Campus n°89

Dossier/Chine

Lifting de luxe pour capitale olympique

Alors que les quartiers traditionnels continuent à disparaître, les nouveaux bâtiments qui ornent Pékin et qui sont autant de prouesses architecturales suscitent des réactions controversées. Reportage de Muriel Jarp, assistante à l’Unité de chinois en année sabbatique à Pékin

Un stade olympique doté d’une structure d’acier unique au monde; un Théâtre national a design minimaliste sis à deux pas de la place Tiananmen; une tour de télévision défiant les lois de la gravitation; une piscine olympique recouverte de trois mille bulles d’air: plus que de simples bâtiments, les constructions de prestige érigées à Pékin en vue des Jeux olympiques font figure de symboles. Pour Paul Andreu, l’architecte français du Grand Théâtre national, ce que vit actuellement la capitale chinoise rappelle le Paris du baron Haussmann. «C’est une éclosion, explique-t-il. Avec ces projets majeurs, Pékin montre une ambition extraordinaire.» Même son de cloche du côté de l’architecte allemand Ole Scheeren, co-concepteur de la tour de la télévision centrale CCTV: «L’ambition et la qualité de ces projets dépassent largement ce qui a été produit jusqu’à présent, en Chine ou dans le monde.» C’est dire.

stade
Mais il est un détail qui n’échappe pas aux Pékinois: la plupart de ces bâtiments, surnommés «le nid d’oiseau», «l’œuf», «les pantalons» ou encore «le cube» par les habitants de la capitale sont l’œuvre d’architectes étrangers: les Suisses Herzog et de Meuron pour le stade olympique, l’Allemand Ole Scheeren et le Néerlandais Rem Koolhaus pour la tour CCTV, le Français Paul Andreu pour le théâtre national. «Je ne comprends pas pourquoi Pékin ne fait pas davantage confiance aux architectes chinois, déplore Wang Guixiang, professeur d’architecture à la célèbre université Tsinghua de Pékin. Les dirigeants pensent que les Occidentaux ont une meilleure technique et des idées plus futuristes. Mais nous avons besoin d’une politique qui dépasse la seule volonté d’impressionner.» Le spécialiste déplore donc «ces constructions hétéroclites qui font ressembler Pékin à un terrain d’entraînement». Il regrette également que «les bâtiments qui relèvent de la culture n’intègrent pas plus de caractéristiques chinoises». Un avis qui n’est pas partagé par le célèbre architecte chinois Zhu Pei, auteur du bâtiment olympique Digital Beijing (lire ci-dessous).

La discussion est loin d’être achevée. Peng Peiren, également professeur d’architecture à Tsinghua, a multiplié discours et courriers à l’intention des autorités pékinoises, critiquant avec véhémence tous ces nouveaux projets. Quant à son collègue Wu Liangyong, il est tout aussi sceptique: «Demandez donc aux Pékinois ce qu’ils en pensent», lance-t-il d’un ton agacé.

Les Pékinois, justement, ont des réactions très variables. Certains, comme Sun Di, ingénieur, accueillent à bras ouverts cette «fraîcheur architecturale»: «Jusqu’ici, les constructions étaient tellement quelconques. Ces nouveaux projets apportent enfin quelque chose à la ville.» Avis partagé par Cai Xiaoli, productrice de documentaires. «J’aime beaucoup le nid d’oiseau et la tour CCTV. Mais le Théâtre! On dirait une grosse tortue. Sa place devrait être au bord de la mer.» Le caractère futuriste de ce bâtiment choque d’autant plus qu’il se situe à un jet de pierre de la Cité interdite. L’architecte Zhu Pei, pour sa part, lui reproche plutôt un manque de modestie: «Un bâtiment culturel devrait être plus ouvert, plus public. Or il est entouré d’eau, les gens ne peuvent pas l’approcher.» L’auteur de l’ouvrage rétorque qu’une vraie création doit déranger l’ordre établi pour créer un nouvel ordre, qui, à son tour, sera bousculé.

Quoi qu’on en pense, Pékin découvre une nouvelle manière d’appréhender l’architecture. Jusqu’à présent, la ville abritait surtout des tours érigées à la va-vite, sans grande réflexion. «Avant la fin des années 1990, les officiels ne prêtaient guère attention à l’architecture, confirme Zhu Pei. La seule chose qui importait était la taille et la hauteur des bâtiments.» Résultat: «Une très mauvaise planification urbaine», juge Wang Guixiang. Mais, poursuit le professeur, tout n’est pas à mettre sur le compte du gouvernement. Pékin s’est développée à une vitesse inimaginable ces dix dernières années. La ville s’est transformée sans que l’on s’en rende vraiment compte.
Muriel Jarp, Pékin

De vieux «hutongs» flambant neufs

L’autre Pékin, le Pékin traditionnel, est lui aussi soumis à de grands chambardements. Deux tiers des hutongs – ces ruelles traditionnelles bordées d’habitations à cours carrées – ont disparu depuis les années 1980. Et malgré la protection récente de certains quartiers, qui accueillent les derniers rémouleurs et autres marchands ambulants, des rénovations hâtives, en vue des Jeux olympiques, transforment une partie des derniers hutongs de Pékin en décors de théâtre.

