Campus n°91

Recherche/neurologie

Alerte, un bébé!

Il n’y a pas que le danger qui mette le cerveau en éveil avant même d’atteindre la conscience. La vue des nourrissons le fait aussi

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Capturer l’attention de notre cerveau avant même que l’on en soit conscient, ce n’est pas à la portée de n’importe qui. La théorie en vigueur, basée sur de nombreuses observations, affirme que les stimuli visuels qui en sont capables ont tous un lien avec un danger potentiel, comme la vue d’un serpent, d’un visage effrayé ou même d’un revolver. Alors quand Tobias Brosch, assistant à la Section de psychologie et ses collègues du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA), ont montré, dans un article paru dans la revue Psychological Science du mois d’avril 2008, que l’image d’un bébé inoffensif est capable de la même prouesse, il a semblé évident que cette théorie nécessitait un rafraîchissement.

«Le modèle dominant, formulé par le psychologue suédois Arne Öhman, est appelé le «module de la peur», explique Tobias Brosch. Celui-ci affirme que le système attentionnel du cerveau, qui sélectionne dans le foisonnement de stimuli envoyés par l’environnement les signaux les plus utiles à notre organisme, est exclusivement sensible à tout ce qui relève de la peur.»

Émotions positives

Cette théorie est cohérente avec le fait que l’individu, pour survivre, doit pouvoir répondre au danger de la manière la plus rapide et efficace possible. Il est donc facilement imaginable qu’au cours de l’évolution, la nature ait favorisé l’apparition de mécanismes neuronaux donnant une voie d’accès rapide au centre d’alerte du cerveau à tout ce qui est catalogué comme une menace.

Seulement, Tobias Brosch est convaincu que le système attentionnel peut aussi être allumé par des signaux positifs, à condition qu’ils soient pertinents. Les premiers essais qu’il effectue avec des visages d’adultes souriants et joyeux ne donnent aucun résultat. «C’est alors que nous avons pensé aux bébés, affirme Tobias Brosch. Ils éveillent des émotions positives et ne suscitent certainement pas des sentiments de peur.»

Comme l’a proposé Konrad Lorenz en 1943 déjà avec son Kindchenschema, les visages des petits (humains ou autres mammifères) sont en effet facilement reconnaissables par les adultes grâce à leurs proportions spéciales: grands yeux, grande tête, petit nez, fossettes, etc. Ces traits et certains comportements font que l’adulte est attiré par les nourrissons et ressent l’envie de s’en occuper et de les protéger.

«Cette réaction est indispensable du point de vue de la survie de l’espèce, tout autant que l’est la peur pour la survie de l’individu, précise Tobias Brosch. La vue d’un bébé est un stimulus visuel aussi pertinent, selon moi, que celui annonçant un danger.» Pour le montrer, le chercheur genevois monte alors une expérience avec quelques dizaines de volontaires. Ces derniers sont placés devant un écran d’ordinateur noir au centre duquel se trouve une croix blanche qui fixe leur regard. Soudainement, durant 100 millisecondes, deux photos de visages sont projetées, à gauche et à droite de la croix, l’une des deux étant de temps en temps celle d’un bébé. Cette apparition est trop brève pour que le sujet s’en rende compte, il n’en a donc pas conscience. Juste après s’affiche un point, à la place d’une des deux images. C’est le signal attendu par le volontaire qui doit réagir le plus vite possible et indiquer s’il se trouve à gauche ou à droite.

Résultat: quand le point apparaît à gauche, après que fut passé fugacement le visage du bébé, le temps de réaction du sujet est significativement plus court. A droite cela ne fonctionne pas, ce qui signifie que c’est principalement l’hémisphère droit du cerveau qui est mis à contribution (les informations captées par l’œil droit sont traitées par l’hémisphère gauche et vice versa).

Théorie insuffisante

Parallèlement, dans un questionnaire, d’autres volontaires donnent leurs impressions subjectives sur les images des différents bébés qui ont servi lors de l’expérience. Il apparaît alors une corrélation forte entre le degré de sympathie qu’éveille chaque enfant et le résultat qu’il a pu obtenir au test. En d’autres termes, plus le poupon est agréable au regard, plus il active le système attentionnel du cerveau.

Le phénomène a ensuite été confirmé avec l’électroencéphalogramme. Cette technique a montré, dans le cas du sentiment de peur, que dans la zone pariéto-occipitale du cerveau (à l’arrière), un signal plus marqué environ 150 millisecondes après l’apparition du stimulus à l’écran. Sans surprise, les bébés obtiennent exactement la même réponse.

«Ces résultats démontrent que la théorie actuelle n’est pas suffisante», estime Tobias Brosch. En réalité, ces résultats militent plutôt en faveur d’une théorie plus générale, mise au point par son patron Klaus Scherer, professeur et directeur du CISA. Selon ce dernier, le système d’attention du cerveau ne serait pas sensible aux seuls signaux relevant du danger, mais à tous ceux, positifs et négatifs, qui ont une importance pour les besoins et les buts de l’individu.

Anton Vos

CISA