Tête chercheuse
Augustin-Pyramus de Candolle, botaniste en herbe
Le botaniste genevois n’aura de cesse que de réaliser son rêve: dresser l’inventaire de toutes les espèces végétales connues. Il n’y parviendra pas, mais marquera sa discipline par ses écrits et sa ville natale par la création des Conservatoire et Jardin botaniques
«Dès l’enfance, Augustin-Pyramus de Candolle rêve d’une carrière académique, explique Patrick Bungener, coauteur de la récente réédition annotée de l’autobiographie du savant genevois*. Ce désir est contrarié à plusieurs reprises avant d’être enfin comblé en 1816. Ces contretemps ne l’empêcheront toutefois pas d’acquérir très vite une grande renommée en tant que botaniste.»
Le jeune scientifique, qui a suivi sa formation à l’Académie de Calvin, décide à la veille de ses 20 ans de tenter sa chance à Paris. L’annexion de Genève à la France en 1798 l’encourage dans cette démarche, mais sa principale motivation est ailleurs. Dans sa ville natale, l’enseignement de la botanique est entièrement dédié à la «physique végétale», c’est-àdire à l’anatomie et à la physiologie (nutrition, respiration, croissance…) des plantes. Alors que ce qui passionne Augustin-Pyramus, c’est la classification des espèces, un sujet absent du cursus de l’Académie.
«L’homme à l’arrosoir »
«A Paris, de Candolle entre très vite en contact
avec les scientifiques du Jardin des plantes, poursuit
Patrick Bungener. Il y développe rapidement
des talents exceptionnels de botaniste.»
Ses pairs le surnomment même
«l’homme à l’arrosoir» du fait de sa
capacité à rester assis des heures sur
l’ustensile à observer les plantes et à
prendre des notes. Dans la capitale
française, il fréquente les grands
noms de l’histoire naturelle, comme
Cuvier, Jussieu ou Adanson. Après
un an seulement, il répond déjà à des
commandes prestigieuses comme la
rédaction de textes accompagnant les
planches des Plantes grasses de Pierre-Joseph
Redouté puis, mieux encore, la réécriture de
la Flore française de Jean-Baptiste de Lamarck.
Dans ce dernier cas, il introduit même une
nouvelle façon de classer des espèces, qu’il
juge plus «naturelle» que celle utilisée traditionnellement.
A cette époque, la classification des plantes suit encore celle du naturaliste suédois Carl von Linné (1707-1778). Celui-ci est célèbre pour avoir inventé la nomenclature binomiale des espèces (encore en vigueur aujourd’hui), mais les critères qu’il propose pour classer les végétaux se révèlent rapidement insatisfaisants. «Linné range les plantes à fleurs uniquement selon le nombre des étamines et leur position par rapport au pistil, précise Patrick Bungener. Augustin-Pyramus de Candolle, lui, préfère prendre en compte une multitude de caractères différents, relatifs à la fois à l’apparence du végétal et à sa morphologie interne.»
La renommée florissante du botaniste n’est pas ignorée dans sa ville natale. En 1802, l’Académie de Genève fonde la Faculté des sciences et lui demande d’occuper la chaire de zoologie. Candolle, qui ne veut pas quitter Paris, accepte le poste de professeur honoraire qui le dispense d’enseignement. Car le jeune ambitieux à d’autres plans en tête que de devenir professeur à Genève. C’est une place de membre à l’Institut de France (qui deviendra plus tard l’Académie des sciences) qu’il brigue.
Il ne l’aura jamais. Il termine deuxième au cours de deux élections qui favorisent à chaque fois le candidat du cru. C’est une douloureuse frustration.
Lot de consolation
Comme lot de consolation, on lui propose
en 1808 le poste de directeur du Jardin botanique
de Montpellier, le plus ancien de France.
De Candolle hésite. Quitter Paris pour la province
où ils «sont cinquante ans en retard»? Mais
les pressions s’accentuent: il n’a pas le choix.
