Recherches et applications pédagogiques

par Florence Bara, Maître de conférences, Université de Toulouse 2

Apprendre à lire, à écrire et à parler sont des enjeux principaux de l’école et sont une base pour l’intégration dans la société. Ces acquisitions fondamentales se mettent en place tout au long de l’école primaire et font l’objet d’une grande partie du temps d’enseignement. Ces apprentissages mobilisent en général seulement les modalités sensorielles visuelle et auditive des jeunes enfants ; l’utilisation du corps étant souvent limitée aux activités physiques et sportives. Pourtant, un certain nombre d’études ces dernières années, qui s’inscrivent dans le champ théorique de la cognition incarnée ont mis en évidence le rôle bénéfique que le corps pouvait jouer dans les apprentissages scolaires. L’enjeu de l’utilisation du corps à l’école devient double, celui des savoirs didactisés (en éducation physique et sportive) et celui du corps engagé pour soutenir d’autres situations d’apprentissage. La motricité se met au service des apprentissages : l’exploration tactile vient soutenir et enrichir le langage, le geste graphique aide à mieux reconnaitre les lettres, la manipulation permet de mieux mémoriser et comprendre des textes. Cette conférence présentera les résultats de recherches appliquées en psychologie de l’éducation qui mettent en évidence l’intérêt de la motricité dans l’apprentissage et la compréhension du langage oral et écrit chez l’enfant. Ces résultats seront discutés à la lumière des apports de la théorie de la cognition incarnée et en adoptant une perspective développementale.

par Jean-Philippe Lachaux, Directeur de recherche Inserm, Centre de recherche en neurosciences, Lyon

J'aborderai lors de ce séminaire la question de l'éducation des fonctions exécutives en général, et de l'attention en particulier. L'attention est au cœur du processus d'apprentissage, et son éducation demeure, depuis la fameuse citation de William James dans les Principles of Psychology, en 1890, l'"éducation par excellence". Ceci dit, plus d'un siècle après cette annonce programmatique, force est de reconnaitre qu'il n'existe pas encore, au sein des systèmes scolaires qui nous sont proches, d'éducation de l'attention institutionnalisée. Je tenterai d'exposer les composantes essentielles que devraient comporter une telle éducation et d'amener les éléments récents des sciences cognitives qui nous permettent de les envisager. Enfin, je présenterai l'exemple du programme ATOLE ("Apprendre l'attention, à l'école") comme une proposition de réponse à ce défi sociétal.

par Emmanuel Sander, Professeur, Université de Genève

C’est par le biais de concepts préexistants que la nouveauté est abordée : par analogie avec le connu, l’être humain s’approprie l’inconnu et capitalise ses expériences antérieures. Un perçu l’est nécessairement à travers un concept, lui-même construction psychologique s’interfaçant dans toute interaction sensible. Loin d’être un phénomène ponctuel, l’analogie envahit ainsi la cognition depuis les actes les plus banals et inconscients jusqu’aux découvertes scientifiques les plus créatives, en passant par ce qui guide la manière dont chacun interagit avec son environnement, interprète une situation, raisonne au quotidien, prend des décisions, acquiert de nouvelles connaissances. Ainsi, les notions scolaires sont d’abord appréhendées par le filtre du connu, ce qui offre une première entrée pour leur donner sens. Ces premières conceptions, intuitives, sont inévitables mais limitantes, car elles ne coïncident que partiellement avec les savoirs en jeu. Comment, alors, favoriser le dépassement d’une compréhension spontanée et aller au-delà des pièges du connu ? C’est la question de la réinterprétation, toujours guidée par le connu, mais par un connu non intuitif, qui n’est pas spontanément évoqué mais offre une nouvelle perspective, féconde, sur la situation, et recèle les germes de l’abstraction. Dépasser les limites du connu en reliant à un autre connu recèle un riche potentiel pour les apprentissages.

par Rita Hofstetter, Professeure et Bernard Schneuwly, Professeur honoraire, Université de Genève

Parmi les traits marquants de la trajectoire de Jean Piaget, sa « fidélité » à l’Institut Rousseau et à son Bureau international d’éducation, BIE que le savant dirige depuis sa transformation en une agence intergouvernementale jusqu’à son intégration complète dans l’UNESCO (1929-1968). 

« Le regard en haut, les pieds sur le sol » (1929) : tel est le profil attendu du tout jeune directeur, enjoint de démarcher tous les gouvernements de la planète pour qu’ils s’affilient au BIE et œuvrent à construire la paix sur terre par la science et l’éducation. Autrement dit, faire du BIE un catalyseur de l’« internationalisme éducatif », mû par un élan réformiste porté par la flèche du progrès qui est celle aussi de la science.

