sont discutés avant l’évocation des particularités de la médecine pénitentiaire. La préface du livre a été confiée à Robert Badinter, sénateur, ancien ministre d’Etat et artisan de l’abolition de la peine de mort en France. Il y rappelle notamment que le prisonnier a le droit à la même médecine que les autres citoyens. L’accès à un médecin, l’équivalence des soins, le consentement du malade, le secret professionnel sont des principes inaliénables. A.Vs
«Médecine, santé et prison», sous la direction de Dominique Bertrand et Gérard Niveau, Ed. Médecine&Hygiène, 2006, 473 p
Quand le sacré civilisait les hommes
Qu’est-ce qu’un mythe? Un récit ancré dans sa langue originelle et, quand il émane du monde grec antique, un phénomène religieux, répond Jean Rudhardt. Cet helléniste et historien des religions aujourd’hui disparu a renouvelé la lecture mythologique par ses investigations. Philippe Borgeaud et Vinciane Pirenne-Delforge font aujourd’hui connaître quelquesunes de ses enquêtes inédites: le chercheur y questionne la légitimité du pouvoir – divin et politique –, les fonctions spécifiques des déesses et des cultes qu’on leur rendait, ou encore le statut paradoxal des dieux, ces immortels qui viennent au monde comme les êtres humains, et qui, parfois, vivent comme eux une enfance. La réflexion de Rudhardt met en balance le phénomène mythique avec la foi des Grecs. Car les divinités de l’Hellade, soumises aux vicissitudes de l’existence, aux affres de la douleur physique, engagées dans des luttes fratricides, racontent l’être humain, ses pulsions, ses aspirations. Rudhardt délie le «cursus» des dieux grecs et nous montre l’étrangeté d’une piété qui vénérait l’apparition de la parole première – au sanctuaire de Dodone –, les capacités à pacifier – celles d’Athéna, en l’occurrence –, ou une féminité revendicatrice de plus de souplesse dans l’exercice du pouvoir – Déméter, quand elle obtient de Zeus le droit de partager sa fille avec le monde des morts. SD
«Les Dieux, le féminin, le pouvoir, enquêtes d’un historien des religions», par Jean Rudhardt, Edition commentée par Philippe Borgeaud et Vinciane Pirenne- Delforge, Ed. Labor et Fides 2006, 180 p.