Campus n°96

Dossier/La révolution verte

La révolution verte passe par la vérité des prix

Parier sur l’innovation technologique ne suffira pas à compenser les menaces qui pèsent sur l’environnement. Selon Beat Bürgenmeier, la solution passe d’abord et surtout par une redéfinition de la croissance et des politiques tarifaires

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Pour rendre l’économie compatible avec la préservation de l’environnement, il ne suffira pas d’investir dans les technologies durables. Pour y parvenir, Beat Bürgenmeier, professeur d’économie politique, conseiller auprès du Ministère français de l’environnement et membre de la Commission fédérale de la recherche environnementale, plaide pour la mise en place de mesures incitatives et, surtout, pour l’application du principe de vérité des prix. Un processus complexe, qui permettrait de maintenir une certaine créativité dans le monde de la recherche, mais qui demandera forcément du temps.

«Le point essentiel dans les discussions autour du «Green New Deal», c’est de parvenir à modifier les pratiques économiques pour qu’elles répondent aux exigences de la protection de l’environnement, explique Beat Bürgenmeier. Et cela tout en préservant les valeurs qui sont les nôtres depuis le siècle des Lumières: la promotion de la liberté individuelle et de l’esprit d’entreprise. Sachant que la plupart des grandes percées technologiques sont le fruit du hasard, le vrai défi consiste à ne pas tuer toute créativité dans la société. Pour y parvenir, il faut éviter toute vision planificatrice et surtout se tourner vers des modes d’incitation appropriés.»

En l’occurrence, le professeur prône l’adoption du principe de vérité des prix. A l’heure actuelle, ces derniers reflètent essentiellement la rentabilité privée des marchandises et des services. Ne prenant en compte que les coûts économiques induits par le processus de production, ils négligent totalement les coûts sociaux qui peuvent être infligés à des tiers ou à l’environnement, notamment en termes de pollution. Pour modifier cet état de fait, il s’agit donc d’évaluer la rentabilité économique non plus du point de vue d’un acteur particulier, mais en fonction de l’ensemble de la collectivité. Autrement dit: ce qui pollue plus doit coûter plus cher. Comme c’est toujours la solution la moins chère qui finit par s’imposer, un tel changement de paradigme devrait permettre à la fois de modifier les habitudes des consommateurs et d’influencer la politique technologique des entreprises en matière de recherche et développement.

Pour y parvenir, deux alternatives se présentent aux pouvoirs publics: la politique du bâton et celle de la carotte. «Les économistes sont en général favorables à la seconde option, les mesures incitatives étant jugées préférables aux visées planificatrices, poursuit Beat Bürgenmeier. Mais nous avons perdu une partie de la marge de manœuvre dans ce domaine en traînant les pieds: les effets du changement climatique se font déjà sentir. L’incitation ne suffit donc plus, il nous faut également une politique réactive.»

Fondées sur des principes relativement simples, les idées défendues par le professeur genevois reposent sur des concepts bien établis sur le plan scientifique et largement acceptés par les spécialistes. Ce qui pose problème, en revanche, c’est la promotion de ces idées auprès de l’opinion publique et des décideurs, ainsi que la définition des modalités d’application d’une telle politique.

«En Suisse, par exemple, le principe d’une taxe sur le CO2 concernant également les carburants, qui irait tout à fait dans le sens des mesures incitatives que je défends, a été refusée par le peuple, note Beat Bürgenmeier. Il y a toutefois un effort constant d’information et de promotion dans ce domaine. Enormément de progrès ont été faits, mais les bonnes idées ont parfois besoin de temps avant d’être acceptées par la majorité. On l’a vu dans le cas de l’assurance maternité, qui a mis des décennies à s’imposer et que pratiquement plus personne ne conteste aujourd’hui.»

Du temps, il en faudra également pour permettre à l’économie de se convertir à la nouvelle donne. Il y a d’abord un problème de méthode. «Plus on fait croire que l’on peut remplacer des sources technologiques sales par des sources énergétiques propres, moins on prépare le consommateur à la seule mesure qui est efficace pour le moment: l’économie d’énergie», résume Beat Bürgenmeier.

Il y a ensuite des difficultés inhérentes au fonctionnement d’une démocratie telle que la nôtre. Aucune réforme n’étant capable à elle seule de prendre en charge les besoins de réorientation de l’économie, il s’agit en effet de trouver le dosage optimal entre les différents outils à disposition, le débat portant davantage sur les processus d’acceptabilité sociale que sur des questions d’ordre technologique. «Pour le moment, le consensus au sein du parlement est qu’il faut renforcer l’économie pour garantir la prospérité future, complète le professeur. La mise sur pied d’une politique environnementale active ne fait donc pas figure de priorité. Et cela restera sans doute le cas aussi longtemps que perdurera l’idée selon laquelle le coût du changement est plus élevé que celui du maintien du statu quo.»

