Recherche/biologie
Une protéine «genevoise» au secours d’une maladie orpheline
Connue pour assurer l’étanchéité des vaisseaux sanguins, une protéine semble aussi jouer un rôle dans le développement d’une maladie rare touchant la sensibilité des nerfs périphériques
La démarche scientifique n’exclut pas la chance. C’est en effet de manière fortuite que des chercheurs genevois ont découvert ce qui semble être une cause à une maladie orpheline rare: la neuropathie héréditaire avec hypersensibilité à la pression. C’est une protéine appelée JAM-C qui a mis la puce à l’oreille de Beat Imhof, professeur au Département de pathologie et d’immunologie, et de ses collègues. En s’intéressant au rôle de cette molécule dans la prolifération des vaisseaux sanguins, les scientifiques ont été surpris de l’observer également dans des tissus où ils ne s’attendaient guère à la rencontrer: la gaine de myéline qui recouvre les nerfs périphériques. Piqués par la curiosité, ils ont remarqué chez des souris transgéniques que l’absence totale de JAM-C provoque un handicap ayant toutes les caractéristiques de l’affection humaine sus citée. Cette découverte a valu à l’équipe internationale de chercheurs une publication dans la revue Science du 25 novembre.
«La protéine JAM-C a été découverte par mon laboratoire, il y a bientôt dix ans, explique Beat Imhof. La fonction principale que nous lui avons identifiée est de contrôler l’imperméabilité de la jonction serrée qui maintient les cellules endothéliales entre elles. Elle permet ainsi l’étanchéité des vaisseaux sanguins, par exemple. Cette situation stratégique confère à JAM-C un rôle clé dans toute une série de mécanismes biologiques comme la croissance de ces mêmes vaisseaux sanguins, l’inflammation, le développement de tumeurs, etc.»
Christoph Scheiermann, un doctorant travaillant à l’Imperial College de Londres au sein d’une équipe collaborant avec Beat Imhof, est le premier à remarquer quelque chose d’inhabituel. Son travail consiste alors à étudier le comportement de JAM-C dans les vaisseaux sanguins des membres inférieurs d’une souris grâce à une technique rendant la molécule concernée fluorescente. Il observe cependant des points lumineux supplémentaires apparaissant dans le nerf sciatique du rongeur. Au lieu de négliger ce qui pourrait facilement passer pour un détail sans importance, il informe ses collègues, qui décident d’aller de l’avant.
«En y regardant de plus près, nous avons remarqué que JAM-C n’est pas active dans les nerfs périphériques (appelés ainsi par opposition à ceux du système nerveux central), précise Beat Imhof. Elle l’est en revanche dans les cellules dites de Schwann, ou myéline, qui entourent les nerfs comme une succession de manchons. Notre protéine est localisée plus précisément aux extrémités de chaque manchon, là où un petit bout de nerf est mis à nu. (Ces interruptions régulières de l’isolant permettent l’apparition des petits potentiels électriques qui accélèrent le signal transmis d’un bout à l’autre de la cellule nerveuse.) Nos résultats montrent que JAMC joue un rôle dans la soudure des cellules de Schwann autour de ces noeuds. En tout cas, moins il y en a, moins la myéline adhère aux nerfs.»
De plus, des mesures physiologiques ont révélé qu’en l’absence de la protéine de jonction, la vitesse de transmission du signal électrique à travers les nerfs diminue de manière significative.
Pour approfondir la question, les chercheurs ont observé le comportement moteur de souris génétiquement modifiées de manière à ce qu’elles ne fabriquent pas du tout de JAM-C. Ces animaux survivent, mais leur habileté est nettement diminuée. «Elles glissent plus lorsqu’elles marchent sur une succession de barres et font preuve de moins de force physique de manière générale», note Beat Imhof.
C’est en soumettant ces différents résultats à l’avis d’Alexander Lobrinus, chercheur au Département de pathologie et immunologie aux Hôpitaux universitaires genevois, qu’un lien est établi avec une maladie humaine connue. La neuropathie héréditaire avec hypersensibilité à la pression est une affection rare (on estime sa prévalence entre 2 et 5 cas sur 100 000 personnes). Les patients qui en souffrent perdent, de manière temporaire, toute sensibilité dans un membre à la suite d’une simple pression. Les personnes saines vivent parfois la même sensation au réveil, après s’être coincé un nerf du bras durant la nuit. Cette neuropathie, qui se manifeste par épisodes – et généralement à l’adolescence – peut s’avérer handicapante et rendre dans certains cas difficile, voire impossible, la marche ou la conduite.
Dans une dernière série d’expériences, les chercheurs ont analysé l’expression de JAM-C dans des nerfs périphériques chez des volontaires humains sains et atteints de la neuropathie. Chez ces derniers, la concentration de la protéine autour des noeuds de myéline s’est avérée moins importante que chez les individus sains. La conduction électrique est également moins rapide, reproduisant les résultats obtenus sur des souris.
Toutefois, si un parallèle entre le rongeur transgénique et les humains malades semble apparaître, aucune affection nerveuse humaine connue n’est associée directement à une mutation du gène de la protéine JAM-C. On sait en revanche que la neuropathie héréditaire avec hypersensibilité à la pression est due à la perte d’une copie d’un tout autre gène, le PMP22 – une délétion également responsable de la maladie de Charcot-Marie-Tooth type 1A. Seulement, entre cette anomalie génétique et les symptômes observés chez les patients, c’est l’inconnu. Aucun mécanisme biomoléculaire n’a été découvert à ce jour. JAM-C pourrait bien apporter un éclairage nouveau sur ce mystère.
Anton Vos
Les mille visages de JAM-C
> Portier Le rôle principal de la protéine JAM-C est de verrouiller les espaces entre les cellules des vaisseaux sanguins et d’en contrôler l’imperméabilité. Elle ne laisse passer que les lymphocytes, les monocytes et autres agents de défense de l’organisme. Elle devient donc un régulateur essentiel de l’inflammation, qui n’est autre que la réponse du corps à une lésion ou une infection. |