A partir de volumineuses archives, correspondances croisées, rapports, enquêtes, publications, nous examinerons la diplomatie mise en œuvre par Piaget pour relever ce défi. Comment le savant se positionne-t-il à l’heure de convier tous les gouvernements à des conférences internationales destinées à résoudre les problèmes éducatifs brûlants de la planète en élaborant collégialement des recommandations, regardées comme une « charte des aspirations mondiales l’instruction publique » ?

Sa quête d’universalité place le BIE dans une situation contradictoire, où Piaget devra redoubler de diplomatie: prôner un apolitisme pour intervenir au niveau gouvernemental ; réciproquement agir sur l’école publique, chasse gardée des nations, afin de construire une coopération inter-nationale. Un pari universaliste plus délicat encore dans le contexte de l’exacerbation des nationalismes au fil des années trente, puis des revendications d’indépendance des colonies dans l’après-guerre.

Epaulé de son directeur adjoint, Pedro Rossellò, Piaget tentera d’y expérimenter, à une échelle intergouvernementale et internationale, les méthodes mêmes de la coopération et du self-government qu’il a théorisées, démontrant que celles-ci facilitent le passage de l’égocentrisme à la réciprocité, autrement dit au jugement moral1 et l’accès à la rationalité. Le BIE aurait-il servi d’aiguillon à Piaget pour développer ses théories éducatives et, accessoirement, de tribune pour élargir encore la renommée de ses travaux ?

par Gérard Sensevy, Professeur émérite, Université de Bretagne occidentale

Cette conférence est composée de deux parties. La première partie consiste dans une petite étude commentée du texte de Jean Piaget, « Les méthodes nouvelles. Leurs bases psychologiques » dans laquelle je cherche à montrer la pertinence et la force, pour la recherche contemporaine en éducation, de certaines des idées que Piaget exprime dans ce texte Dans la seconde partie, j'ébauche une relecture de certains aspects de l'œuvre de Piaget. Sur le plan théorique, je tente d'abord de reprendre certaines notions et conceptions piagétiennes (la dialectique assimilation/accommodation, l'équilibration, la relation entre milieu et comportement) dans la perspective d'élaboration d'une science didactique. J'essaie ensuite de montrer comment l'œuvre piagétienne pourrait contribuer, sur le plan méthodologique, à la construction d'une nouvelle clinique, et, sur le plan épistémologique, à une meilleure compréhension de ce qu'est une preuve, en particulier une preuve d'efficacité.

par Béatrice Clavel, Maître de conférences, Université Lyon 2

En nous appuyant sur les travaux de Piaget, et notamment sur son texte rédigé en 1939 sur « Les méthodes nouvelles. Leurs bases psychologiques », nous présenterons nos travaux portant sur les dispositifs d’intervention psycho-pédagogiques créés pour accompagner le développement socio-cognitif de sujets scolarisés en zone d’éducation prioritaire. Ainsi Piaget définit le rôle du milieu dans le développement de schèmes socio-cognitifs (schèmes opératoires, autonomie morale) en soulignant l’importance de l’expérimentation dans la constitution des opérations mentales, le rôle du jeu et sa signification fonctionnelle, le rôle de l’adulte et l’influence du milieu dans la construction des relations sociales. Dans les travaux que nous présenterons, il apparaît que le rôle de l’environnement social, en zone d’éducation prioritaire, entrave la construction de compétences opératoires et maintient les adolescents dans l’hétéronomie morale. Ceci n’est pas sans conséquence sur leurs comportements. Après avoir présenté les diagnostics, nous décririons les dispositifs construits avec les équipes pédagogiques qui s’appuient sur des méthodes interactives de résolution de problèmes.

par Sylvie Richard, Chargée d’enseignement, HEP du Valais

Actuellement, il existe un consensus sur le plan politique et scientifique quant à l’importance des compétences socio-émotionnelles pour la scolarité de l’enfant. L’objectif de cette intervention consistera à présenter les effets d’un programme d’intervention intégré au milieu scolaire dans des classes publiques en Suisse visant à promouvoir le développement de certaines compétences socio-émotionnelles (la compréhension, la régulation des émotions et le comportement prosocial) par le biais d’activités d’apprentissage structurées réinvesties dans des situations de jeux de faire semblant chez des enfants qui fréquentent la 2ème Harmos (5-6 ans). Dans le cadre de cette communication, les résultats des deux premières études réalisées seront présentés.

Le but de la première recherche (étude exploratoire) visait à évaluer la faisabilité de ce programme dans une classe de 2H. Pour ce faire, Sylvie Richard, enseignante primaire et psychologue, a testé les 11 séances du programme dans une classe de 2H et évalué 19 enfants à l’aide d’un paradigme pré-test, entraînement (groupe expérimental vs témoin), post-test.