Franchir cette étape ne résoudra cependant pas les délais liés à l’inertie propre à tout système économique. Pour changer de mode de production, il faut en effet être capable d’investir et donc de disposer de suffisamment de temps pour amortir les sommes engagées au moment de la création de l’activité. Et dans certains domaines, c’est un processus qui peut s’étaler sur quelques décennies.

Opérer une telle transition ne signifie pas qu’il faille rompre avec toute forme de croissance économique. Tout dépend des indicateurs retenus pour définir la prospérité matérielle. Plutôt que de l’exprimer uniquement en fonction du produit intérieur par habitant, comme c’est encore majoritairement le cas aujourd’hui, on peut en effet introduire des indicateurs qualitatifs tenant davantage compte du bien-être et du respect de l’environnement.

«La part de la créativité immatérielle a significativement augmenté au cours des cinquante dernières années, commente Beat Bürgenmeier. Il s’agit de pousser plus loin cette tendance en réduisant les flux de matière première au profit des flux de matière grise et d’une économie de symbole. Même si la prospérité matérielle est importante, il faut surtout se rappeler que la croissance doit rester un moyen et non une finalité. Il n’est donc pas question d’abolir les règles, comme le prétendent les néolibéraux depuis trente ans, mais de les repenser. Soit nous disposons d’assez de bon sens pour y parvenir, soit nous allons au-devant de blocages tels que le système s’effondrera. Et à chaque fois que cela s’est produit, la conséquence a été la même: une énorme quantité de souffrance humaine.»

Pour éviter ce scénario catastrophe, on aurait tort, selon le professeur, de s’en remettre uniquement aux idées exprimées dans le cadre du Green New Deal, en misant uniquement sur le progrès technologique.

Depuis l’équation d’Ehrlich, présentée en 1968, il est en effet établi que les changements environnementaux trouvent leur source dans trois facteurs principaux: la technologie, bien sûr, mais aussi la consommation et la démographie. Or, à l’échelle de la planète, nous consommons deux fois plus qu’il y a vingt-cinq ans en étant deux fois plus nombreux qu’il y a cinquante ans. «Les technologies propres ne peuvent pas être la seule réponse face à des tendances aussi lourdes, conclut Beat Bürgenmeier. Pour compenser ces processus, il faudrait un changement technologique d’une ampleur bien supérieure à ce que fut la révolution industrielle, avec l’invention de la machine à vapeur. Parier uniquement là-dessus reviendrait à une simple récupération du débat environnemental par l’économie. Et si quelque chose me fait peur, c’est bien cela.»

Les vertes promesses

Dans de nombreux pays, la révolution verte fait désormais figure de priorité sur l’agenda politique. Bref aperçu.

Etats-Unis: Barack Obama a annoncé un plan d’investissement de 150 milliards de dollars en dix ans dans la recherche sur les énergies renouvelables, qui devraient générer 5 millions d’emplois dans ce secteur. Il souhaite que 25% de l’électricité consommée aux Etats-Unis soit issue de sources renouvelables d’ici à 2025. Pour y parvenir, il compte promouvoir le solaire, l’éolien et la biomasse. Le président élu est également partisan de la mise en place d’un marché national contraignant d’échange de permis d’émissions de CO2, sur le modèle de ce qui existe au sein de l’Union européenne.

Allemagne: Le nombre de personnes employées dans les énergies renouvelables a quadruplé en dix ans pour atteindre 260 000 cols verts. Entre 2001 et 2006, 6 milliards d’euros de subventions publiques ont par ailleurs été accordés pour augmenter l’efficacité énergétique des bâtiments, ce qui a permis de créer ou de préserver environ 140 000 emplois.

France: le plan Grenelle 2, dont la mise en œuvre pourrait coûter 440 milliards d’euros sur la période 2009-2020 vise la création de 535 000 emplois.

Corée du Sud: le gouvernement a annoncé qu’il investirait plus de 38 milliards de dollars dans un plan destiné à créer 960 000 emplois verts.

Japon: le Ministère de l’environnement a promis de créer 800 000 emplois supplémentaires dans les technologies propres.

Grande-Bretagne: le premier ministre Gordon Brown prévoit de créer 100 000 emplois via de nouveaux projets d’infrastructures, dont beaucoup pour réduire les émissions de CO2.

Suisse: La conseillère fédérale chargée de l’économie a invité, début janvier, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), à réfléchir au contenu «vert» qu’il fallait donner à un deuxième paquet conjoncturel de 600 millions de francs.