Campus n°90

Dossier/imagerie médicale

Le corps mis en images, par osirix

Les scanners se perfectionnant, les images deviennent de plus en plus difficiles à manier et à interpréter. Un logiciel genevois, «open source», permet de résoudre le problème et de créer des clichés spectaculaires de l’intérieur du corps. Il s’est imposé comme standard dans le milieu de la radiologie

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Il est loin le temps des radiographies de grand-papa, ces clichés dont la prise nécessite de porter une chemise ou une coque en plomb pour se protéger des rayons et dont le résultat est une image noir et blanc sur un film en plastique transparent. Aujourd’hui, les scanners dernier cri sont capables de produire des petits films en fausses couleurs du cœur d’un patient en train de battre. Mieux: en plus du volume et du temps, ces mêmes appareils peuvent mesurer simultanément le métabolisme de l’organe (la quantité de glucose absorbé, par exemple), ce qui donne une idée de son état de santé. Le problème, c’est que ce genre d’examen produit aujourd’hui des milliards de données informatiques de plus en plus complexes à traiter. Et les logiciels capables d’en tirer des images utilisables et interprétables par des médecins ont pris un sérieux retard. Il existe cependant une solution. Elle s’appelle Osirix, un programme développé par deux radiologues genevois en 2004 et dont une nouvelle version (3.02) vient de sortir. Ses atouts? Facile d’utilisation, à la portée de tous, performant, très graphique et, surtout, gratuit.

«J’ai eu l’idée de développer un tel logiciel, il y a quelques années, alors que j’étais chef de service adjoint à l’Université de Californie à Los Angeles, se rappelle Osman Ratib, professeur au Département de radiologie et concepteur d’Osirix. L’acquisition et l’interprétation des images médicales étaient l’apanage des radiologues. Les médecins des autres spécialités qui demandaient les examens se satisfaisaient de leur rapport écrit et détaillé, accompagné de quelques images en deux dimensions et parfois, si nécessaire, en trois. Il faut dire que les logiciels que l’on utilisait étaient très chers et fournissaient des résultats difficiles à interpréter, surtout si l’on ajoute une quatrième dimension (le temps) ou même une cinquième (le métabolisme). Mon objectif était que le chirurgien, l’oncologue ou encore le gastroentérologue puisse lui-même gérer et manier les images que les radiologues lui fournissent.»

Le coach et le champion

Grâce à un budget du Fonds national pour la recherche scientifique, Osman Ratib engage alors Antoine Rosset, un radiologue genevois qu’il a connu avant son départ pour les Etats-Unis et qui est, comme lui, un mordu d’informatique. «J’ai joué le coach et lui le champion, se rappelle le professeur. Résultat: en un an, il a produit un logiciel (Osirix) très performant qui accepte tous les types de fichiers issus de n’importe quel scanner (PET, CT-scan, IRM, etc.). Cet outil est également prévu pour réaliser des représentations en trois, quatre ou cinq dimensions, voire au-delà. Osirix est en effet conçu pour pouvoir représenter un organe en 3D, évoluant dans le temps et d’ajouter encore des informations concernant son métabolisme.»

Mais ce n’est pas tout. Au lieu de se contenter des couleurs «réalistes» que l’on voit souvent dans l’imagerie médicale classique, on peut repeindre son organe, tissus, ou portion du corps avec n’importe quelle couleur de la palette. L’utilisateur peut choisir, en quelques clics de souris, celles qu’il estime être les plus aptes à faire ressortir les éléments qu’il veut voir sur les clichés. Du coup, les radios prennent un tour très graphique, voire même créatif. En jouant avec les couleurs, les transparences et les contrastes, certains résultats obtenus dégagent un esthétisme surprenant.

«Pourquoi ne pas faire du beau en médecine? se demande Osman Ratib. Faut-il toujours que l’os ait la couleur de l’os, le muscle celle du muscle? Si l’orthopédiste préfère voir les os du pied qu’il examine en bleu sur un fond gris et les pièces de métal en rouge car il estime que c’est ainsi qu’il voit le mieux, il est libre de le faire. Idem pour les oncologues, les cardiologues ou encore les gastroentérologues qui peuvent peindre, visionner et faire pivoter les organes qu’ils souhaitent réparer depuis leur bureau.»

Car c’est bien cela le plus grand changement provoqué par le logiciel genevois: les médecins non radiologues peuvent maintenant manier tout seul leurs images avec le nombre de dimensions qu’ils désirent. Les radiologues continuent de piloter les scanners et de rédiger leurs rapports – indispensables –, mais, au lieu de se contenter de quelques tirages, ils peuvent désormais mettre à la disposition des autres praticiens tous leurs fichiers. A eux ensuite (les plus motivés du moins) de manier les images à leur guise. Une petite émancipation du médecin vis-à-vis du radiologue, en quelque sorte.

