Campus n°93

Dossier/Economie

L’immobilier, colosse aux pieds d’argile

Souvent présentée comme une valeur refuge, la pierre n’est pas à l’abri des soubresauts de l’économie. Dans son dernier livre, Martin Hoesli propose quelques outils pour limiter les risques

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Les actifs liés à l’immobilier concentrent un tiers de la richesse mondiale. D’où l’idée largement répandue selon laquelle quand le bâtiment va, tout va. Baromètre de la santé économique, le secteur de la construction est cependant un géant fragile. Loin d’être insensibles aux fluctuations du marché, les prix de l’immobilier peuvent en effet connaître de soudaines envolées et de brutales retombées. C’est ce qui s’est passé dans le cas des «subprime» américains, mais c’est également arrivé dans de nombreux pays au début des années 1990, avec des chutes de prix allant jusqu’à 50%. Souvent sous-estimée, cette relative volatilité n’est pas sans risques pour la conjoncture générale, de nombreuses études ayant montré une relation directe entre le niveau du prix des logements et la consommation des ménages. Il existe toutefois des moyens de limiter les dégâts. Des méthodes scientifiques, souvent inspirées par le bon sens, auxquelles Martin Hoesli consacre une large place dans son dernier ouvrage*.

Limiter l’arbitraire

Avant d’investir, et c’est vrai autant pour les acteurs institutionnels que pour les ménages, la première précaution consiste à évaluer correctement la valeur du bien concerné. La chose paraît aller de soi, mais dans les faits, l’opération est souvent complexe et elle a une part aléatoire. «Fixer le prix d’un bâtiment est un processus qui laisse une large place à l’arbitraire, car il n’y a pas de vérité absolue en la matière, confirme Martin Hoesli. D’où la nécessité de disposer d’indicateurs fiables. Or, lorsque le marché devient euphorique, l’utilisation des méthodes d’estimation traditionnelles (approche par comparaison, méthode du coût déprécié, méthode par capitalisation, approche par actualisation des cash-flows futurs) débouche fréquemment sur des valeurs artificiellement élevées.»

Le recours à la méthode dite hédoniste, qui s’est répandue dans de nombreux pays dont la Suisse depuis quelques années, permet de réduire considérablement ce risque. Cette façon de procéder repose sur des modèles économétriques qui font correspondre un prix à chacune des caractéristiques contribuant à la valeur d’un bâtiment: surface, âge du bâtiment, état d’entretien, situation, exposition au bruit… «La méthode hédoniste n’est pas une panacée, complète Martin Hoesli. Elle ne convient en effet ni aux locaux commerciaux ni aux constructions atypiques, comme les objets de luxe par exemple. En revanche, elle permet de réduire sensiblement la subjectivité de l’évaluation.»

Surveiller les prix

Afin d’éviter l’apparition de bulles spéculatives, Martin Hoesli insiste également sur l’utilité d’indices immobiliers capables de restituer une image fidèle de l’évolution des prix sur le marché. «Sur le long terme, une situation dans laquelle les prix de l’immobilier augmentent beaucoup plus rapidement que les revenus des ménages n’est pas tenable, explique l’économiste. Il faut surveiller de près cet écart pour éviter le genre de suprise que l’on a eu récemment aux Etats-Unis.»

Depuis une quinzaine d’années, de nombreux développements sont apparus dans ce domaine, mais aussi en matière d’indicateurs concernant le marché de l’immobilier commercial. Au début des années 1990, seuls quelques pays anglo-saxons disposaient d’indicateurs fiables de l’évolution des prix et des performances de l’immobilier commercial. A l’heure actuelle, une vingtaine de pays, en Europe et dans le reste du monde, disposent de ce type de données qui leur sont fournies par des organismes indépendants. «Cette évolution est consécutive au krach immobilier du début des années 1990. La crise a généré parmi les établissements bancaires une forte demande d’indicateurs permettant une meilleure gestion des risques et une plus grande transparence des marchés», poursuit Martin Hoesli.

