Dossier/pédagogie
Plus l’école est efficace, plus elle est équitable
Les études internationales ont montré que l’écart entre les élèves les plus forts et les plus faibles diminue si l’efficacité de l’enseignement augmente. Mais celle-ci ne dépend pas que de la qualité des cours
Classes hétérogènes ou pas, les enfants issus de milieux favorisés ont en moyenne toujours plus de chances d’accéder aux études supérieures que les autres. Une réalité qui se retrouve partout et de tout temps. En revanche, ce qui varie d’un pays à l’autre, comme le montrent d’ailleurs les études PISA (lire ci-contre), c’est la profondeur du fossé qui sépare ces deux mondes. «Nous remarquons que les pays qui possèdent le système d’éducation le plus efficace – autrement dit, ceux qui obtiennent les meilleurs résultats lors des enquêtes PISA – sont aussi ceux qui sont les plus équitables – c’est-àdire les pays où l’écart entre les plus faibles et les plus forts est le moins important, explique Marcel Crahay. L’école peut donc gagner en équité grâce à une instruction plus efficace.»
L’efficacité d’un enseignement dépend de plusieurs paramètres. Si tous les élèves sont natifs du même pays et parlent la même langue, comme c’est le cas par exemple en Corée du Sud (2e dans le classement PISA), cela facilite grandement les choses. Ce facteur joue probablement aussi beaucoup dans le cas de la Finlande, culturellement très homogène. A l’intérieur de la Suisse, ce paramètre est probablement à l’origine des différences entre les cantons: Genève, à forte communauté étrangère, se distingue du Valais et de Fribourg, qui comptent beaucoup moins d’immigrés. Bien entendu, la qualité de l’enseignement contribue aussi à cette efficacité.
Mais cela ne dépend pas forcément de la méthode choisie. Dans le cas de la lecture, par exemple, Marcel Crahay estime que le temps consacré à cet apprentissage et la continuité de son enseignement comptent énormément: «Dans de nombreux pays de l’Europe centrale, on a trop fortement tendance à enseigner les bases du déchiffrage et d’estimer que le travail est accompli. L’élève, pense-t-on, saura poursuivre par lui-même. Les recherches sur la question remettent en question cette manière de voir. Il conviendrait que la lecture soit enseignée de manière continue, tout au long de l’école primaire et même jusqu’au début du secondaire. Dès le début, il faut mettre l’accent conjointement sur l’apprentissage du code et la compréhension des textes. Par ailleurs, le formalisme – notamment en ce qui concerne la grammaire – est parfois poussé trop loin.»
Quant à la sempiternelle opposition entre les méthodes centrées sur le déchiffrage du code (syllabiques) et celles qui se basent en priorité sur la signification des mots et des phrases (globales), Marcel Crahay affirme qu’elle est dépassée. Le défi pédagogique actuel est de réussir à combiner les deux démarches. Des pistes concrètes sont discutées par Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, professeureadjoint à Genève, dans leur ouvrage intitulé Apprendre à lire à l’école.
«Apprendre à lire à l’école», par Roland Goigoux et Sylvie Cèbe, Ed. Retz, 2006
Redoublement: un traitement inefficace«Le redoublement est à la pédagogie ce que la saignée est à la médecine: un traitement qui fait plus de mal que de bien.» Dès lors, pour Marcel Crahay, professeur à la Section des sciences de l’éducation, les choses sont claires: pour le bien de la santé et de l’instruction publiques, il ne faut pratiquer ni l’un ni l’autre. «Toutes les études vont dans le même sens, insiste le professeur. Aucun élément ne milite en faveur du redoublement.» Ce qu’il y a de trompeur, c’est que si l’on mesure deux fois à douze mois d’intervalle les performances d’un élève qui répète son année, le résultat indique qu’il a effectivement progressé. Une observation que partagent tous les enseignants et que confirment les études scientifiques. Seulement, cela ne veut rien dire. En effet, n’importe quel enfant normal fait des progrès en une année, quelle que soit sa situation scolaire. Il s’agit donc de découvrir si les performances d’un élève s’améliorent davantage en redoublant plutôt qu’en poursuivant son parcours malgré ses mauvaises notes. De telles études, dont certaines suivent l’évolution des élèves redoublants sur un, deux ou trois ans, ont été menées de nombreuses fois. Toutes montrent que les enfants qui ne redoublent pas progressent davantage que les autres, alors même qu’au départ leur niveau est identique. Et plus le temps passe, plus l’écart entre les deux catégories d’élèves se creuse. Plusieurs pays ont été convaincus par ces résultats et ont banni le redoublement, comme la Suède, la Finlande, la Norvège, la Grande- Bretagne ou encore le Japon et la Corée. «Avec le redoublement, nous en sommes encore à la recherche de solutions de rechange plus efficaces, précise Marcel Crahay. Un début de réponse réside dans la mise en place de mesures d’accompagnement, dans le tutorat, l’apprentissage coopératif et l’intervention rapide et ciblée auprès de l’élève en difficulté. Mais cela demande encore beaucoup d’investigations.» Une autre piste à suivre: Walo Hutmacher, sociologue consultant et ancien chargé de cours à la Section des sciences de l’éducation, a montré que le redoublement disparaît lorsque l’enseignant accompagne une classe d’une année à l’autre. Ce n’est que lorsqu’il y a un changement de professeur qu’il refait surface. |
Les grandes études internationales
ALL (Adult Language and Lifeskills Survey)
PISA (Programm for International Student Assessment)
TIMSS (Trends in International Mathematics and Science Study)
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