Extra-muros/Madagascar
Plongée au coeur de la forêt malgache
A Madagascar, Louis Nusbaumer, doctorant aux Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève étudie les relations complexe qui lient les plantes d’une forêt
Madagascar, décembre 2005. Sous une pluie battante, il faudra plusieurs jours à Louis Nusbaumer, doctorant aux Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève, pour franchir les 150 kilomètres de piste détrempée qui séparent Vohémar et Ambilobe. But de l’expédition: rejoindre les forêts de Daraina, véritable paradis de biodiversité, que le chercheur a choisi pour son projet de thèse en botanique tropicale. Un travail qui consiste à inventorier les espèces présentes sur le site et à cartographier la zone afin de comprendre comment différents biotopes s’y enchevêtrent. «Daraina est le point de rencontre de plusieurs régions phytogéographiques, explique Louis Nusbaumer. Cela signifie que des espèces très différentes s’y mélangent, et la biodiversité qui en résulte est incroyable.» Depuis 2003, c’est la troisième mission que le jeune chercheur effectue dans l’île. Chaque année il passe six mois sur le terrain, de novembre à mai, pendant la saison des pluies. C’est pendant cette période que la forêt est la plus luxuriante et que l’on trouve les fleurs et les fruits nécessaires à la détermination des plantes. Cette fois, la majorité des relevés de végétation est prévue dans la zone de Binara, un massif recouvert de forêt humide, culminant à 1171 mètres d’altitude à l’Ouest du village de Daraina.
Jardin d’Eden?
Durant les six mois du séjour de Louis Nusbaumer à Madagascar, plusieurs missions de 2 à 4 semaines en forêt sont prévues. Avant de partir, les zones intéressantes sont prédéfinies sur la carte. Puis, les voies d’accès sont évaluées et l’emplacement du camp est choisi. Un doctorant malgache travaille sur le projet avec Louis Nusbaumer. Quatre assistants de terrain complètent l’équipe. En forêt, les conditions de vie sont loin d’être faciles. L’humidité est omniprésente et il pleut plusieurs heures par jour, parfois si fort qu’il n’y a rien d’autre à faire que d’attendre. Les moustiques, les sangsues et les mygales n’arrangent pas le quotidien. «Chaque fois que je rentre de Madagascar, les gens s’étonnent de ne pas me voir bronzé, raconte le chercheur. Ils oublient qu’on ne va pas sur la plage au soleil, mais que l’on reste sous le couvert des feuilles toute la journée.» D’autre part, le camp se trouve souvent à plusieurs jours de marche du village, et l’équipe doit emmener avec elle de quoi être indépendante pendant plusieurs semaines. «Les premiers jours, on dispose de fruits et de légumes, mais, avec l’humidité, ces denrées moisissent rapidement si bien qu’il faut se contenter d’aliments moins appétissants comme les sardines en boîte, le riz et les haricots secs, confie le doctorant. Parfois je rêve de frites ou de pâtisseries, et sur certains carnets de récoltes il m’arrive de retrouver une note en bas de page qui dit “ah si seulement j’avais un petit bout de chocolat en ce moment!”»
Une alimentation peu variée, un climat hostile, des conditions sanitaires parfois précaires, des animaux pas toujours sympathiques... Cette existence serait difficilement supportable sans une authentique passion. «Il y a de nombreuses raisons de se laisser décourager, mais la forêt est si exceptionnellement belle qu’on parvient le plus souvent à dépasser les contraintes», explique le jeune chercheur. Chaque journée de travail apporte en effet son lot de surprises et de rencontres insolites. «Un jour, notre tracé nous a menés sur un gros rocher culminant au-dessus des arbres, se remémore le doctorant. Le paysage se déroulait à nos pieds et après des semaines à l’ombre de la canopée, on découvrait, émerveillés, un océan de verdure. On mesurait pour la première fois, toute l’étendue de la forêt.» L’engouement de Louis Nusbaumer pour les plantes remonte à l’époque du collège. Mais c’est un cours de botanique tropicale à l’Université qui a été le véritable déclencheur. «Lorsqu’on s’intéresse à la botanique, qu’on connaît déjà les espèces européennes et qu’on nous montre la diversité folle de la flore des tropiques, on ne peut être qu’ébahi, tellement tout est démesuré ici» explique-t-il.
Connaître pour mieux préserver
Mousses, lichens, lianes, herbes, arbustes, arbres, plantes épiphytes: tout est récolté sur des tracés de plusieurs kilomètres. Pour chaque relevé, Louis Nusbaumer note la localisation de la plante exacte (altitude, pente, orientation) grâce à un appareil GPS. Il signale également la distance au point de départ, la hauteur au sol. S’il la reconnaît, Louis Nusbaumer nomme et effectue une brève description du végétal. Un travail qui, en somme, n’est pas très différent de celui des botanistes-explorateurs du XIXe siècle. «C’est vrai qu’on peut se demander si à l’heure de la biologie moléculaire on a encore besoin de ce type de travail, commente le jeune chercheur. Cependant, les dernières estimations révèlent que le nombre d’espèces restant à découvrir dans le monde est bien plus important que ce que l’on pensait. Et, paradoxalement, le nombre d’experts capables de décrire ces espèces est en chute libre. Il est donc crucial de continuer à inventorier la biodiversité. Par ailleurs cela a quelque chose de magique de se dire qu’on entre dans une forêt où certaines plantes n’ont pas encore de nom. On a l’impression de découvrir un morceau de vie».
Depuis le début du projet, 47 nouvelles espèces et 4 nouveaux genres ont été identifiés par l’équipe de Louis Nusbaumer. Et plus de la moitié des échantillons récoltés doivent encore être analysés. De quoi occuper Louis Nusbaumer encore quelques années.
C’est en effet un travail de longue haleine que les Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève conduisent à Madagascar. Plusieurs études sur la végétation et la biogéographie du Nord de l’île ont ainsi été menées dès 1990. De tels projets ont une portée scientifique importante, car ils participent à une meilleure compréhension de la formation des espèces. Ils permettent également de relier l’histoire de la vie aux événements géologiques et climatiques passés, comme par exemple la dérive des continents. D’autre part, le projet de Daraina est associé à un programme de conservation. En 2003 les Conservatoire et Jardin Botaniques de la Ville de Genève ont établit une collaboration avec Fanamby, une ONG malgache œuvrant dans le domaine de l’environnement. «Il est très important que notre recherche soit exploitée par une ONG comme Fanamby, souligne Louis Nusbaumer. Si toute cette incroyable biodiversité venait à disparaître, victime de la déforestation, notre étude deviendrait en quelques sorte un étude post-mortem». Fanamby a mis en place des projets agricoles, des programmes d’éducation environnementale et dans ce village situé loin du réseau électrique, une radio locale et un centre d’accès à Internet ont également vu le jour. Le but de telles initiatives est d’impliquer les populations locales pour favoriser une meilleure gestion des ressources forestières, en développant l’écotourisme par exemple. Les villageois de la région commencent déjà à tirer profit de cette étude, puisque l’arrivée des premiers écotouristes est prévue en 2007, avec la construction d’une route asphaltée entre Ambilobe et Vohémar.
Emilie Alirol