Autre atout du programme de visualisation: il est gratuit et son code est ouvert à tout nouveau développement proposé de l’extérieur. «Nous avons décidé de concevoir un logiciel «open source» car nous sommes convaincus du bien-fondé d’une telle démarche dans le monde actuel et plus particulièrement dans le milieu de l’industrie médicale qui brasse des sommes d’argent considérables», estime Osman Ratib. Le logiciel a donc été testé un très grand nombre de fois et a reçu de nombreuses améliorations. A tel point qu’il est maintenant à toute épreuve. «L’open source ne fonctionne bien que s’il y a un leader (Antoine Rosset, en l’occurrence) qui conserve une ligne de conduite claire et qui vérifie tous les changements proposés par les développeurs, ajoute le professeur. Il passe d’ailleurs un temps considérable à réécrire et à nettoyer le programme. Bien sûr, il existe quelques versions parallèles d’Osirix sur Internet, mais une seule demeure la référence officielle. C’est la nôtre.»

Un choix risqué

Les deux médecins ont pris un autre risque. Dès le départ, ils décident en effet de travailler exclusivement sur des ordinateurs Mac. «Nous savions bien que ces machines ne représentent que 5% du marché, souligne Osman Ratib. Mais nous voulions concevoir un programme très graphique, et les ordinateurs Mac contenaient déjà toutes les librairies dont nous avions besoin. Nous n’y serions jamais arrivés sur PC. Cela dit, en 2003, lorsque nous avons commencé, nous ne pouvions pas connaître l’évolution de la technologie d’Apple. Nous avons pris un risque, mais, étant donné les progrès technologiques réalisés par les Mac, il semble que nous ayons misé sur le bon cheval.»

Le succès public, en tout cas, est au rendez-vous. Actuellement, tous les mois, près de 25 000 utilisateurs (essentiellement des professionnels) utilisent régulièrement le logiciel. Certains centres médicaux ont même converti leur parc d’ordinateurs PC en Mac pour pouvoir utiliser Osirix. Apple, ravi de cette success story qui leur fait vendre des machines dans le milieu médical, a déjà octroyé deux prix à la paire genevoise en 2005 et 2006. «Lors du Congrès européen de radiologie qui s’est tenu en mars à Vienne, mon agenda était rempli de conférences, de cours et d’interview que j’ai dû donner pour présenter la dernière version d’Osirix», précise Osman Ratib. Pour couronner le tout, comme le logiciel genevois est très gourmand en performances machine, la compagnie de Steve Jobs l’utilise désormais comme benchmark. Osirix sert en effet (à l’instar de Photoshop et de quelques autres logiciels) à comparer les performances des nouveaux ordinateurs avec celles des anciens .

Osirix n’est bien sûr pas le seul, ni même le premier logiciel de ce genre sur le marché de la visualisation médicale. Mais ses principaux concurrents, fonctionnant sur PC ,sont généralement moins complets et, surtout, plus chers. Les meilleurs d’entre eux coûtent dans les 100 000 francs (sans compter les mises à jour). «Nous collaborons à un projet américain de grande envergure (le caBIG) piloté par l’Institut national du cancer, précise Osman Ratib. L’un des volets du projet est d’uniformiser tout ce qui existe en termes d’analyse d’image dans le domaine du cancer et de développer une plateforme commune, évidemment sur PC. Ils nous ont déjà demandé plusieurs fois si l’on avait l’intention de rendre Osirix compatible avec Windows. Ce n’est pas si simple, en réalité. Nous sommes trop dépendants de la technologie profonde des Mac qui nous donnent la performance nécessaire au traitement des images. Nous utilisons beaucoup d’éléments déjà existants comme des librairies graphiques. Pour passer sur PC, il faudrait tout concevoir et réécrire depuis le début. C’est trop long.»

Pour l’heure, les créateurs d’Osirix ont d’ailleurs d’autres chats à fouetter. Victimes de leur succès, ils doivent dans les mois qui viennent prendre des décisions capitales pour le futur de leur logiciel. Faut-il créer une société et professionnaliser la gestion et le développement du programme? Quoi qu’il arrive, pour les deux radiologues, une certitude demeure: «Osirix restera un logiciel «open source.»

