Recherche/Marketing
Ecouter pour mieux vendre
Le marketing relationnel vise à augmenter la satisfaction du consommateur par une meilleure prise en compte de ses attentes. Le passage de la théorie à la pratique n’est cependant pas toujours aisé
Pour appâter le chaland, on peut casser les prix ou miser sur la publicité. Mais une troisième voie est également possible. Comme le montre le premier volet d’une récente étude de l’Observatoire de vente et stratégie du marketing de la Faculté des sciences économiques et sociales, écouter le client, comprendre ses attentes et ses besoins peut s’avérer rentable. C’est même le meilleur moyen d’apporter de la valeur ajoutée à un produit ou à un service donné et donc de faire la différence sur un marché que la mondialisation rend de plus en plus concurrentiel. Cependant, de la théorie à la pratique, le pas n’est pas forcément aisé à franchir. Illustration autour de trois exemples: les pharmacies genevoises, l’Aéroport international de Genève et le Paléo festival de Nyon.
Réseau ou communauté?
«Aujourd’hui, une entreprise ne peut plus fonctionner en vase clos, explique la professeure Michelle Bergadàa, responsable de l’étude. La production d’à peu près n’importe quel bien ou service implique des interactions avec un certain nombre de partenaires: sous-traitants, diffuseurs, transporteurs… Et la façon dont ces différents acteurs collaborent au sein de ce réseau de partenaires n’est pas sans incidences sur l’offre finale au consommateur.»
La littérature scientifique parle de réseau lorsque ces collaborations sont purement fonctionnelles, dans le sens où elles visent essentiellement l’efficacité et la réussite individuelle de chacun des acteurs concernés. Ces derniers sont généralement complémentaires, ils peuvent être dirigés par une entité leader ou fonctionner de façon démocratique. Le réseau existe toujours et dans tous les secteurs. Il permet d’optimiser la qualité du service fourni, mais rarement de cerner les attentes du client.
Le terme de communauté est, quant à lui, utilisé lorsqu’il existe des valeurs et des rites communs entre les acteurs. Ce type d’organisation se caractérise par une plus forte interaction entre les parties prenantes. Elle suppose généralement la présence d’un «maître du jeu» et permet plus facilement de dépasser la stricte logique économique pour prendre en compte les attentes du consommateur aussi bien sur le plan matériel qu’en termes de sens.
Aucun des trois cas considérés dans le cadre de cette étude, réalisée avec la collaboration de 13 dirigeants d’entreprise et d’une quinzaine d’étudiants de niveau master et doctorat, ne correspond tout à fait à la définition d’une communauté. C’est cependant le Paléo festival qui s’en rapproche le plus. D’un côté, il s’agit d’un réseau strictement fonctionnel: la plupart des partenaires impliqués dans le festival vaudois (maisons de disques, médias, sponsors, fournisseurs de nourriture, de boissons ou de services divers) ont pour principal but de promouvoir leur image individuelle. Ils ne poursuivent pas un objectif commun et les critères d’appartenance définis par l’Association Paléo arts & Spectacles, qui pilote la manifestation, sont de nature essentiellement contractuelle.
Esprit de don
En parallèle, les 4000 bénévoles qui contribuent chaque année à la bonne marche du Paléo forment, de leur côté, une communauté temporaire. Réunis par la passion de la musique et l’aspect festif de l’événement, ils n’ont d’autre intérêt que de passer un bon moment. Leur grande proximité avec le consommateur permet de faire remonter à la tête de l’organisation toutes sortes de remarques positives ou négatives. Autant d’informations qui facilitent l’amélioration constante de la prestation proposée et qui sont sans doute pour beaucoup dans le succès que connaît le Paléo depuis plusieurs années.
«Un des résultats importants de cette étude est d’avoir montré que, de manière générale, pour passer du réseau à la communauté, la présence d’un esprit de don est nécessaire, commente Michelle Bergadàa. Pour que cela fonctionne, il faut que ces bénévoles disposent d’un recul suffisant pour apporter des remarques constructives et qu’ils n’aient pas que des intérêts égoïstes à défendre. Ces gens ne sont peut être pas si faciles à trouver, mais ils existent et beaucoup d’entre eux seraient prêts à donner de leur temps pour faire avancer un peu les choses si on les sollicitait.»
