Dossier/spin-off
Le premier sou: le plus dur à trouver
Les investisseurs prennent aujourd’hui beaucoup moins de risques qu’il y a une quinzaine d’années. Difficile dans ces conditions de trouver de l’argent pour lancer une spin-off. Des structures d’aide aux jeunes entreprises se mettent néanmoins en place
«A Genève, le rapport entre l’aide aux nouvelles entreprises et la quantité d’argent disponible fournit une assez bonne idée du zéro absolu.» Nicolas Gisin, professeur au Groupe de physique appliquée, est un vétéran de création de start-up. Au total, une dizaine sont issues de son équipe (la dernière étant id Quantique) et se sont lancées sur le marché avec une idée développée par lui et ses collaborateurs. Elles ont connu des fortunes diverses, mais la plupart ont été finalement rachetées par des groupes étrangers, preuve de l’intérêt suscité par les technologies genevoises. Seulement, selon le chercheur, ce n’est pas sur les richesses de Genève qu’il faut compter pour le premier coup de pouce financier. Les preneurs de risques ont à chaque fois dû être trouvés ailleurs en Suisse ou à l’étranger.
Thierry Pun, professeur au Département d’informatique et fondateur de la spin-off Anteleon, confirme: dans le domaine des technologies hors sciences de la vie, il est difficile de trouver le financement pour se lancer. «Nous avons pu commencer nos activités surtout grâce à des mandats intervenus très tôt, ajoute Sergeï Startchik, directeur de la spin-off Anteleon. Il est très difficile de rassembler les fonds nécessaires pour débuter, même lorsqu’il s’agit de sommes relativement modestes. Selon moi, ce serait un encouragement très efficace si une start-up pouvait disposer de 10 000 à 50 000 francs pour commencer. Ce n’est pas grand-chose, mais cela suffirait pour établir la société et posséder un premier fonds de roulement.» Anteleon a d’ailleurs pu commencer ses activités surtout grâce à des mandats intervenus très tôt.
L’Europe trop prudente?
Karl Heinz Krause, professeur au Département de pathologie et immunologie et fondateur de la spin-off Genkyotex en janvier 2006, partage l’opinion selon laquelle le premier sous est difficile à trouver, sans pour autant charger particulièrement la place financière genevoise. «Il y a dix ans, les investisseurs étaient trop confiants, estime-t-il. On pouvait alors trouver facilement du financement pour une start-up. Aujourd’hui, ils sont devenus trop prudents et préfèrent attendre que le produit commercialisable soit plus avancé dans son développement avant de délier les cordons de la bourse. A Genève, ils sont peut-être un peu plus conservateurs qu’ailleurs, mais le comportement est plus général que cela. Aux Etats-Unis, la prise de risque est plus grande. Cependant, et j’en ai fait l’expérience, les capital-risqueurs d’outre-Atlantique préfèrent travailler localement, afin de garder un œil sur leurs affaires. Ils ne viendront pas en Suisse pour financer des start-up.»