  

Les techniques d’imagerie médicale en deux mots

CT-scan (Computed Tomography Scan)

Ce sont les rayons X traditionnels. Une source bombarde la cible avec des photons de haute énergie et une plaque sensible détecte ceux qui traversent. Les scanners actuels sont formés de sources et de détecteurs tournant autour du patient. Ils analysent son corps par tranches fines, ce qui permet de reconstruire une image en trois dimensions. En répétant l’opération plusieurs fois, il est possible de voir son évolution dans le temps. Cela est facilité par le développement de machines de plus en plus rapides dans l’acquisition des données. Les différences d’opacité (de densité des tissus en fait) rendent visibles les os et les organes ainsi que, dans certains cas, leurs structures internes. De manière générale, toutefois, les tissus mous sont plus difficiles à distinguer les uns des autres avec cette technique. Le CT-scan est évidemment indiqué pour la détection des traumatismes, mais aussi pour le diagnostic de maladies cardiovasculaires, abdominales ou de lésions du poumon.

PET (Positron Emission Tomography)

Ce scanner permet de «voir» le métabolisme d’un patient. On injecte dans les veines du patient le type de molécule que l’on aimerait suivre (typiquement du glucose, pour mesurer le métabolisme) et sur laquelle est attaché un atome radioactif (souvent un isotope du fluor). Ce dernier émet spontanément un positron (électron positif) qui se désintègre dès qu’il rencontre un électron, c’est-à-dire quasi immédiatement. Cette annihilation provoque l’émission de deux photons de haute énergie dans des directions parfaitement opposées. Des détecteurs placés autour du patient les captent en même temps et recalculent l’endroit d’où ils proviennent. On peut ainsi reconstruire en deux ou trois dimensions les zones où se concentre la molécule désirée dans le corps humain. En répétant l’opération dans le temps, on peut même mesurer les trajectoires de la substance. Cette technique est très utilisée dans la localisation de tumeurs, notamment.

PET-CT-scan

Ce sont des machines qui contiennent à la fois un scanner aux rayons X et un PET. Les résultats obtenus par les deux techniques peuvent être superposés sur la même image. Ils permettent ainsi de mieux localiser spatialement les résultats obtenus par le PET, ce dernier produisant des images relativement floues. C’est en alliant ces deux technologies que l’on peut obtenir des images de l’intérieur du corps humain en cinq dimensions.

IRM (imagerie par résonance magnétique)

Cette technique d’imagerie médicale exploite une grandeur quantique des particules: le spin. Le proton en possède un, tout comme les atomes ayant un nombre impair de cette particule. Le spin est un petit moment magnétique qui peut s’aligner, tourner ou encore se renverser sous l’effet d’un champ magnétique extérieur. En jouant sur le comportement du spin des atomes sous certaines conditions magnétiques, on peut les localiser de manière assez précise. En augmentant le champ magnétique principal (les plus puissants atteignent 17 teslas), on peut augmenter la capacité de l’appareil à distinguer différents types d’atomes. Résultat: l’IRM est très performante dans la détection des tissus mous, mais beaucoup moins dans celle des parties dures comme les os. Un des grands avantages de cette technique est qu’elle est non invasive et n’irradie pas.

IRMf (Imagerie par résonance magnétique fonctionnelle)

Le principe de fonctionnement est exactement le même que pour l’IRM. L’IRMf exploite spécifiquement les propriétés magnétiques de l’hémoglobine contenue dans les globules rouges du sang. En se concentrant sur cette molécule, l’IRMf peut détecter les régions du corps marquées par une augmentation du flux sanguin. La principale application de cette technologie est l’étude de l’activation des régions du cerveau liées à des tâches cognitives. C’est donc l’outil de base des neurosciences cognitives. La résolution spatiale est excellente, la résolution temporelle est plutôt moyenne.

Angiographie

Pour visualiser les vaisseaux sanguins avec le CT-scan, on peut injecter dans les veines un produit opaque aux rayons X, généralement un dérivé de l’iode. On peut ainsi diagnostiquer des maladies vasculaires. On peut faire de même avec un produit radioactif que l’on détecterait ensuite avec le PET ou une substance ferromagnétique vue par l’IRM.

Echographie

Cette technique utilise des ultrasons, à l’instar du sonar qui étudie les fonds marins. Elle rend très bien les tissus mous et est particulièrement sensible dans la détection des interfaces entre tissus solides et cavités remplies de liquide. C’est notamment la raison pour laquelle l’échographie est un examen de routine chez les femmes enceintes. Elle est aussi utilisée parfois pour le système digestif ou cardiaque. Son avantage est son coût modique par rapport aux techniques d’imagerie par rayons X, résonance magnétique ou émission de positrons. Les progrès réalisés dans le choix des fréquences sonores et des filtres permettent aujourd’hui une plus grande pénétration des ondes (ce qui reste toutefois une limitation de la technique). Les machines les plus perfectionnées sont capables de réaliser des images en trois dimensions.