Durant cette même période, le Ministère de l’intérieur lui propose un mandat qui l’occupera plusieurs années: dresser un compterendu des ressources agronomiques de France. «A cette époque, peu de naturalistes font la différence entre botanique et agronomie, note Patrick Bungener. Candolle lui-même a toujours intégré dans sa pratique de la botanique des activités comme l’amélioration de variétés cultivées ou l’expérimentation de nouvelles cultures pour le bien de la population.»
A Montpellier, il restaure l’antique Jardin botanique fondé par Henri IV et l’embellit. Il en augmente le nombre de plantes cultivées et la collection de graines en favorisant les échanges avec d’autres instituts et des botanistes amateurs. Démontrant là encore son intérêt pour l’agronomie, il réalise des essais de culture du coton et fournira une partie des graines de pin qui serviront à accroître la forêt des Landes destinée à assécher de vastes zones marécageuses.
Augustin-Pyramus de Candolle trouve aussi le temps de rédiger sa Théorie élémentaire de la botanique. En plus de forger le terme de «taxonomie», cet ouvrage développe l’idée que les espèces de plantes d’une même famille dérivent toutes d’un même «modèle idéal» dont les irrégularités, dues aux transformations, soudures ou avortements des organes (feuilles, sépales, pétales…), donnent naissance à l’incroyable diversité de formes que l’on rencontre dans la nature.
Nouvelle déconvenue
Sûr de son fait, le scientifique genevois
envoie sa théorie à un grand nombre de personnages
influents en France. Il faut dire qu’il
convoite un nouveau poste académique prestigieux:
la place de recteur de l’Université de
Montpellier. Et il tient à séduire tous ceux qui
pourraient intervenir dans l’élection du candidat.
Las! Sa confession protestante l’écarte
de la course au profit des concurrents catholiques.
C’est une nouvelle déconvenue.
En réalité, il finira par obtenir le poste deux ans plus tard, en 1815, mais pour quelques mois seulement. Après la défaite de Napoléon à Waterloo, la France subit en effet une purge de grande ampleur. Tous ceux qui ont été nommés par l’administration impériale durant les Cent jours sont menacés d’exécution. C’est une véritable «débonapartisation» qui n’épargne pas la capitale languedocienne et oblige le botaniste genevois à fuir le pays.
De retour à Genève, il embrasse enfin la carrière académique à laquelle il a toujours aspiré. Il accepte en effet la chaire d’histoire naturelle qui est assortie du mandat de créer un Jardin botanique à la promenade des Bastions. Il y construit une orangerie et des serres (détruites et remplacées au début du XXe siècle par le Mur international de la Réformation, lire en page 15) bientôt suivies par un Conservatoire botanique qui sert à abriter les herbiers. Sa collection personnelle atteint 135 000 spécimens en 1835 et 161 348 spécimens à sa mort, soit plus de dix fois la collection de plantes de Linné.
Candolle peut enfin consacrer des forces (une vingtaine d’élèves travaillent pour lui) à la réalisation du chef-d’oeuvre auquel il rêve depuis longtemps et dont sa Théorie élémentaire représente, en quelque sorte, la préface: l’inventaire de toutes les espèces de plantes à fleurs du globe. Un travail de titan qu’il baptise le Prodromus systematis naturalis vegetabilis.
En 1835, pour cause de maladie, il est contraint de quitter ses fonctions à l’Académie. A sa mort, en 1841, sept volumes du Prodromus sont édités. Sa descendance poursuit le travail jusqu’en 1873 et l’oeuvre compte finalement 17 tomes. Elle recense 58 975 espèces de plantes à fleurs (on estime aujourd’hui leur nombre total entre 235 000 et 400 000). Quant aux Conservatoire et Jardin botaniques, appelés à devenir l’une des institutions les plus importantes du monde, ils continuent à se développer et déménagent dans leur site actuel, le parc de l’Ariana, en 1904. ❚
Anton Vos
* Mémoires et souvenirs (1778-1841), A.-P. de Candolle, édités par Jean-Daniel Candaux, Jean-Marc Drouin, avec le concours de Patrick Bungener et René Sigrist, Ed. Georg, 2004, 591 p.