Encore faut-il en avoir la latitude. Ce n’est visiblement pas le cas à l’Aéroport international de Genève (AIG), où la satisfaction des passagers demeure une préoccupation secondaire. Il est vrai que, contrairement au cas de Paléo, les contraintes sont ici très fortes. Les différents partenaires de l’AIG forment en effet un réseau complexe et fortement segmenté. Il n’y a ainsi que très peu de points communs entre les activités d’une compagnie aérienne, celles des boutiques et restaurants ou celles de la police de sécurité internationale. Si bien que leurs relations se limitent généralement à des questions opérationnelles ou logistiques.
«Il n’y a pas de vision globale portant sur la satisfaction du passager au sein de ce système, résume Michelle Bergadàa. Chacun des acteurs poursuit des intérêts spécifiques qui peuvent être complémentaires ou concurrentiels. En revanche, ils sont tous soumis aux mêmes impératifs, qui font figure de priorité absolue: assurer la sécurité des voyageurs et la fluidité de leur passage entre l’arrivée à l’aéroport et l’embarquement dans l’avion. Conséquence: l’aéroport de Genève est effectivement fonctionnel, par contre, il n’est ni confortable ni convivial.»
Pour ce qui est des pharmacies, troisième exemple pris en compte dans l’étude, ce ne sont pas tant les contraintes extérieures qui sont déterminantes qu’un manque de volonté. Toutes les officines du canton se trouvant sur un pied d’égalité, collaborer ou non est donc un choix totalement libre. Or, à l’exception de quelques initiatives collectives visant à défendre l’image de la profession, rien n’a été entrepris jusqu’ici pour entamer le dialogue. L’absence d’entité susceptible de jouer le rôle de maître du jeu et le fait que les réseaux communautaires existants soient réservés au registre des relations personnelles sont des éléments d’explication, mais ils ne suffisent pas à justifier le manque de communication constaté par les chercheurs.
Un métier à inventer
«Beaucoup de pharmaciens sont conscients du fait que l’on est plus intelligents à plusieurs que seul, mais ils ne parviennent pas à se lancer, explique Michelle Bergadàa. Ce qui leur fait surtout défaut, c’est un message commun qui puisse être fédérateur. Et celui-ci pourrait consister à dire qu’être pharmacien, ce n’est pas soigner des malades, mais maintenir les gens en bonne santé. Ce basculement suppose une approche plus globale de la personne, car il implique de suivre les individus de leur naissance à leur mort. Les pharmaciens pourraient ainsi s’ouvrir à d’autres métiers et à des compétences qui ne sont pas uniquement techniques. Il y a là tout un nouveau métier à inventer, mais pour y parvenir, il faudra que les pharmaciens soient en mesure de dépasser le stade de la concurrence entre officines vendant le même type de produits afin de proposer une offre de services réellement adaptée aux besoins des clients.»
Programmé l’an prochain, le second volet de l’étude portera justement sur l’attitude de ces derniers. Ces travaux devraient notamment confirmer l’idée selon laquelle le consommateur d’aujourd’hui ne se perçoit plus uniquement comme un acheteur, mais comme un partenaire à part entière du système commercial. «En faisant valoir son expérience et ses connaissances, le client peut aujourd’hui participer au processus de création de valeur ajoutée, conclut Michelle Bergadàa. C’est visiblement ce qu’il souhaite, car il a son mot à dire sur la production du service qui lui est destiné. Et si le marché n’est pas en mesure de répondre à cette attente, on verra rapidement émerger de nouveaux modes de fonctionnement échappant totalement à l’économie traditionnelle.»
Vincent Monnet
«Réseau ou communauté de partenaires: quelle création de valeur pour le client final?»: document de synthèse réalisé par Michelle Bergadàa, Souleymane Baldé, Pierrot Delienne, Observatoire de vente et stratégie du marketing, Université de Genève, 57 p.