Dans la seconde recherche, ce programme a été implémenté à plus grande échelle dans le cadre scolaire en proposant à un groupe d’enseignantes de réaliser l’entraînement directement au sein de leur classe avec leurs élèves. L’objectif de cette étude était d’apporter des preuves scientifiques pour que ce programme soit incorporé aux pratiques d’enseignement/apprentissage quotidiennes des enseignant-e-s des premiers degrés de la scolarité. Dix classes ont été recrutées, soit cinq classes composant le groupe expérimental (n = 39) et cinq classes composant le groupe témoin (n = 40). Les enseignantes du groupe expérimental ont bénéficié de 20 heures de formation portant à la fois sur le contenu des différentes séances du programme, mais également sur son implémentation.

En guise de conclusion, sur la base de ces deux premières études, les perspectives relatives à une troisième étude seront finalement présentées.

par Philippe Dessus, Professeur, Universités Grenoble-Alpes. Pour voir la vidéo de la conférence

Depuis une vingtaine d’années, le courant de l’éducation fondée sur les preuves (EFP) s’intéresse à compléter et enrichir la pratique professionnelle des enseignants par le recours à des preuves de standards scientifiques élevés. Ce courant a été mis en avant dans diverses politiques (e.g., étasunienne avec le No Child Left Behind Act) et rapports (e.g., le récent rapport du Conseil scientifique de l’éducation nationale, 2020), et a fait également l’objet de certaines controverses (cf. Gaussel, 2020 pour une synthèse et Bryk, 2017 et ses commentateurs). 

Nous essaierons d’apporter certaines clarifications à ce débat, en commençant par évoquer ce qui rend le milieu scolaire spécifique et difficile à étudier, puis nous présenterons quelques conditions nécessaires et possiblement suffisantes pour que l’EFP puisse être considérée comme opérationnelle : – ce qu’est une pratique d’enseignement et ses possibles effets ; – les sources inspirant ces pratiques ; – leur utilisabilité et acceptabilité en contexte ; – les liens nécessaires entre la pratique et la théorie et les recherches déjà réalisées (e.g., Dessus & Besse, 2020).

Nous terminerons par décrire le fonctionnement des Ateliers profs chercheurs (Centre de recherches interdisciplinaires, Univ. de Paris, https://profschercheurs.cri-paris.org/), un dispositif de recherche collaborative ouverte permettant à des collectifs d’enseignants d’identifier des défis, puis des actions pour relever ces derniers, actions qui seront implémentées en contexte de classe. Des retours d’expérience seront ensuite partagés, présentant des preuves montrant l’état d’avancement du défi. Des synthèses validées par les pairs sont enfin produites, synthèses qui permettront de fonder les défis suivants. Nous discuterons de cette expérience et montrerons qu’elle correspond à la mise au jour de preuves fondées sur la pratique éducative, telle que préconisée par Cook et al. (2012) : – utiliser des données locales et les narrations des professionnels, – favoriser une approche bottom-up en partant de petits groupes de praticiens motivés travaillant collaborativement ; – conduire des recherches rigoureuses qui révèlent des preuves fondées sur la pratique.

par Catherine Martinet et Rachel Sermier-Dessemontet, Professeures, HEP du canton de Vaud

Cette présentation traitera des résultats d’un récent projet de recherche (projet ELODI1) qui a visé, dans un premier temps, à décrire les pratiques d’enseignant·e·s spécialisé·e·s, lors de l’enseignement de la lecture auprès d’élèves présentant une déficience intellectuelle, scolarisé·e·s en institutions spécialisées dans différents cantons romands. Cette étude a permis de mieux comprendre les obstacles que ces professionnel·le·s rencontraient et également sur quelles ressources il·elle·s pouvaient s’appuyer. Sur la base de ces informations et des données scientifiques les plus récentes concernant les pratiques probantes en matière d’enseignement de la lecture auprès de ce public d’élèves - et notamment d’une récente méta-analyse - une nouvelle méthode d’enseignement de la lecture a été conçue. Une étude expérimentale de groupe menée sur une année scolaire avec 48 élèves présentant une déficience intellectuelle, nous a permis d’en évaluer les effets sur les progrès des élèves. Ce projet de recherche s’est clos par une enquête sur l’évolution des pratiques des enseignant·e·s spécialisé·e·s suite à leur participation à cette recherche.

par Liliane Sprenger-Charolles, Directrice de recherche émérite CNRS, Université d’Aix-en-Provence