En matière de contrôle des prix, l’Etat a également sa carte à jouer. C’est à lui qu’il revient de veiller à ce que les banques fassent correctement leur travail. Mais il peut aussi intervenir sur la fixation des taux d’intérêt et il a un rôle de premier plan dans le domaine de l’aménagement du territoire. Une des spécificités de l’immobilier tient en effet à l’existence d’un décalage entre l’offre et la demande, ne serait-ce que par le temps que demande la réalisation d’un bâtiment. Réduire ce délai par des décisions politiques permet d’éviter que les prix ne s’emballent.

Évaluer le risque

Mesurer correctement les conséquences d’un investissement immobilier est le troisième axe clé mis en évidence par Martin Hoesli. La rentabilité et le risque sont en effet des notions indissociables. Les acteurs institutionnels ont les moyens de se protéger en diversifiant leur portefeuille, mais ce n’est en général pas le cas des ménages, pour qui l’acquisition d’un logement est l’acte de toute une vie. Il est donc crucial pour eux d’analyser correctement la qualité de la construction, les évolutions potentielles de l’environnement du bien, l’évolution possible de la région, mais aussi l’ampleur du risque financier encouru.

C’est précisément ce qui a fait défaut aux Etats-Unis où l’on a vu quantité de gens investir dans l’immobilier sans posséder la moindre fortune. Les dettes qui en ont découlé ont été transformées en produits financiers, qui ont fait l’objet d’une véritable ruée. «Ces produits étaient soi disant peu risqués et susceptibles d’apporter d’importantes rémunérations, explique le chercheur. Tout le monde a mordu à l’hameçon et lorsque le marché s’est emballé personne n’a réagi, comme si une sorte de myopie collective s’était installée. Résultat: plus personne n’a pris en compte les risques encourus. Ne voyant plus que les années de hausse des prix, la plupart des acteurs ont continué à investir sans anticiper le moment ou le marché s’écroulerait. Le drame c’est qu’une partie des gens qui ont perdu leur logement n’auraient pas dû être autorisés à entrer dans le jeu car ils n’en avaient pas les moyens. C’est d’autant plus vrai que ces emprunts étaient à taux variable. Après deux ou trois ans, lorsque les intérêts ont brusquement augmenté, les gens n’ont pas pu faire face et tout s’est effondré comme un château de cartes.»

Éviter les bulles

Selon Martin Hoesli, la Suisse est actuellement peu exposée à ce genre d’effet domino. Contrairement aux Etats-Unis, où les banques ont accordé des prêts sans garanties (alors que la règle était d’exiger au moins 5% de fonds propres), les critères nationaux permettant d’acccéder au crédit sont en effet restés relativement stricts: les institutions bancaires ont continué à exiger que leurs débiteurs apportent 20% de fonds propres sans que les charges liées à l’emprunt dépassent le tiers du revenu. Elles ont ainsi évité la création de bulles immobilières, ce qui n’est pas le cas de pays comme la France, l’Espagne ou la Grande-Bretagne. Le hic, comme le démontrent les difficultés traversées par UBS, c’est qu’elles n’ont pas toujours fait preuve de la même prudence sur les marchés étrangers.

Le dernier point développé par Martin Hoesli dans son ouvrage concerne le rôle de l’investissement immobilier dans un portefeuille. Selon l’auteur, les acteurs institutionnels investissent moins dans ce domaine que ce que suggèrent les études empiriques sur le sujet. Cette frilosité s’explique en partie par une connaissance imparfaite des spécificités de ce secteur. Elle tient également à la rareté des opportunités de placement, ainsi qu’aux difficultés liées à la mise en place d’une stratégie d’investissement internationale. «Un des rares points positifs de la crise actuelle est la prise de conscience de la nécessité d’agir sur un plan qui dépasse les frontières nationales, conclut Martin Hoesli. Aujourd’hui, un nombre croissant d’observateurs insiste sur le besoin d’une réglementation collective.»

*«Investissement immobilier. Décision et gestion du risque», par Martin Hoesli, éd Economia, 225 p.