L’exemple le plus emblématique est sans doute le quartier de Dashalan, au sud de la place Tiananmen. Là, d’énormes pancartes s’alignent: «Dashalan, 600 ans d’histoire qui vont revivre!» Le slogan est assorti d’images de synthèse figurant un quartier flambant neuf, avec portiques chinois, magasins traditionnels, théâtres, le tout parsemé d’espaces verts parfaitement géométriques. Derrière les panneaux, le contraste est saisissant: les briques jonchent le sol, quelques murs sont encore debout, de la vaisselle cassée jouxte un vieux canapé défoncé. Un homme assis sur un tabouret a suspendu ses cages à oiseau au milieu des débris. Il va déménager dans une tour au nord de la ville. «Oui, bien sûr que ce sera confortable. 100 m2. Mais c’est à 1h30 du centre. Je suis à quatre ans de la retraite, vous croyez vraiment que j’ai envie de faire trois heures de route par jour au milieu des embouteillages?»

Juste à côté, les premières constructions destinées à «recréer» ce vieux quartier émergent. Flamboyantes, artificielles surtout. Le professeur Wang Guixiang ne cache pas son agacement: «Dashalan a toujours été un quartier populaire, bruyant et sale certes, mais ce n’est pas une raison pour détruire et reconstruire. Des faux hutongs, voilà quel sera le résultat. Pékin veut tout faire à la va-vite. Il faudrait au moins vingt ans pour planifier la rénovation de ces quartiers si l’on veut qu’ils restent vivants.»

Mais le temps manque justement, car tout doit être achevé pour les Jeux olympiques, qui commenceront le 8 août prochain. «Le slogan est: Nouveaux Jeux olympiques, nouveau Pékin, lance Chen Dan, doctorante en sociologie à l’Université du peuple de Pékin. Personnellement, je préfèrerais: Nouveaux Jeux olympiques, vieux Pékin. Pourquoi doit-on modifier notre ville et notre façon de vivre pour ces Jeux?» MJ

«Pékin risque de se couper d’elle-même»

Célèbre architecte chinois et auteur du «Digital Beijing», Zhu Pei approuve l’évolution de la capitale, mais avec certaines réserves

Campus: Pékin s’est dotée de prestigieuses créations architecturales. Mais des voix s’élèvent pour critiquer leur caractère peu chinois. Partagez-vous cet avis?

Zhu Pei: Absolument pas! Et d’abord, qu’appelle-t-on «chinois»? Qui est capable de donner une réponse à cette question aujourd’hui? Chaque fois qu’on entend parler du «style chinois», on revient deux cents ans en arrière, en évoquant la Cité interdite et les hutongs. Il s’agit désormais de définir ce qu’est la Chine contemporaine et non de répéter à l’infini ce qui a déjà été fait. Peut-être que la tour CCTV sera considérée comme du vrai style chinois par les générations futures, qui sait?

Donc le «nid d’oiseau» comme le surnomment les Chinois, dessiné par les architectes suisses Herzog et de Meuron, a sa place à Pékin?

C’est une très belle réalisation. Vous savez, il faut parfois des bâtiments référence. Et le nid d’oiseau en fait partie, c’est l’emblème architectural des Jeux olympiques. C’est un bâtiment assez unique, et avec l’accent particulier mis sur son aspect extérieur, il n’est finalement pas dénué de caractéristiques chinoises.

Vous avez vous-même réalisé un bâtiment olympique, le Digital Beijing. Quelles ont été les réactions à Pékin et ailleurs?

Certains critiquent son aspect trop massif, trop nationaliste. D’autres l’aiment beaucoup. C’est un bâtiment qui tente d’explorer cette nouvelle ère de l’information, en contraste avec l’ère précédente, très industrielle et axée sur les machines. Pour ce qui est des Pékinois, j’ai une anecdote: alors que je me rendais sur le site en taxi, le chauffeur n’a pas cessé de me dire combien il détestait ce bâtiment, d’une terrible laideur. Arrivé à destination, je lui ai dit que l’humble architecte était vraiment désolé!

Pékin en 2020, en 2030, ce sera comment?

Il faut que la ville fasse attention à ne pas se couper d’elle-même. Si on la regarde aujourd’hui, on voit qu’elle est éclatée en plusieurs parties qui ne communiquent plus entre elles. On a d’un côté le quartier des affaires, puis le vieux Pékin, ou encore le quartier politique: j’appelle cela l’archipel urbain. Surtout, il faut ralentir le rythme. Moins se concentrer sur le développement physique de la ville, et davantage réfléchir à la manière dont les habitants veulent habiter cette ville.

Propos recueillis par MJ