Campus n°89

Dossier/Chine

Un petit bout de Suisse dans l’Empire du milieu

L’Université de Genève cultive depuis une trentaine d’années des liens nourris avec quelques-unes des meilleures institutions chinoises. Tour d’horizon non exhaustif

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En 2008, année des Jeux olympiques de Pékin, le monde entier aura les yeux rivés sur la Chine. Objet de méfiance autant que de fascination, le plus grand marché du monde intéresse les enseignants et chercheurs de l’Université de Genève depuis une trentaine d’années. Créée en 1976, l’Unité des études chinoises de la Faculté des lettres a ouvert des collaborations qui se sont considérablement étoffées au fil des ans. Aujourd’hui, de nombreux projets dressent des ponts entre la Chine et Genève, dans des domaines aussi divers que l’astronomie, le management public ou le séquençage de l’ADN.

«La Suisse cultive depuis très longtemps de bonnes relations avec la Chine, explique Pierre Willa, responsable du Service des relations internationales. En 1950, la Confédération a été un des premiers Etats à reconnaître la République populaire. Ensuite, la neutralité helvétique a contribué à bâtir une relation de confiance. Et puis, il y a chez nous ce mélange de tradition et de modernité qui n’est sans doute pas pour déplaire à nos partenaires chinois. L’Université de Genève profite largement de cette image favorable. Elle lui a permis de construire des collaborations avec les meilleures institutions de Chine.»

Sur le plan institutionnel, l’Université de Genève peut effectivement se targuer d’une position privilégiée. Disposant d’accords avec la Chinese University de Hongkong et la East China Normal University de Shanghai, elle bénéficie aussi d’un partenariat avec l’Université de Pékin (Beida), qui est l’institution académique la plus prestigieuse du pays. Genève et Zurich se partagent en outre la vingtaine de bourses mises à la disposition d’étudiants suisses chaque année par la Chine, tandis que la Confédération fait de même pour une dizaine de Chinois. «La Chine est de plus en plus courtisée, ce qui lui donne les moyens d’être très exigeante, constate Pierre Willa. Des collaborations de ce type ne sont donc pas faciles à décrocher. Et elles sont d’autant plus précieuses qu’elles couvrent également les projets de coopération au niveau de l’enseignement et de la recherche. L’existence d’un tel accord facilite considérablement les contacts au niveau des facultés ou des départements, mais aussi l’obtention de visa et les démarches administratives. Et ce ne sont pas des éléments négligeables avec un pays comme la Chine.»

Au niveau des facultés, c’est logiquement l’Unité des études chinoises qui est en première ligne. Forte d’une dizaine d’enseignants, qui ont tous effectués de nombreux séjours en Chine quand ils n’en sont pas originaires, cette structure est aujourd’hui victime de son succès. Conséquence de l’attrait sans précédent qu’exerce la Chine depuis son ouverture économique, l’Unité doit en effet faire face à une augmentation constante de la demande pour ce qui est de l’enseignement (lire également ci-contre). «Nous recevons entre 45 et 50 nouveaux inscrits par année, explique son responsable Nicolas Zufferey. Ce qui veut dire qu’au sein de la Faculté des lettres, environ un étudiant de première année sur dix choisit cette discipline. Le programme de formation continue que nous organisons également accueille par ailleurs plus d’une centaine de participants et affiche régulièrement complet. Enfin, le «Master Asie», dans lequel nous sommes aussi impliqués, attire également de nombreux candidats. Compte tenu de nos moyens actuels, l’ensemble représente donc une charge considérable.»

Et la tâche est d’autant plus compliquée que le profil des candidats s’est considérablement modifié ces dernières années. «Lorsque la Chine était fermée, à l’époque de la Révolution culturelle, les études chinoises n’attiraient qu’un petit nombre de passionnés, poursuit le professeur. A l’heure actuelle, une large proportion de nos étudiants sont davantage motivés par l’idée de faire des affaires dans ce nouvel Eldorado que par une approche littéraire ou par la connaissance de la culture chinoise. Il y a donc un intérêt grandissant pour les formations en langue appliquée, avec des options spécifiques pour l’économie et le commerce. Ce n’est pas un problème en soi, mais cela représente un défi pour l’organisation de notre enseignement. Faut-il développer davantage de collaborations avec les sciences économiques, doit-on courtiser ces nouveaux candidats, quitte à se détourner de nos buts originels? Faut-il repenser le contenu de nos enseignements sans interdire pour autant aux étudiants qui le souhaiteraient de faire de la sinologie au sens classique? Ces questions devront faire l’objet de discussions.»

