Dossier/pédagogie
Pratiques de classe
L’introduction d’une nouvelle méthode pédagogique ne suffit pas à changer radicalement les pratiques scolaires. Etat des lieux autour de l’enseignement du français dans trente classes de Genève du Valais et du canton de Vaud
Que se passe-t-il réellement dans les classes, qu’y apprend-on, et sur quelles bases théoriques? Pour tenter de répondre de façon scientifique à ces interrogations, la Section des sciences de l’éducation conduit depuis une vingtaine d’années de nombreuses recherches tant sur l’évolution des capacités des élèves que sur les méthodes d’enseignement. Avec l’appui du Fonds national suisse de la recherche scientifique, qui participe au projet à hauteur d’un demi-million de francs, elle vient de terminer une enquête centrée sur la didactique du français.
Mené dans les cantons du Valais, de Genève et de Vaud, ce travail porte plus particulièrement sur l’étude du texte argumentatif et de la dissertation ainsi que sur des éléments de grammaire comme l’apprentissage de la phrase relative. «Ce qui nous intéresse, c’est de voir comment les enseignants intègrent de nouvelles démarches élaborées dans le cadre des réformes scolaires pour construire leur pratique», précise Joaquim Dolz, professeur de didactique des langues et directeur de la recherche. Réalisées dans 30 classes, les observations des chercheurs – soit près de 150 heures d’enregistrement – mettent en évidence ce que les spécialistes appellent une «sédimentation de pratiques» construite au fil des âges. Dans les outils pédagogiques utilisés par les enseignants, certaines façons de faire remontent ainsi au XIXe, voire à des temps plus anciens encore puisque les chercheurs ont identifié des exercices semblables à ceux préconisés par Quintilien en 90 de notre ère. Ces savoirs anciens cohabitent avec des principes éducatifs introduits plus récemment. L’ensemble forme un tout organisé en différentes strates.
Liberté de choix
«Nous savons que les démarches récentes ne se traduisent pas immédiatement ni directement dans les pratiques en classe, explique le chercheur. De surcroît, lorsqu’un plan d’étude est établi, il ne faut pas s’attendre à ce que celui-ci soit respecté à la lettre. Les savoirs professionnels évoluent selon un rythme qui n’est pas celui des réformes de l’enseignement, encore moins celui des recherches scientifiques. Concernant les moyens d’enseignement, ils laissent une grande liberté de choix et chaque enseignant met finalement en oeuvre sa propre démarche à partir des outils disponibles. Ce qui est certain, c’est que s’il y a aujourd’hui des problèmes à l’école, ils ne sont pas dus aux nouvelles méthodes puisque ces dernières sont nettement minoritaires.»
Dans les faits, les enseignants observés dans le cadre de cette étude se partagent en trois grandes familles. D’abord, il y a ceux qui optent pour la dissertation classique en se basant sur l’analyse de textes écrits et les techniques d’écriture. D’autres, plus influencés par la réforme de l’enseignement du français, choisissent de travailler sur différents genres textuels (lettre de lecteur, pétition, critique littéraire) en mettant l’accent sur la dimension sociale de l’écrit et sur les techniques de communication. Enfin, certains enseignants privilégient une approche reposant davantage sur la lecture que sur l’écriture, les élèves étant appelés à s’inspirer d’auteurs comme La Fontaine pour rédiger des exercices «à la manière de…».
Du côté de la grammaire, on est également souvent assez loin de la pureté linguistique voulue par la théorie. «A partir des années 1970, on a introduit un nouveau vocabulaire de référence pour désigner les différents éléments grammaticaux, complète Joaquim Dolz. Mais on voit qu’en classe, ce vocabulaire est soumis à une adaptation constante, l’enseignant passant une bonne partie de son temps à jouer le rôle de traducteur entre les conceptualisations des élèves et la terminologie officielle. Cela étant, malgré la diversité de moyens utilisés dans l'enseignement, l'organisation pratique des contenus grammaticaux reste relativement constante.»
La grammaire comme moyen
L’enseignement de la grammaire est par ailleurs très fortement au service de la stylistique. Plutôt que de privilégier le travail sur les notions, c’est surtout la manière d’enrichir et de transformer un texte qui est mise en avant. «C’est une tendance lourde: la grammaire n’est plus perçue comme une fin en soi, mais comme un moyen d’améliorer l’écriture, ajoute le didacticien. Ce qu’on remarque en même temps, c’est que les enseignants ont le souci constant d’amener l’élève dans le monde de l’écrit, c’est-à-dire de le familiariser avec des textes et des livres.»
Enfin, les chercheurs n’ont pas constaté de différences significatives entre les différents cantons examinés. Contrairement à ce que veut la croyance populaire, l’école valaisanne ou vaudoise n’est pas intrinsèquement meilleure que l’école genevoise sur le plan des pratiques pédagogiques. «Nos résultats ne permettent pas d’aller très loin dans l’interprétation. Reste à examiner si des différences significatives s’observent du point de vue des données socioculturelles, commente Joaquim Dolz. L’hétérogénéité de la population genevoise peut exercer une influence sur l’enseignement et l’apprentissage.»