Cela dit, il en existe aussi en Europe. L’une des plus grandes entreprises de capital-risque du Vieux Continent est Index Ventures. Elle voit passer entre 1000 et 1500 idées en quête de financement par année pour seulement 3 ou 4 élues. Francesco de Rubertis, associé chez Index Ventures, est basé à Genève et rêve d’investir davantage dans sa ville. Pour lui, les difficultés sont surtout dues à la concurrence. «Les spin-off issues de l’Université de Genève ont en général un concept trop académique pour emporter notre faveur, juge-t-il. A nos yeux, elles sont souvent encore déconnectées de la réalité industrielle. Il y a 10 ou 15 ans, des idées originales brevetées par des professeurs d’université trouvaient assez facilement de l’argent. Aujourd’hui, des start-up basées sur des projets très précoces, ciblés sur des marchés de niche et pas de taille à bouleverser leur branche ont beaucoup moins de chance d’être financées. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la qualité des découvertes laisse à désirer, bien au contraire. La recherche à l’Université de Genève est d’excellente qualité. Mais il manque une connaissance de base du monde industriel. La différence est assez nette entre Genève et Bâle, d’ailleurs, où la forte présence des firmes pharmaceutiques donne naissance à des start-up qui sont dès le départ beaucoup plus en phase avec l’esprit du business. Cela dit, les choses évoluent. Unitec (le Bureau de transfert de technologie et de compétences de l’Université de Genève) fait du bon travail en formant et conseillant les chercheurs désirant se lancer dans l’aventure industrielle. L’incubateur de start-up Eclosion est également une excellente initiative. D’ailleurs, c’est vers ces organismes (et d’autres) que j’envoie les projets qui ne me semblent pas encore mûrs. Je leur conseille aussi d’essayer de s’associer à un entrepreneur qui a déjà créé des start-up et qui sait comment s’y prendre pour séduire les investisseurs.»
Eclosion, située dans la zone industrielle de Plan-les-Ouates, revitalise en partie cette «vallée de la mort», comme les Américains appellent la phase difficile de la naissance d’une start-up et de la recherche des premiers fonds. Cette initiative, née en décembre 2004 grâce aux volontés conjuguées des autorités politiques et académiques, vient en aide aux personnes qui désirent lancer une start-up dans le domaine des sciences de la vie. Elle dispose actuellement de locaux sur une surface de 1000 m2 et offre des services, du matériel de pointe pour constituer des laboratoires in situ, des conseils avisés dans le management et l’entrepreneuriat ainsi que de l’argent. Grâce à un fonds de 15 millions de francs, Eclosion peut en effet investir jusqu’à 2 millions de francs dans un projet prometteur.
«Notre rôle est de donner les moyens de réussir aux jeunes entrepreneurs, explique Jesús Martin-Garcia, coresponsable d’Eclosion. Nous choisissons bien sûr les projets en fonction de leur intérêt et de leur potentiel commercial. Mais nous ne considérons jamais un dossier comme trop académique. C’est justement une partie de notre travail que de le rendre plus conforme à la réalité du marché. Pour cela, nous nous appuyons sur notre conseil scientifique et économique et plus largement sur un réseau de chercheurs et d’industriels très compétents. Nous par ailleurs ravis de voir la bonne volonté que mettent ces professionnels à collaborer avec nous.»
Eclosion reçoit une subvention de l’Etat de Genève suffisante pour payer, entre autres, l’infrastructure, l’entretien et l’achat de certains appareils de laboratoire. Elle bénéficie également du soutien de grandes entreprises, comme Serono, qui offrent à l’incubateur des appareils indispensables à la recherche scientifique (microscopes, frigidaires à très basse température, etc). Ces machines de deuxième main tout en étant de pointe permettent des économies d’échelle importantes. Finalement, grâce à l’implication des autorités et des industriels, les responsables d’Eclosion ont réussi une levée de fonds de 15 millions de francs auprès d’investisseurs locaux. «C’était le travail le plus dur que nous avons eu à réaliser pour Eclosion, admet Jesús Martin-Garcia. Pour mettre sur pied cette structure, nous nous sommes beaucoup inspirés de ce qui se faisait dans d’autres pays. Nous avons fait la synthèse de différents modèles la plus adaptée à la situation de notre région.»
Résultat: six start-up ont colonisé les locaux, monté leur laboratoire et leur bureau et travaillent d’arrache-pied pour monter leur affaire. Et beaucoup d’autres se pressent au portillon. Aucune d’entre elles n’a encore quitté le nid pour voler de ses propres ailes – l’expérience vient de débuter, après tout – mais le premier envol ne devrait pas tarder, selon les responsables. Un bémol, tout de même: seules les spin-off de l’Université de Genève actives dans les sciences de la vie bénéficient d’une telle aide.