Toujours en Faculté des lettres, le Département de langue et littérature françaises modernes cultive également des relations soutenues avec l’Empire du milieu. Depuis le début des années 2000, il reçoit ainsi à chaque rentrée universitaire un étudiant de l’Université de Pékin. Soigneusement sélectionnés, ces derniers viennent en général chercher des impulsions pour leur thèse et développer de nouvelles pistes de recherche.

«L’Ecole de Genève, un courant critique incarné notamment par Marcel Raymond, Albert Béguin, Jean Rousset ou Jean Starobinski, reste un pôle de référence sur le plan littéraire, au même titre que les grandes institutions françaises, explique Laurent Jenny, professeur au Département de langue et de littérature françaises modernes, de retour d’un séjour d’une semaine à Beida. Les étudiants que nous recevons briguent pour la plupart des postes académiques et ce sont eux qui formeront l’élite intellectuelle de demain. Il est donc très intéressant de pouvoir les ouvrir à des thèmes et des méthodes de recherche propres à l’Ecole de Genève. Par là, nous contribuons ainsi au rayonnement de la culture francophone dans un pays plutôt tourné vers le monde anglo-saxon.» De fait, une des étudiantes passées récemment par Genève est devenue la première à traduire en chinois l’écrivain romand Philippe Jaccottet, tandis qu’une autre travaille sur Julien Gracq et qu’un professeur de l’Université de Beida s’est attelé à une nouvelle édition des Confessions de Rousseau.

Moins formalisés, de nombreux contacts directs ont également été noués entre chercheurs. Une quinzaine de projets sont actuellement en cours, qui impliquent les facultés des sciences, de droit, des sciences économiques et sociales, de médecine, de psychologie et des sciences de l’éducation, ainsi que le pôle en sciences de l’environnement. A titre d’exemple, l’équipe de l’Integral Science Data Center travaille ainsi sur un détecteur permettant de mesurer la polarisation des rayons émis par les sursauts gammas qui devrait être envoyé en orbite sur un engin chinois (lire en page 24).

Le Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences, dirigé par le professeur André Giordan, est, quant à lui, engagé dans la formation des enseignants, des ingénieurs ou des politiques sur des thèmes comme l’éducation au développement durable ou la didactique des sciences.

Professeur honoraire de la Faculté des sciences économiques et sociales, Paolo Urio œuvre, de son côté, depuis une dizaine d’années à la modernisation de l’administration chinoise. Dans ce cadre, il conduit depuis 1998 le Sino-Swiss Management Training Programme in the Public Sector of China pour le compte de la Confédération. La fondation qu’il a créée en 2001 (Europe-China Management Improvement Foundation) vient par ailleurs d’organiser la visite à Genève d’une délégation de hauts cadres de l’administration de la municipalité de Pékin pour un programme de formation en matière de sécurité.

Enfin, fondateur de l’Unité des études chinoises de l’Université et lui aussi professeur honoraire de l’Université, Jean-François Billeter poursuit ses travaux de sinologie en publiant récemment des ouvrages qui confirment régulièrement sa place parmi les meilleurs connaisseurs actuels de la culture et de l’histoire chinoises.

  

Formation: trouver sa voie

Depuis la création de l’Unité des études chinoises en 1976, l’offre d’enseignement proposée par l’UNIGE dans ce domaine s’est considérablement étoffée. Trois formations sont aujourd’hui proposées.

Première voie: Baccalauréat universitaire en langue, littérature et civilisation chinoises, suivi éventuellement de la maîtrise, voire du doctorat. Il s’agit d’une formation approfondie, avec un apprentissage intensif de la langue chinoise et des enseignements sur la civilisation, l’histoire, la littérature et la société chinoises, dans leurs dimensions anciennes et contemporaines, de Confucius à Internet. La maîtrise consécutive permet d’approfondir les connaissances acquises au cours du baccalauréat. Elle forme plus particulièrement à la recherche, à la traduction scientifique ou littéraire, ainsi qu’à certaines professions comme le journalisme, la diplomatie et le tourisme. La maîtrise prépare également au doctorat et autres diplômes spécialisés.