Les capacités permettant de comprendre et de produire le langage oral sont, en dehors de cas très spécifiques, acquises naturellement par les enfants en fonction de leur environnement. A l’inverse, celles permettant de lire et d’écrire nécessitent un apprentissage systématique, et cela quel que soit le système d’écriture. Plus spécifiquement, en ce qui concerne la lecture dans une écriture alphabétique, les modèles distinguent trois niveaux de traitement : le traitement perceptif qui permet au lecteur de passer du code écrit au code oral (décodage, des graphèmes aux phonèmes), celui qui lui permet d’identifier les mots écrits (appariement de l’entrée décodée avec un mot de son lexique oral) et celui qui lui permet de comprendre ce qu’il lit. Pouvoir décoder les mots nécessite donc des capacités de discrimination visuelle et phonologique ainsi que des modifications notables de la perception visuelle du jeune enfant. En effet, pour lire, il lui faut tenir compte de l’orientation des lettres, ce qui n’est pas le cas pour la perception des objets (alors qu’une chaise reste une chaise quelle que soit sa position, la lettre ‘b’ se différencie de la lettre ‘d’, tout comme ‘u’ se différencie de ‘n’). Pour lire, il lui faut également mettre en place une coordination fine entre mouvements des yeux et de la tête.
L’exposé est centré sur la question des liens entre compréhension et décodage dans une écriture alphabétique. A ce niveau, trois théories concurrentes s’affrontent.

• La première postule que le décodage et la compréhension fonctionnent de manière autonome. Les modèles de la lecture experte dérivés de cette théorie se sont focalisés sur la nature automatique du décodage et de l’identification des mots écrits. Les travaux développementaux se sont quant à eux attachés à montrer comment l’apprenti-lecteur développe des procédures d’identification des mots écrits qui deviennent progressivement, en fonction de certaines caractéristiques des mots (leur consistance au niveau des relations graphème- phonème et leur fréquence), de plus en plus précises et rapides.

  • Selon la seconde théorie, l’identification des mots écrits est pilotée par la compréhension. Les travaux menés dans ce cadre sont à l’origine de la Guerre de la lecture qui oppose les défenseurs d’une pratique pédagogique centrée sur la compréhension (le décodage étant un obstacle à la compréhension du message écrit) à ceux qui soutiennent que pour pouvoir comprendre ce qui est lu, il faut savoir décoder.

  • La troisième théorie est interactive. Elle considère que les relations entre habiletés de décodage et d’identification des mots écrits, d’une part, et la compréhension, d’autre part, dépendent du niveau de décodage. Les recherches menées dans ce cadre suggèrent que l’identification des mots écrits est influencée par la compréhension lorsque cette identification n’est pas suffisamment automatique.

    Dans l’exposé nous allons présenter les résultats des recherches qui valident - ou invalident - ces trois cadres théoriques et les implications pédagogiques qui en découlent. L’éclairage est plus particulièrement celui apporté par les études longitudinales et les simulations des processus en jeu dans l’apprentissage de la lecture qui suggèrent que, plus ou moins rapidement selon la consistance des relations graphème-phonème dans la langue dans laquelle s’effectue cet apprentissage, un mécanisme d’auto-apprentissage va progressivement se substituer à l’enseignement supervisé par le maitre.
    L’éclairage sera aussi celui apporté par plusieurs concepts piagétiens cruciaux: assimilation et accommodation, point d’équilibre et jeu des processus compensatoires.

par Olivier Houdé, Professeur, Université Paris-Descartes

Etre réellement du côté de Locke, Rousseau, Itard, Séguin, Montessori, Freinet et Piaget aujourd’hui, en ce début de XXIè siècle, c’est s’intéresser sérieusement aux neurosciences. Piaget ne disait-il pas que la construction de l’intelligence chez l’enfant est la forme optimale de l’adaptation biologique ? Il faut donc faire l’effort, pour les chercheurs en psychologie du développement et en sciences de l’éducation, d’utiliser conjointement les technologies de la psychologie expérimentale et de l’imagerie cérébrale, avec la participation des enfants et professeurs volontaires des écoles, pour mieux comprendre le cerveau qui apprend, un cerveau dans un corps (Berthoz), en contexte social et culturel (Vygotski, Bruner). Non pas pour que la science fasse la classe, ni pour imposer les sciences cognitives et les neurosciences à l’école de façon autoritaire (Dehaene), mais plutôt pour des allers-retours féconds, par tâtonnement expérimental, collaboratif, comme l’aurait dit Freinet, du laboratoire à la classe. C’est s’intéresser au cerveau de l’enfant, cet « organe devenu visible », comme Montessori préconisait de s’intéresser à son âme ! La conférence en donnera quelques exemples.

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