Plan de formation

Deuxième voie: Maîtrise universitaire spécialisée pluridisciplinaire en études asiatiques, dispensée par la Faculté des lettres, la Faculté des sciences économiques et sociales et l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID).

Premier diplôme post-grade en études asiatiques de Suisse, le «Master-Asie» propose une formation pluridisciplinaire (culture, langue, histoire, société, économie, politique, relations extérieures, coopération au développement) et interculturelle. Il mobilise une quinzaine de spécialistes issus de l’Université, ainsi que des experts d’universités étrangères. Il est ouvert à des non spécialistes aussi bien qu’à des candidats ayant déjà abordé l’étude de l’Asie, que ce soit en sciences humaines ou en sciences sociales. L’originalité du diplôme est de combiner théorie et pratique, préparant ainsi de manière aussi complète que possible les étudiants aux différentes professions en rapport avec l’Asie. Tenus de faire l’apprentissage d’une langue asiatique, les étudiants ont également l’occasion, au cours de leur formation, d’effectuer un séjour de recherche ou un stage, soit dans un pays asiatique, soit dans une institution travaillant en relation avec l’Asie. Il permet également d’envisager un doctorat ou un diplôme spécialisé.

Master Asie

Troisième voie: Cycle de conférences proposé dans le cadre de la formation continue.

Attirant chaque année plus de cent participants, le programme proposé dans le cadre de la formation continue s’efforce d’appréhender les réalités présentes et les défis à venir de la Chine au travers d’une approche culturelle et historique. Il permet de mieux comprendre la civilisation de la Chine actuelle par l’apprentissage de la langue chinoise et la présentation de situations de communication courantes (affaires, voyages, tourisme, etc.). Les conférenciers, académiques ou professionnels, sont des spécialistes reconnus de la Chine. L’initiation à la langue chinoise est donnée par des enseignants de l’Université de Genève. Les cours sont ouverts à toute personne déjà en contact avec la Chine ou envisageant des activités en rapport avec ce pays, pour des raisons professionnelles, personnelles ou touristiques, ainsi qu’à toute personne intéressée par la connaissance des rudiments de la langue chinoise et/ou les différents aspects de la culture de ce pays, dans un but professionnel ou personnel.

Formation continue

  

«A Genève, je peux me concentrer sur mes études»

Siyang Wang est étudiante à l’Université de Pékin et profite d’un programme d’échange pour réaliser une partie de ses études à l’Université de Genève

Campus: Combien de temps allez-vous passer à Genève?

Siyang Wang: Au départ, je suis venue ici pour étudier la littérature française durant une année, mais j’ai fait une demande pour prolonger mon séjour. J’ai pu obtenir une année supplémentaire. Je reste donc jusqu’en juin 2008. Je travaille actuellement sur Stendhal, mais je m’intéresse à la littérature du XIXe siècle en général.

Pourquoi avez-vous choisi Genève et pas une autre université francophone?

Il existait en effet beaucoup d’autres possibilités. Mais si je voulais aller en France, j’aurais dû enseigner le chinois pour pouvoir obtenir une bourse. Ce n’est pas le cas à Genève, où je peux me concentrer sur mes études. L’autre argument qui a contribué à ma décision de venir ici est l’«Ecole de Genève», un courant de critique littéraire très célèbre dans le milieu académique. J’ai lu les ouvrages des professeurs genevois appartenant à ce courant de pensée et ils m’ont beaucoup plu. Le professeur Jean Starobinski en fait partie, par exemple.

L’enseignement est-il bon?

Oui, les cours m’intéressent beaucoup. Ils ont grandement enrichi mes réflexions.

Cela fait longtemps que vous vous intéressez à la littérature française?

Depuis huit ans. Quand j’étais au lycée, j’ai lu des romans de Balzac traduits en chinois par un traducteur très célèbre dans mon pays. C’est ainsi que j’ai commencé à aimer la littérature française. Quand je suis entrée à l’Université, c’est donc naturellement que j’ai choisi d’étudier cette discipline.

Y avait-il beaucoup d’étudiants chinois qui voulaient venir à Genève?

Non, pas vraiment. Le coût de la vie en Suisse est plutôt élevé par rapport aux autres pays.

Qu’allez-vous faire de vos connaissances en littérature française?

Je dois bientôt retourner en Chine pour finir ma thèse. Après, je voudrais devenir professeur de français à Pékin ou à Shanghai.